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Décryptage

Le Japon veut importer de l’hydrogène obtenu à partir du charbon australien

Posté le par Pierre Thouverez dans Environnement

Présenté comme « propre » par la plupart des médias français, l’hydrogène cache une réalité moins ragoûtante : il est aujourd’hui produit dans son immense majorité à partir de gaz, de pétrole et de charbon. Et ce n’est pas le projet actuellement en cours en Australie qui changera cette réalité.

« Une façon d’offrir au charbon l’apparence de la propreté » a titré The Guardian à propos de ce projet mené dans l’état australien de Victoria dans le cadre du « Kawasaki Hydrogen Road project », autrement dit le projet de route hydrogène de Kawasaki. Ce groupe espère l’inaugurer à l’occasion des jeux olympiques à Tokyo en 2020.

Aux USA Donald Trump, lui aussi, cherche à « verdir » l’image du charbon. Comme le dit le dicton, « l’hydrogène, c’est du pétrole (ou du charbon ndlr) en smoking ».

Le Japon, dont l’industrie nucléaire a souffert du syndrome post-Fukushima qui a aggravé celui d’Hiroshima-Nagasaki, importe actuellement de grandes quantités de gaz naturel liquéfié (LNG) pour subvenir à l’importante demande de son archipel très peuplé et très industrialisé.  Le premier ministre nippon, Shinzo Abe, veut transformer le pays en une « Société Hydrogène » (« Hydrogen Society »).

La combustion incomplète du charbon génère du monoxyde de carbone et du dihydrogène.  Le groupe Kawasaki envisage de brûler le charbon sur place en Australie, puis de liquéfier l’hydrogène obtenu pour qu’il puisse être transporté dans d’énormes navires gaziers capables de parcourir des milliers de kilomètres.

Même si le projet n’en est qu’à sa toute première phase les autorités maritimes australiennes et japonaises ont déjà signé un accord portant précisément sur le transport d’hydrogène.

Le 31 mars 2017 la centrale à charbon d’Hazelwood (1200 MW), ainsi que sa mine, ont fermé. Cette centrale est située précisément dans l’état de Victoria, plus précisément dans la vallée de Latrobe. 1000 emplois ont été supprimés, et le gouvernement de l’état de Victoria cherche des solutions pour que ces personnes retrouvent une activité en lien avec leurs compétences.  Les projets hydrogène ont beaucoup de sens pour les personnes qui ont fait carrière dans des métiers gaziers.

Chine et Japon, deux stratégies différentes

Toyota est l’un des fers de lance de la construction de la croyance envers la révolution hydrogène au Japon. Ce puissant groupe automobile, numéro un mondial, est très influent. Même s’il ne parvient pas à vendre en masse ses voitures à hydrogène.

Selon le Financial Times (28 mars 2017) «Toyota ne le dit pas trop fort mais la grande difficulté de construire des piles à combustibles explique en partie l’attirance du Japon concernant cette technologie. Le business de la voiture électrique ressemble à celui des téléphones portables: simple, modulaire, facile à assembler et vulnérable aux nouveaux entrants provenant de Chine et de la Silicon Valley.»

Si l’industrie automobile suit le chemin de l’hydrogène, le Japon sera bien positionné. Mais dans le cas contraire Tokyo aura commis « une erreur majeure » estime un expert du METI, le Ministère de l’économie japonais.

Et alors la stratégie chinoise, qui repose principalement sur les voitures électriques à batterie, comme par exemple avec le groupe Nio qui a fait la synthèse du meilleur de BetterPlace et de Tesla et qui est soutenu par le géant Tencent, sera triomphante.

Le parc automobile électrique chinois est le plus important du monde. Le Japon a cédé sa place de deuxième puissance économique mondiale à la Chine en 2010. En 2017 le PIB chinois était de 11,938 milliards de dollars contre 4,884 pour le Japon. Un facteur 2,4.

Dès 2015 l’agence Reuters rapportait cette analyse par James Chao, consultant au sein d’IHS Automotive : « Il est difficile d’exagérer l’importance du choix entre les batteries et l’hydrogène. Des milliards de dollars seront investis dans l’un ou l’autre et peuvent déterminer quelles entreprises dirigeront l’industrie jusqu’à la fin de ce siècle. »

Particulièrement conscient des enjeux le groupe Toyota consacre beaucoup d’effort pour que la Chine se tourne davantage vers les solutions à base d’hydrogène. Mais il est peut-être déjà trop tard : selon un article du New York Times du 9 janvier 2018 le Japon tremble de plus en plus face à la croissance fulgurante du marché des voitures électriques à batterie en Chine : « La peur est qu’une fois encore le Japon rate une grande rupture technologique (…) Le Japon devient un promoteur de l’hydrogène de plus en plus isolé ».

Le show de l’hydrogène provenant du charbon australien prévu lors des jeux olympiques de 2020 à Tokyo pourrait ne pas suffire pour changer les équations techno-économiques de fond et la dynamique chinoise en cours.

Le Japon, comparativement à la Chine, possède un territoire beaucoup moins grand, son potentiel solaire et éolien est bien moins élevé. L’archipel nippon, pour répondre à sa très lourde demande énergétique, n’a donc pas beaucoup d’autre option, si il veut aller vite, que de faire appel à de l’énergie importée.

Small & local is beautifull

Les énormes projets énergétiques reposant sur des accords commerciaux entre pays très éloignés posent intrinsèquement problème. Demain, à la place de l’hydrogène à base de charbon, des experts font miroiter un hydrogène obtenu par électrolyse solaire et éolienne. Les centrales EnR seraient alors installées dans des régions de la planète bénéficiant d’importantes ressources solaires et éoliennes.

Autrement dit des espaces naturels jusqu’à présent préservés (comme par exemple le sud du Maroc, la Mauritanie, la corne de l’Afrique de l’est, le désert d’Atacama au Chili, la Patagonie, l’ouest de l’Australie, ou encore le Tibet, le middle-west des USA et le nord-est du Brésil) deviendraient d’immenses zones industrielles pour répondre aux besoins énergétiques gigantesques des pays dit « riches ». Le projet Desertec avait été construit dans cet état d’esprit, ce qui avaient conduit des analystes a le considérer comme une forme de néo-colonialisme et d’accaparement des terres.

Bien sûr, plus le flux solaire (et/ou éolien) est important, moins le coût de l’électricité et de l’hydrogène obtenus sont élevés. Mais l’argument économique doit-il être le seul guide ? Doit-on forcément considérer le futur des EnR comme une nouvelle conquête du far-west ? Il faut beaucoup d’eau pour alimenter les usines de production d’hydrogène.

L’énergie est une ressource stratégique, contrairement aux kiwis, aux goyaves ou aux mangues. L’Ukraine ou encore l’Irak et la Syrie, l’Iran et le Qatar peuvent en témoigner. Consommer de l’énergie sans savoir d’où elle vient, outre le problème de dépendance posé n’est pas forcément compatible avec le développement de la sobriété et de l’éco-responsabilité.

A l’inverse, quand les centrales solaires et éoliennes sont juste à côté de chez soi, alors on prend conscience, par la visualisation, de l’importance de notre consommation énergétique.

C’est cela qui conduit de nombreuses ONG à préférer les initiatives locales et à échelle humaine par opposition aux énormes industriels multinationaux nourrissant des entreprises bien souvent en situation de monopole et cherchant uniquement à faire perdurer leurs rentes.

Jean-Gabriel Marie

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Posté le par Pierre Thouverez

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