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Gunvor au Congo : Or noir, corruption et géopolitique

Posté le par Pierre Thouverez dans Énergie

Gunvor, société suisse de négoce de pétrole, est au cœur d’une enquête pour corruption au Congo Brazzaville. La firme, détenue par un homme d’affaires russe proche du Kremlin, est parvenue à faire sortir 22 tankers remplis de pétrole, pour une valeur de plus de 2 milliards dollars, grâce à des pratiques plus que douteuses et la promesse d’une coopération économique avec la Russie. Un vrai roman noir.

L’ONG suisse Public Eye a enquêté sur les coulisses d’un contrat pétrolier gigantesque obtenu par la société de négoce Gunvor. Avec l’aide de Mediapart qui a recueilli des documents très compromettants pour la firme suisse, Public Eye a rendu public la semaine dernière son investigation. Quatre procédures judiciaires sont toujours en cours pour faire la lumière sur cette affaire.

L’Ovni Gunvor

Fondée en 1997 par le Russe Guennadi Timtchenko, proche de Vladimir Poutine et le Suédois Torbjörn Törnqvist, Gunvor est partie de zéro, ou presque, pour devenir en quelques années le numéro un de la commercialisation du pétrole russe. Entre 2005 et 2007, son chiffre d’affaires passe de 5 à 43 milliards de dollars grâce à l’exportation de pétrole russe. La société s’impose alors comme le vendeur attitré du géant étatique russe Rosneft et la 4ème plus importante société privé de négoce de pétrole.

Loin de vouloir s’arrêter là, Gunvor cherche dès 2006 à trouver de nouveaux marchés, en Afrique notamment. La firme s’essaie successivement au Nigeria, en Angola et en Côte d’Ivoire, avant de percer au Congo Brazzaville. Pour cela, elle débauche les meilleurs : quatre traders de Totsa, filiale de négoce du groupe Total, sont engagés. L’année suivante, le desk Afrique d’ Addax, une société concurrente, perd cinq de ses meilleurs éléments au profit de Gunvor.

Contrat mirifique

Le Congo Brazzaville est une cible de choix. C’est un Etat rentier du pétrole (90% des exportations, 70% du PIB) où la moitié de la population vit avec moins de deux dollars par jour. Le pays est dirigé par le clan du président Denis Sassou Nguesso, au pouvoir depuis trente-huit ans, à l’exception d’un bref interlude démocratique entre 1992 et 1997. Il a placé ses proches aux postes clés, à l’instar de son fils Denis Christel, surnommé «Kiki», directeur général adjoint en charge de l’aval pétrolier au sein de la Société Nationale des Pétroles Congolais (SNPC), qui commercialise l’or noir pour le compte de l’Etat africain. Le pays figure par ailleurs au quinzième rang des États les plus corrompus de la planète, selon Transparency International.

Congo_Republique_carte

Gunvor propose alors un deal très intéressant pour le clan Nguesso. Six accords de préfinancements de 125 millions de dollars chacun, soit 750 M€ au total, sont signés entre janvier 2011 et septembre 2012. Initialement dédiés au développement de l’industrie pétrolière, ces fonds vont être en partie détournés sans que les institutions financières internationales, tel que le FMI, ne puissent intervenir. « Gunvor se transforme en parabanque, sans toutefois devoir respecter les règles et contraintes qui s’appliquent aux institutions financières. Et ce, avec l’aide de BNP Paribas qui finance partiellement ces prêts », explique Public Eye.

En échange des préfinancements, Gunvor va affréter entre janvier 2011 à l’été 2012, vingt-deux tankers à Pointe-Noire. Au total, la firme acquiert des barils de Djéno, le principal brut congolais, pour une valeur totale de 2,2 milliards de dollars. Et ce, alors que les prix du pétrole étaient au plus haut, plus de 100 $ le baril (contre 50$ aujourd’hui). Au final, le contrat congolais aurait permis à la compagnie suisse d’engranger plus de 100 millions de dollars de profits.

Pétrole et géopolitique

Pour se faire une place sur le marché africain Gunvor va proposer une formule originale, avec « une approche géopolitique » qu’aucun de ses concurrents n’a su, ou pu, développer, explique une source à Mediapart. Si les montages financiers complexes pour rémunérer grassement des intermédiaires et des agents publics ne sont pas rares dans le secteur pétrolier, Gunvor a valorisé ses réseaux. En plus des préfinancements, les « apporteurs d’affaires » comme on dit dans le jargon, Maxime Gandzion et Jean-Marc Henry, devaient ouvrir les portes du Kremlin au clan Nguesso, soucieux de trouver en Vladimir Poutine, un allié de poids sur la scène internationale.

Le 31 août 2011, peu après le début de la coopération entre Gunvor et le Congo, un accord intergouvernemental de coopération économique entre les deux pays est signé à Moscou. C’est la consécration. L’accord prévoit que la Russie soutienne « au niveau étatique » les compagnies russes et congolaises qui participeront aux travaux de construction et à la modernisation du complexe pétrolier congolais.

Quelques mois plus tard, la justice suisse est alertée de mouvements financiers à travers des paradis fiscaux (Hong Kong notamment) s’élèvant à plus de 30 millions de dollars et lance une enquête.

Ennuis judiciaires

Le 3 juillet 2012, les locaux suisses de Gunvor sont perquisitionnés pour trouver des preuves d’irrégularités. Le procureur Sautebin, en charge de l’affaire, éprouve toutes les peines du monde à prouver la corruption au niveau de la direction car Gunvor s’est retourné contre un de ses employés jugé seul responsable. Une sorte de syndrome Kerviel… Mais un revirement récent pourrait tout changer. L’intéressé aurait demandé l’ouverture d’une « procédure simplifiée ». En échange d’informations accablantes, il pourrait n’écoper que d’une condamnation, amende voire d’un non-lieu, préalablement négocié avec les autorités judiciaires helvétiques.

De son côté le Russe Guennadi Timtchenko a précipitamment revendu, en mars 2014, ses parts dans Gunvor à son partenaire Törnqvist. Une bonne inspiration. Son nom est en effet apparu sur la liste des ressortissants russes visés par les sanctions américaines adoptées la même année après l’annexion de la Crimée par la Russie.

Avec la chute des cours du baril, les revenus du Congo ont baissé massivement (-54,4% entre 2014 et 2016 selon la Banque mondiale). Pour faire face à son déficit public et une dette estimé à 120% du PIB, Brazzaville espère désormais un soutien financier des institutions internationales. Le projet de coopération russo-congolais n’a lui guère avancé.

Romain Chicheportiche

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Posté le par Pierre Thouverez


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