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Décryptage

Justice et probabilité – « Le risque nul n’existe pas »

Posté le par La rédaction dans Environnement

L’accident peut toujours arriver. L'idée est aujourd'hui admise par l'opinion et la presse. Mais lorsque le pire se produit, que reste-t-il du discours raisonnable ?

Le risque nul n’existe pas ! Cette affirmation est citée à tout propos sur les ondes et dans la presse chaque fois que se pose un problème de sécurité.Que voici une amélioration par rapport à l’opinion unanimement répandue il y a encore vingt ans. A cette époque certains spécialistes de la sécurité des transports ferroviaires, entre autres, avaient mis en avant le concept de « sécurité intrinsèque » permettant de « démontrer » l’absence totale de risque, ce qui était bien agréable pour les usagers ainsi assurés de faire un voyage sans aucun accident. Ces mêmes spécialistes me menaçaient alors des foudres de leur corporation si je persistais à mettre en doute la validité de leur concept. En pratique ce « principe » imposait des procédures judicieuses de conception conduisant à une probabilité d’incident très faible (malheureusement non chiffrée), si faible même qu’assimilant « très faible » à « négligeable » et « négligeable » à « nul », on en déduisait l’impossibilité d’apparition de l’incident redouté. Par contre l’absence de chiffrage conduisait parfois à ignorer a priori des événements non négligeables en réalité.Or ce n’est pas parce qu’un événement est hautement improbable qu’il ne se produit pas. Pour s’en convaincre il suffit de calculer la probabilité de gagner le gros lot au Loto, c’est-à-dire de prévoir six numéros gagnants sur quarante-neuf. Il y a environ une chance sur quatorze millions de gagner, événement par conséquent hautement improbable. Or presque à chaque tirage, il y a un gagnant, ce qui ne signifie pas que le calcul de la probabilité soit faux, mais que le nombre de joueurs est grand ! En effet la probabilité pour qu’il y ait au moins un gagnant, si vingt millions de grilles ont été joués, est de 76 %. Elle monte même à 98,6 % pour trois tirages de vingt millions de grilles.Cet état d’esprit vis-à-vis du risque nul ou de ses formes « scientifiques », la sécurité intrinsèque ou la sécurité absolue, se retrouve dans le jugement de l’accident de la Gare de l’Est, du 6 août 1988 dont voici un extrait des attendus (les mots en gras figurent sous cette forme dans le document en notre possession ; c’est nous qui avons mis en italique quelques mots).« Toutefois, les améliorations qui pourraient être apportées dans ce domaine [la formation] n’excluent pas la présence humaine indispensable dans la conduite du train et donc, la prise de conscience par le conducteur qu’il doit faire un diagnostic exact de la situation et y apporter une solution appropriée ce qui n’a pas été le cas de L*** V***; ainsi, ne peut, en matière de transport en commun, être admise, compte tenu des enjeux liés à la sauvegarde des passagers, la possibilité de l’erreur humaine alors que le conducteur a à sa disposition des éléments de sécurité nombreux et perfectionnés. L’évolution des techniques, les moyens financiers accrus, la prise de conscience d’atteindre l’objectif de sécurité absolue, ne sauraient faire oublier qu’en tout état de cause, l’homme jouera toujours un rôle indispensable en complément de la machine et qu’il doit, en conséquence, ne pas commettre de fautes de la nature de celles qui viennent d’être mises en évidence ci-dessus. »« En conséquence, le délit reproché au prévenu ayant été établi, L*** V*** sera retenu dans les liens de la prévention. »Nous ne sommes que techniciens de la sécurité. Il n’est donc pas question pour nous de remettre en cause la chose jugée et d’émettre une opinion sur la valeur juridique de ce texte, mais nous sommes en droit de nous poser la question de sa valeur sur le plan scientifique.Revenons à la situation actuelle.L’opinion ayant évolué dans le sens du rationnel, il est maintenant admis que le risque nul n’existe pas, mais à l’occasion de chaque accident grave défrayant la chronique, chacun s’écrie : « Plus jamais, plus jamais une telle catastrophe ! Il faut prendre des mesures pour éviter qu’un tel événement ne se reproduise et prendre des sanctions envers les acteurs du drame. »Cette opinion impose deux remarques :Le « plus jamais » est impossible. C’est d’ailleurs le seul événement dont la probabilité soit effectivement nulle ! Mais devant une catastrophe nous oublions le raisonnement scientifique pour faire place au « raisonnement sentimental », ce qui est humain et bien naturel mais hélas irrationnel et en aucun cas « raisonnable ». En d’autres termes, nous acceptons qu’il existe une parcelle d’incertitude, sauf lorsque l’accident survient, auquel cas, il faut un coupable.Nous sommes donc bien face à deux logiques. Comment concilier ces deux visions, celle du techniciens dont l’objectif est de minimiser les risques par une démarche probabiliste et celle du juriste qui recherche les liens de causalité ? Quels enseignements tirer de la confrontation de ces deux démarches ? Petit tour d’horizon en situation.Par Jean-Claude Wanner, Académie de l’air et de l’espace  

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