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Décryptage

« Les réseaux sociaux d’entreprise transcendent la hiérarchie et ont tendance à aplatir la pyramide »

Posté le par La rédaction dans Informatique et Numérique

Interview croisée de David Fayon, co-auteur du livre « Réseaux sociaux et entreprise : les bonnes pratiques » et Anthony Poncier, auteur du livre « Les réseaux sociaux d’entreprise : 101 questions ». Ces deux experts en technologies numériques nous parlent des réseaux sociaux d’entreprise, de leurs opportunités aux risques engendrés par leur utilisation.

Techniques de l’Ingénieur : Comment définit-on les réseaux sociaux ? Quels sont ceux existant, publics et professionnels ?

Anthony Poncier : Généralement, on distingue trois types de réseaux sociaux. Les réseaux sociaux grand public comme Facebook ou Twitter, bien que la frontière ait tendance à se diluer étant donné que de plus en plus de professionnels sont présents sur Facebook avec des pages « fan » pour du e-commerce. Après, il y a les réseaux qualifiés de « professionnels » (Viadeo, LinkedIn) qui sont accessibles à tout le monde. Et puis il y a ce qu’on appelle les « réseaux sociaux d’entreprise », qui sont eux limités à la sphère de l’entreprise.

Même si l’entreprise peut les ouvrir à ses clients, ces réseaux sont contrôlés intégralement par l’entreprise qui les met en place. On ne peut y accéder que via un login et un mot de passe. La frontière est davantage fermée. L’idée de ces réseaux sociaux est de faire travailler ensemble les collaborateurs et les partenaires, de produire de la valeur à travers la coproduction, le travail en commun et notamment le conversationnel.

David Fayon : Les réseaux sociaux sur Internet ont des caractéristiques communes avec les réseaux sociaux dans la vie. Toutefois, ils possèdent des singularités propres : rapidité des contacts, connaissance des contacts de ses contacts, vision instantanée du réseau et de ce qu’il s’y passe. Ils servent à communiquer autour d’une marque, de ses produits, de ses services, à générer du buzz, nouer des contacts, recruter, améliorer la gestion de la relation client, innover, développer son chiffre d’affaires. Parmi les réseaux sociaux internes aux entreprises, on distingue des outils variés (Sharepoint, Yammer, Chatter, Bluekiwi, etc.).

Comment sont-ils utilisés ?

A.P. : Cela dépend des entreprises, chacune va déployer des usages particuliers. Mais les usages que l’on va retrouver le plus souvent sont la gestion des connaissances, la manière de capitaliser sur un certain nombre de savoirs. Tout en sachant que pendant très longtemps, dans les années 90, la gestion des connaissances était orientée vers les documents alors qu’aujourd’hui elle se tourne plus vers les personnes. La question étant de « trouver la bonne personne, qui va me donner la bonne information au bon moment. » D’où le côté conversationnel.

De cette manière, les gens sont mis en réseau et peuvent ainsi mieux se connaître. On va avoir des profils enrichis au travers d’un nombre d’informations à la fois personnelles et professionnelles. Cela va permettre de comprendre « qui fait quoi, qui est qui dans l’entreprise ». Cela revient à emprunter la démarche de Social CRM, où l’on va coproduire avec les parties prenantes externes pour améliorer un produit ou un service. L’idée est de mettre les gens en réseau pour les amener à travailler ensemble et produire plus de valeur ajoutée pour eux comme pour l’organisation au sein de laquelle ils travaillent.

D.F. : Des entreprises comme Google ont su utiliser les concepts tels que la mise en place d’une démarche collaborative pour partager le savoir entre des communautés identifiées et des experts. En décloisonnant les directions de l’entreprise afin de valoriser le savoir, l’esprit d’entreprise et d’équipe s’en trouve renforcé.

Que changent les réseaux sociaux en termes de méthode et d’organisation du travail ?

A.P. : Cela remet, en partie, en question les silos. Avant, chacun travaillait « dans son coin ». Même si ce n’est pas l’outil qui va changer radicalement la donne, le RSE permet de travailler avec des gens à l’autre bout du monde et de transcender plus facilement la hiérarchie : « Je suis au marketing, je vais pouvoir m’adresser plus facilement au N+2 de quelqu’un qui serait au RH, au même niveau que moi ». Cela a tendance à aplatir la pyramide. Que ce soit d’un point de vue géographique, organisationnel ou au niveau hiérarchique, cet outil est un facilitateur pour mettre les gens en réseau.

Peut-on considérer le RSE comme une nouvelle manière d’envisager le recrutement ?

A.P. : Énormément de jeunes qui vont se faire recruter, s’interrogent sur les outils utilisés par l’entreprise. Ils se demandent : « Est-ce que je vais retrouver ce que j’ai en externe, dans l’entreprise ? ». Les entreprises mettent leurs réseaux sociaux en valeur, dans le sens où elles aussi sont jeunes et dynamiques. Cela donne une autre image de l’entreprise et ça peut avoir un impact sur le recrutement.

Quelles sont les opportunités liées à ces réseaux sociaux ?

A.P. : Les entreprises choisissent de mettre en place des RSE car cela permet de joindre l’ensemble des salariés, de renforcer le lien social et de créer de la cohésion. Le but est d’accélérer l’innovation au sein de l’entreprise, d’éviter de répéter une erreur. Avec l’idée d’éviter de réinventer la route de façon permanente. On sait que dans 60 % des cas, alors que le livrable existe, on a tendance à repartir de zéro au lieu de le reprendre et de l’améliorer. On espère ainsi accroître la performance.

D.F. : Au préalable, la mise en place d’un RSE suppose une certaine taille critique pour l’entreprise ou l’organisation. Pour une petite PME de moins de 20 salariés, l’intérêt est peu évident. Des entreprises françaises ont la possibilité de se démarquer, dans le cadre de la mise en place de RSE, par rapport aux entreprises qui ne s’inspirent pas de ces évolutions.

Quelle est la rentabilité pour les RSE ?

A.P. : Avec l’obligation de rentabilité inévitable, on a tendance à calculer forcément le retour sur investissement. Mais ce n’est pas parce qu’une chose ne se mesure pas, qu’elle n’a pas de valeur. Et l’erreur qui est principalement faite, c’est de vouloir mesurer le RSE. Le RSE est un outil. Ce qu’il faut mesurer, c’est l’impact du RSE sur les processus business. « Je réduis mon temps sur un projet grâce à l’aspect collaboratif, je rends un travail de meilleure qualité et le client est plus satisfait dans un temps moindre ». Là, je mesure l’impact de mon processus business.

Quels sont les risques liés à ces réseaux sociaux, en termes de vie privée, confidentialité des données, productivité ?

D.F. : L’utilisation d’un réseau social comme Facebook peut engendrer une forme de distraction, une baisse de productivité… Pour un marketeur, le fait d’être sur Facebook peut s’avérer utile pour faire du profiling, des sondages ou différentes opérations marketing. En revanche, pour un salarié lambda, cela peut être vu comme un gadget s’il y passe trop de temps sachant qu’il s’agit aussi d’un juste milieu à trouver.

S’il y passe quelques minutes, cela peut s’avérer bénéfique pour l’entreprise. On passe d’une pause cigarette à une pause Web. Des études ont même montré que les salariés qui surfaient le plus étaient également ceux qui avaient le plus de productivité, qui communiquaient plus facilement, qui étaient les plus créatifs…

Toutefois, il est bon de se déconnecter de temps en temps afin de se consacrer deux heures à l’avancement d’un dossier de fond ou pour échanger physiquement sans être dérangé. Et contrairement à la machine à café où les échanges sont oraux, il n’existe pas d’oubli dans la vie numérique, les écrits restent. Une vigilance s’impose donc. L’utilisation d’informations sur l’activité des salariés peut également constituer un risque de « flicage ».

A.P. : Déjà, les gens ne sont pas obligés de remplir leur profil intégralement. Ils choisissent les informations qu’ils vont partager, au travers de conversations, de mails au sein de l’entreprise. Alors qu’une fois que le mail est lancé, on ne peut plus modifier son contenu. Dans le cas du RSE, on s’adresse à une communauté donc la perte de données est limitée. La frontière est fermée.

Sur la question des risques liés aux RSE, il y a plus une part de fantasme que de réalité. Quand on voit Dassault System qui travaille sur des systèmes pointus de l’innovation du secteur de la défense, mettre en place un RSE, c’est bien parce que ce risque est secondaire. Le RSE est un espace clos, fermé. Un collaborateur peut utiliser d’autres moyens de communication pour échanger. La question pourra se poser le jour où l’on considérera que l’on peut utiliser des informations personnelles pour évaluer les performances d’un employé. Là, il y aura une discussion qui se fera avec les IRP (Institutions Représentatives du Personnel) ou la CNIL.

Y’a-t-il un réel engouement pour les RSE ? Sont-ils sur le point de devenir une réalité ?

A.P. : On considère que c’est seulement depuis l’année dernière et cette année qu’il y a un vrai décollage des RSE. Au début, il a fallu que certains se projettent et prennent des risques pour lancer ce mode de communication. Or, ces derniers temps, il y a de plus en plus de retours d’expérience positifs. Le sujet est un peu plus mature, les entreprises s’aperçoivent qu’il y a un vrai enjeu, un vrai lien. Et surtout, il y a une demande de plus en plus forte de la part de leurs collaborateurs parce qu’ils le voient dans d’autres entreprises. Ce que l’on trouve au sein des réseaux externes est en train de rentrer au sein de l’entreprise. À défaut de se transformer en organisations 2.0, les entreprises créént des RSE. En cela, les RSE deviennent une réalité car ils sont toujours plus nombreux.

Pour quelles raisons, selon vous, l’introduction des réseaux sociaux dans les grandes entreprises connaît une très forte accélération depuis 2010 ?

D.F. : Plusieurs facteurs l’expliquent. D’une part, l’apparition de nombreux outils en réseau avec des fonctionnalités répondant à des usages. D’autre part, la direction intègre progressivement le fait que les réseaux sociaux ne constituent pas une mode, mais un phénomène durable avec des sources d’opportunité pour fluidifier sa communication, interagir, développer ses produits et services. Enfin, c’est également lié à la génération Y (les « digital natives » nés entre le début des années 1980 et 1995, qui frappent aux portes de l’entreprise) qui exerce une pression forte afin de travailler de manière collaborative avec des outils ou des services proches dans l’interface homme-machine de ceux qu’ils utilisent à des fins personnels.

Puisque cette génération est appelée à devenir omniprésente dans les prochaines années, l’entreprise doit être consciente de ces phénomènes structurants, notamment pour fidéliser ses salariés qui ont en moyenne un attachement moins fort à l’entreprise que leurs aînés.

A.P. : Les outils, en effet, progressent rapidement et deviennent toujours plus performants. Il suffit de regarder les médias sociaux d’entreprise, les outils d’il y a deux ans comparés à ceux actuels. Mais fondamentalement, il n’y a pas de rupture complète. On s’aperçoit plutôt qu’il y a un vrai retour positif et donc les gens s’engagent dans la brèche.

Quelles sont les innovations futures concernant les RSE ?

A.P. : On parle de plus en plus de « digital workplace », un environnement virtuel qui va être accessible par l’ensemble des collaborateurs, où qu’ils se trouvent. L’espace de travail est en voie de se redéfinir, ce qui fait que la frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle est en train de se flouter.

De même, il y a un certain nombre d’informations que l’on doit aller chercher soi-même au sein du RSE. On va voir que les réseaux sociaux  vont devenir de plus en plus intelligents. En rapport à ce que j’ai pu publier, à ce que j’ai mis sur mon profil, je vais avoir des informations qui « vont être poussées vers moi ». C’est l’ère du Big data. L’information qui se trouve sur le net, tout un tas de données extrêmement importantes sont en train de nourrir les systèmes d’information, y compris ces réseaux sociaux d’information. Ce qui veut dire que les flux business, les différents flux du reste d’Internet, vont faire remonter des informations, triées, analysées pour m’aider à prendre des décisions, à construire des choses avec mes collègues, mes partenaires, mes clients. Les interactions seront démultipliées, en temps réel. Ce qui va me permettre de produire de l’intelligence collective.

D.F. : On sera plus dans une gestion du temps événementielle avec un mode off ou online. Être connecté au réseau social tout étant visible de ses contacts, ou être connecté sans être visible si je ne veux pas être dérangé. Le rapport aux données sera crucial dans les technologies émergentes. Les stockages de données dans le Cloud, que ce soit le Cloud public ou Cloud privé, vont se généraliser. L’aspect évolution législative ne sera pas à occulter, notamment par rapport aux données et à leur utilisation. La réalité augmentée sera intégrée dans les réseaux sociaux, nous aurons la généralisation des QR codes.

Propos recueillis par Sébastien Tribot

 

David Fayon est directeur de projets SI à La Poste, et co-auteur des ouvrages « Réseaux sociaux et entreprise : les bonnes pratiques », (2011, éd. Pearson) et « Facebook, Twitter et les autres…» (2010, éd. Pearson).

Anthony Poncier est directeur/consultant chez Lecko en management et entreprise 2.0 et l’auteur du livre « Les réseaux sociaux d’entreprise : 101 questions ».

 

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