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Science sans conscience… La fin justifie-t-elle les moyens ?

Posté le par La rédaction dans Entreprises et marchés

Si la complicité de Wernher von Braun (cf article dédié) dans l’utilisation de main d’oeuvre concentrationnaire suscite des questions éthiques, on peut aussi s’interroger sur la responsabilité de ceux qui ont soustrait le scientifique à la justice ?

Moralité des armes et de la guerre

La contribution de l’homme à la conception et à la fabrication des armes pour son pays lorsque celui-ci est en guerre est une attitude difficile à apprécier sur le plan moral. Celle-ci peut susciter des jugements fondés mais contradictoires. D’un coté, les pacifistes ne manquent pas d’arguments pour condamner le recours à la violence et dénoncer catégoriquement l’usage et la fabrication d’armes. De leur côté, les militaires, ont développé au fil des âges des critères leur permettant de distinguer les actes moralement défendables des actes de barbarie. En ce qui concerne la guerre elle-même, tandis que le premier traité sur l’Art de la guerre (rédigé par un certain Sun Tsé au Ve siècle avant notre ère) est considéré en Asie depuis longtemps comme une référence, des critères permettant de qualifier une guerre «juste» ont été proposés dans le monde chrétien, depuis le XIIIe siècle avec les travaux de Thomas d’Aquin.
A notre époque, le droit international humanitaire a mis en place des règles, en particulier lors de l’établissement des conventions de Genève. Les premiers objectifs visés étaient de protéger les militaires blessés ou malades (la création de la Croix Rouge date de la première convention de 1864). Ces droits ont été élargis à d’autres catégories au cours des conventions suivantes, en faveur des prisonniers de guerre, et plus récemment, des populations civiles. Certaines armes aussi, comme les mines antipersonnel, ont fait l’objet de conventions visant à en limiter l’utilisation ou à les interdire.
La question qui est posée ici est la suivante : si on ne condamne pas sans appel le recours aux armes, peut-on porter un jugement moral sur l’inventeur des fusées V2 ? Rappelons qu’à l’époque des faits, ces missiles (les premiers au monde) étaient particulièrement imprécis. Leur but ne pouvait donc pas être de détruire des cibles militaires clairement identifiées: les V2 étaient des armes qui tuaient indistinctement.

La fin justifie-t-elle les moyens ?

La question se pose, si on examine la biographie de l’ingénieur Wernher Von Braun, qui a détourné son rêve de voyage spatial, pendant le seconde guerre mondiale, en dirigeant les études de la conception de la fusée V2. Non seulement la finalité de son travail mais aussi les conditions de réalisation des objectifs et les moyens employés peuvent faire l’objet d’un jugement moral.
En effet, les conséquences de cette arme de représailles en terme de victimes dépasse de loin les huit mille morts et les trente mille blessés causés par les deux mille V2 lancés sur Anvers et Londres entre octobre 1944 et mai 1945 En fait, pour chaque fusée fabriquée, quatre hommes sont morts dans l’usine souterraine où ils travaillaient et où ils dormaient sans jamais voir le jour. Plus de vingt mille détenus sont ainsi morts de faim, de froid, ou sommairement exécutés, ou torturés, entre janvier 1944 et avril 1945 dans l’usine du camp de Dora-Northausen, « l’enfer des camps de concentration » dont on a peu entendu parler pendant longtemps. C’était pourtant un des plus grands camp de travail forcé alors.
Certes, en tant qu’ingénieur, Wernher Von Braun n’était pas le décideur final, son pouvoir comme celui de bien des ingénieurs était limité. Mais, il connaissait les conditions de vie et de travail des détenus de Dora. Ainsi, Wernher Von Braun a été complice, comme beaucoup d’autre peut-être, d’actes de barbarie. Mais, contrairement à beaucoup d’autres, alors qu’il était membre du parti nazi, il a échappé à tous les procès. Et cela pose une autre question, tout aussi grave. 

Une deuxième chance

En effet on constate avec étonnement que, bien que le scientifique se soit trouvé dans le camp des vaincus, l’évolution de sa carrière ne semble pas avoir pâti de la guerre et des actes dont il s’était rendu complice, bien au contraire. En effet, après s’être rendu le 2 mai 1945, Wernher Von Braun entame la seconde partie de sa carrière, mais cette fois «dans le camp des vainqueurs», comme il le déclarera avec une ironie teintée de cynisme à son biographe Bernard Ruland. En fait il est récupéré ainsi que des centaines d’autres savants, dans le plus grand secret, par l’armée américaine. En 1955, naturalisé américain, il est même nommé directeur du centre des missiles balistiques de l’armée, à Huntsville en Alabama. En 1956, il met au point une fusée qui s’élève à 1100 km du sol et retombe à 5780 km de son point de départ : c’est le premier tir du nouveau missile Jupiter-C. Mais, le 4 octobre 1957, les soviétiques mettent en orbite le premier satellite artificiel de la Terre, Spoutnik 1 : c’est un choc pour l’Amérique. Wernher Von Braun annonce alors qu’il est capable d’envoyer un satellite dans l’espace si on lui en donne les moyens. 

Le blame après le succès

Le 31 janvier 1958, une fusée Jupiter réussit la mise sur orbite du premier satellite américain, Explorer 1. Ce succès vaut à Wernher Von Braun une immense renommée aux Etats-Unis. La NASA est créée, il est nommé directeur du Centre spatial Georges Marshall. Le vaisseau Apollo 11 qui permet le débarquement du premier homme sur la Lune le 20 juillet 1969 est propulsé par une fusée Saturn V conçue par son équipe : c’est la gloire ! En réaction, la presse qui désapprouve sa présence dans le programme spatial américain, titre « Von Braun vise la Lune… et touche Londres ». C’est le premier blâme infligé au savant.
Alors, que penser, aujourd’hui de ce héros de la conquête spatiale : peut-on encenser le génie sans être gêné par son passé ? peut-on admirer l’exploit américain du premier pas sur la Lune sans penser au long silence de l’histoire sur le camp de Dora et sur ses prisonniers ? Car parler de Dora, ce n’était pas seulement ternir l’image d’un héros, mais aussi rappeler que les service secret américain avaient préféré s’emparer des savants allemands avant les russes plutôt que les laisser répondre de leurs actes devant la justice.

Par Christelle Didier

Posté le par La rédaction


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