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Le ResearchKit d’Apple au service de la recherche médicale : promesses et questionnements

Posté le par La rédaction dans Informatique et Numérique

La société californienne Apple a annoncé le 9 mars dernier le lancement prochain de son ResearchKit, une plateforme de développement d'applications ouverte (open source framework) entendant faciliter la recherche médicale. Cette annonce porte de nombreuses promesses pour la recherche académique comme l'industrie pharmaceutique, tout en posant néanmoins certaines questions fondamentales.

Description rapide du ResearchKit

Cette initiative s’appuie sur un état de fait fondamental: des centaines de millions de personnes dans le monde possèdent un iPhone et le portent sur eux chaque jour des heures durant. Or l’appareil est équipé de nombreux capteurs et outils (microphone, écran tactile, accéléromètre, géolocalisation, etc.) pouvant se révéler utiles à des fins médicales si utilisés dans ce but. A côté de cela, la recherche médicale est depuis des décénnies confrontée aux mêmes limitations: différences parfois drastiques entre les conditions de réalisation des études et le comportement en « vie réelle » des patients, difficultés de recrutement de sujets volontaires, manque d’homogénéité des protocoles et par conséquent fréquentes difficultés à comparer et agréger les résultats d’études différentes.

A travers l’annonce du ResearchKit, Apple entend répondre à sa manière à ces enjeux. Il mettra ainsi à disposition dans le mois à venir un framework totalement ouvert, visant à permettre à toute organisation souhaitant conduire un programme de recherche pouvant tirer partie de la forte pénétration des produits d’Apple (iPhone et bientôt iWatch) au sein de la population, de développer aisément une application mobile répondant à ses besoins. Des détails supplémentaires concernant le ResearchKit sont disponibles sur le site de la société californienne.

Des promesses intéressantes pour la recherche

Comme indiqué en introduction, le ResearchKit entend fournir aux chercheurs les capacités de conduire des études facilement, sur des cohortes nombreuses, en récupérant des données enregistrées en temps réel, de manière centralisée et reproductible, et ceci dans des conditions relevant des conditions de vie quotidienne des sujets. Cinq applications/études sont déjà disponibles, traitant de pathologies variées (Parkinson, diabète, asthme, cancer du sein et maladies cardiovasculaires), et ceci en partenariat avec des institutions parmi les plus respectées du secteur, dont le Massachussets General Hospital, l’Université Cornell, ou encore les universités d’Oxford et de Stanford (en partenariat). Cette dernière étude, utilisant une application nommée MyHeartCounts, a par exemple vu plus de dix mille personnes télécharger l’application et s’inscrire à l’étude au cours des vingt-quatre heures ayant suivi son lancement. Ce succès retentissant témoigne du potentiel de ces études à large échelle, ainsi que de l’intérêt du grand public à la fois pour prendre part à des programmes de recherche médicale mais également pour utiliser plus largement les technologies modernes dans un but de suivi actif de leur santé. Mais cela pose également un certain nombre de questions réglementaires, éthiques et pratiques.

Des inquiétudes demeurent

Le premier sujet venant à l’esprit autour de la digitalisation de la médecine est bien souvent celui de la confidentialité et de la gestion des données individuelles de santé des patients. Sur ce point, Apple a choisi d’anticiper en assurant que la société « ne verra pas les données », pour reprendre les dires de Jeff Williams, directeur des opérations du groupe. L’accès à ces informations sera strictement soumis au consentement actif des utilisateurs, elles seront stockées de manière totalement chiffrée sur des serveurs extérieurs au géant californien, et uniquement accessibles par les équipes scientifiques et techniques des instituts de recherche. Plus encore, chaque sujet d’une étude peut choisir à qui permettre l’accès à ses données et de faire partie ou non de certaines bases de données agrégées qui seront inévitablement constituées dans un but d’étude sur le plus grand nombre. La transparence et la responsabilité est donc ici de mise, l’efficacité de l’utilisation de ces outils étant soumise à la volonté active des utilisateurs.

Néanmoins, malgré cette bonne volonté affichée, la question sous-jacente reste celle de l’anonymisation des informations individuelles et de son caractère irréversible, sachant qu’il est ici bien difficile d’assurer un risque zéro de ré-identification de certaines données collectées, et ce malgré la multiplication des initiatives à visée protectrice.

Ceci nous amène, a fortiori dans le domaine médical, au sujet non moins important du « consentement éclairé » (informed consent en anglais), qui est la clé de voûte réglementaire de toute recherche sur des sujets humains. Ceci consiste, antérieurement à tout engagement d’un patient au sein d’un essai clinique, de la mise en oeuvre des conditions pouvant attester de sa connaissance de la nature de l’étude et des risques qu’il encourt en s’y inscrivant. Cette étape est ici assurée sous la forme d’une « e-formation » sanctionnée d’une série de questions permettant de valider la prise de connaissance du patient en amont. Si cela offre une facilité de mise en oeuvre louable pour les chercheurs, se pose également la question de la vérification de l’identité de la personne validant son consentement, et plus encore de l’incapacité du patient à poser des questions au besoin, risquant ainsi de mettre en cause la validité du consentement.

L’une des inquiétudes sautant également aux yeux lorsqu’il s’agit d’utiliser son iPhone ou son iWatch pour participer à des études médicales est la question du biais dans le recrutement. Il est en effet évident que les individus rejoignant ces études possèdent d’ores et déjà l’un de ces objets, ce qui oriente considérablement le recrutement pour ce qui est de considérations sociologiques, ethniques, ainsi que de mode de vie. La surreprésentation de patients aisés, issus de pays industrialisés et évoluant dans des environnements semblables (en termes d’alimentation, de conditions sanitaires, etc.) est à prévoir. Or, l’un des piliers de toute étude de cohorte – sauf exception visant a priori une minorité quelconque – est justement d’assurer la représentativité de l’échantillon recruté au sein de la population. Au moment où jusqu’au Président Obama, l’on prend conscience aux Etats-Unis de la nécessité d’étudier la population dans sa diversité dans le but de mettre en relation des facteurs génétiques, environnementaux et de mode de vie, afin d’en extraire des corrélations faisant avancer notre compréhension de notre santé, cette inquiétude semble pour le moins justifiée. Il est possible que de par la pénétration sans cesse grandissante des équipements Apple dans le monde et le potentiel sans précédent en termes de nombre de personnes susceptibles de s’inscrire à ces études, ce biais soit in fine compensé. Il sera néanmoins important de garder ce sujet à l’esprit et de suivre les éventuelles réactions d’ordre réglementaire de la FDA durant les prochains mois.

Un paysage compétitif

Le ResearchKit est néanmoins à l’évidence une bonne nouvelle pour la recherche médicale, et une nouvelle corde prometteuse à l’arc des instituts de recherche dans le monde. En le rendant open source, c’est-à-dire accessible et modifiable par tous, Apple accomplit ici une initiative en partie désintéressée. Il convient néanmoins de replacer cette annonce dans un contexte de compétition féroce des géants de l’internet américains dans l’investissement du secteur de la santé au cours des dernières années. De ce point de vue, Apple est clairement en retard sur ses concurrents qui fournissent d’ores et déjà des services en ligne de stockage de données génomiques (Google Genomics et Amazon Web Services – Genomics), sans compter les multiples investissements de Google dans des sociétés de biotechnologies (via Google Ventures notamment), sa recherche au sein du groupe Google Life Sciences de Google X, son partenariat récent avec le géant pharmaceutique Novartis pour le développement de lentilles de contact intelligentes permettant de suivre son taux de glucose dans le sang, ou encore son implication dans la création de Calico, société de biotechnologies s’attachant à freiner le vieillissement humain.

Apple, dont l’iWatch a été conçue en partie comme un dispositif quasi-médical et le HealthKit d’ores et déjà bien lancé, confirme donc son intérêt pour le secteur de la santé ainsi que son intention de rivaliser avec ses rivaux principaux.

Le ResearchKit semble ainsi l’un des éléments d’un mouvement de fond du milieu de la santé, et témoigne parfaitement de ce grand mouvement appelé « médecine de précision » (Precision Medicine), sur toutes les lèvres dans le secteur, de la Silicon Valley à la Maison Blanche. Certains y voient déjà les premiers soubresauts d’une ère naissante où chacun aura bientôt accès à un large panel de capteurs, intégrés dans nos montres, téléphones portables, lentilles de contact, vêtements ou mêmes équipements domestiques, et permettant de suivre l’évolution du fonctionnement de son corps en continu sur des critères extérieurs et biologiques. L’utilisation de solutions logicielles de traitement de données faisant appel aux progrès de l’intelligence artificielle pourrait dès lors permettre à chacun de suivre sa santé de près, d’évaluer sa réaction à différents traitements, de prédire d’éventuelles pathologies et même à terme de se voir prévenir en avance aux premiers signes de trouble. Les prochaines années devraient ainsi voir se multiplier les innovations à la frontière des technologies de l’information et de la médecine, avec d’immenses motifs d’espoir pour la vitalité de l’innovation thérapeutique.

Source : bulletins-electroniques

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