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Reportage

Expérience#10: « Lâcher prise et finitude »

Posté le par Pierre Thouverez dans Entreprises et marchés

Dixième article d'une série qui en comportera 12. A travers le récit d'une expérience de management réelle, nous vous proposons de choisir, en votre âme et conscience, entre trois formules présentant chacune une manière différente de clôturer un problème concret. Aujourd'hui, place à une expérience parfois douloureuse mais formatrice... le lâcher prise.

Le lâcher prise est une démarche difficile car elle nous confronte au sentiment de finitude. En effet, cette attitude consiste à décider d’arrêter de vouloir tout contrôler. Lâcher prise ne veut pas dire renoncer mais se libérer de contraintes excessives. Il ne s’agit pas d’une faiblesse mais au contraire d’une confiance en sa capacité à faire face et à s’ajuster en temps réel.

Voici deux exemples illustrant le lâcher prise en milieu professionnel.

1) Arrêter de vouloir devenir quelqu’un d’autre

Lionel, responsable adjoint du service client, aime se définir comme un manager humaniste. Il accorde un grand soin aux relations interpersonnelles avec ses collaborateurs du service clients, et entretient un climat de saine émulation avec les membres de son équipe.

Il décrit Natacha, son manager, comme une experte volcanique, plutôt expéditive et autoritaire. Lionel admire Natacha pour ses grandes compétences et aussi, il l’avoue, pour son caractère trempé. Le problème c’est la quantité de reproches que cette dernière adresse à Lionel au sujet de sa « familiarité » vis-à-vis des collaborateurs. Avec toute cette brutalité qui la caractérise, et sans y mettre les formes, il arrive même à Natacha de désavouer publiquement certaines options managériales de Lionel. Elle juge notamment « trop amicale » sa manière de traiter les conflits au sein du service.

Lionel a toujours su tenir ses objectifs et ses entretiens annuels ont toujours récompensé sa loyauté, et la qualité de ses compétences professionnelles. Bien que ses opinions, sur l’inefficacité du coaching semblent bien arrêtées, Natacha -pragmatique- a quand même fini par accepter d’accorder à Lionel le support d’un accompagnement individuel afin de l’aider à « tremper » son management. « Après tout certains placebos – comme l’homéopathie- peuvent produire des résultats ; alors pourquoi pas un coaching » a-t-elle ébruité pour couvrir sa décision.

Au cours de ses entretiens de coaching, Lionel prend conscience que la relation qu’il a laissé se développer avec Natacha lui a fait perdre confiance en lui. Il prend également conscience que sa nature humaniste est en ligne avec ses valeurs profondes. Cette observation renforce, à ses yeux, la légitimité de son style managérial.

Il se rend compte qu’il ne pourra pas donner satisfaction à Natacha : Il ne peut, ni ne veut, « durcir » son management. Au contraire, pour améliorer son impact managérial sur les autres, il comprend qu’il doit cesser de vouloir ressembler à Natacha mais au contraire, permettre davantage l’expression de son propre style managérial. Lionel estime que la réussite du projet de développement de son propre style managérial nécessite un investissement personnel incompatible avec la relation installée entre lui et sa responsable.

Pour se protéger désormais de ce qu’il identifie comme une forme de toxicité, Lionel prend alors une décision courageuse et une décision audacieuse :

  1. Il choisit de renoncer au confort de sa fonction actuelle, parfaitement maitrisée, au sein du service client.
  2. Il se lance de nouveaux défis et se porte candidat pour d’autres postes managériaux ouverts au sein de sa société.

Il est à la fois soulagé et fier de la manière avec laquelle il a réussi à traverser sa dévalorisante relation avec Natacha. En acceptant de se concentrer sur le projet de devenir ce qu’il est, Lionel s’est engagé sur une autoroute de changements possibles ; il reprend confiance en lui.

2) Arrêter de vouloir contrôler son image

Martine exerce, en profession libérale, une activité professionnelle de services à la personne. Ambitieuse, consciencieuse, douée, débordant de bonnes idées, Martine souhaite donner une dimension plus industrielle à son activité et s’associe au projet de deux hommes d’affaires de son réseau professionnel. Elle engage ses biens personnels et obtient le financement dont elle a besoin auprès de sa banque pour l’intégration de sa petite société dans le groupe industriel de ses deux associés. Après 18 mois de pratique, Martine regrette déjà. Son affaire tourne assez bien, mais ses valeurs humanistes sont mises à mal. Les comportements de ses deux associés sont arrogants, insensibles, opportunistes, dénués de chaleur et semblent exclusivement motivés par la seule logique financière. Elle ne supporte plus de devoir chaque jour vivre en désaccord avec ses valeurs profondes et n’ose pas se confronter à ces deux associés hommes d’affaires, des « requins » comme elle les qualifie, de peur de paraître non-professionnelle. À l’issue de quelques séances de coaching, Martine s’autorise à s’accepter comme elle est, c’est-à-dire humaniste avant toute autre considération financière. Cet éclairage lui permet de lâcher son projet de développement. Elle rencontre ses deux associés et leur fait connaître sa décision de se désengager. En acceptant de lâcher son acharnement sur ce projet – où elle est pourtant patrimonialement engagée– Martine accède, à sa plus grande surprise, à une renégociation des conditions du partenariat avec ses associés qui ne veulent pas la voir partir. Cette renégociation lui laisse le champ beaucoup plus libre, elle intègre de nouveaux locaux, allège sa contribution aux charges financières du groupe de sociétés, et n’a plus à supporter les comportements de ces deux « machines à sous ». Ils la découvrent même si déterminée qu’ils la qualifient du titre peu enviable de « Martine Thatcher » … Sans doute une marque de respect ! Le lâcher prise de son acharnement à vouloir ressembler à une businesswoman aguerrie lui a permis de devenir davantage l’entrepreneur humaniste qu’elle est réellement. Un acharnement aveugle lui aurait probablement couté sa santé …et son âme.

  • Qu’en pensez-vous ? Ces deux exemples vous inspirent-ils ?
  • Quelles limites voyez-vous dans cette stratégie du lâcher prise ?
  • Cette attitude vous paraît-elle conciliable avec un management efficace ?

Nous vous invitons à prolonger cet article via la zone commentaire (ci-dessous), en nous proposant vos réponses aux problématiques évoquées par l’auteur

12 expériences de management réelles

  1. Expérience #1 : « Je ne vaux plus rien »
  2. Expérience #2 : « Je sais ! Je sais ! Du savoir à la compétence »
  3. Expérience#3: « ça ne marche pas«
  4. Expérience#4 : Managers attention : le succès rend aveugle !
  5. Expérience#5 : Passe-droits, privilèges et courage
  6. Expérience#6 : Justice pour les collaborateurs, solitude pour les managers
  7. Expérience#7 : Le soi du Gestalt consultant comme outil d’observation des processus
  8. Expérience#8 : Perfectionnisme : une coûteuse erreur de management
  9. Expérience#9: « Licenciement : échéance de fin de moi »
Pour aller plus loin

Posté le par Pierre Thouverez


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