Décryptage

Charbon : l’Allemagne a éliminé l’équivalent de la production de 2 EPR

Posté le 11 mars 2016
par Pierre Thouverez
dans Matériaux

La porte-parole de la SFEN, Isabelle Jouette, a affirmé sur France-Inter : « aujourd’hui en Allemagne comment ça se passe, vous n’avez plus de nucléaire, donc on a remis en route les centrales à charbon, avec du lignite, merci ! ». Est-ce exact ?

C’est une très curieuse intervention d’Isabelle Jouette à laquelle ont assisté les auditeurs du « téléphone sonne » le 10 mars 2016, émission animée par Nicolas Demorand sur France-Inter. A la 33ème minute de l’émission on peut en effet entendre la porte-parole de la SFEN, Société Française de l’Electricité Nucléaire (association Loi 1901), dénoncer la politique allemande, mais avec un argumentaire erroné.

Un EPR de 1650 MW, dans l’hypothèse d’un facteur de capacité de 90%, produit chaque année 13 TWh. Selon les données AGEB (AG Energiebilanzen e.V.) entre 2003 et 2015 la production d’électricité à base de charbon à chuté de 28,5 TWh en Allemagne. Dont 9 TWh entre 2013 et 2015, c’est-à-dire ces deux dernières années. 28,5 TWh, c’est l’équivalent de la production électrique de deux EPR. Ce n’est donc pas du tout négligeable.

Le nucléaire a-t-il si peu d’avantages objectifs pour qu’il faille chercher à salir les renouvelables en les associant au charbon ? Isabelle Jouette était également à l’antenne de France 5 le 7 mars 2016.

La baisse de la production d’électricité à base de lignite en Allemagne entre 2003 et 2015 est en revanche beaucoup plus modeste : -3,2 TWh, soit environ la production annuelle d’un quart d’EPR. Avec des fluctuations durant ces 12 années, à la baisse, puis à la hausse (2010-2013), puis de nouveau à la baisse. Bien sûr c’est la tendance de fond à l’échelle décennale qui est pertinente. Ne focaliser uniquement que sur la période 2010-2013 ne serait pas intellectuellement honnête. La chute de l’électricité à base de gaz naturel (- 5,9 TWh) correspond de son côté à environ la production annuelle d’un demi-EPR.

Non seulement l’Allemagne est parvenue à éliminer l’équivalent de presque 3 EPR de production électrique à base de combustibles fossiles, mais elle a en plus diminué massivement sa production nucléaire : -73,6 TWh, l’équivalent de 5 EPR et demi !

Isabelle Jouette affirme qu’en Allemagne, « il n’y a plus de nucléaire ». C’est de nouveau factuellement faux : en 2015 les réacteurs nucléaires allemands ont délivré 92 TWh d’électricité, l’équivalent de la production de 7 EPR. Les réacteurs nucléaires correspondants seront fermés dès 2022, car l’Allemagne a une politique énergétique très claire. Et ce sont les énergies renouvelables, en premier lieu le solaire PV et l’éolien terrestre, qui prendront le relais.

L’équivalent d’un EPR 100% EnR installé chaque année

L’Allemagne a augmenté depuis 2003 sa production EnR de 148,5 TWh ! C’est équivalent à la production de 11 EPR et demi ! L’équivalent, en volume de production électrique, d’un EPR 100% renouvelable a été installé en Allemagne chaque année pendant 12 ans. La construction d’un véritable EPR prend au contraire de très nombreuses années, comme en témoignent les chantiers en France (Flamanville) et en Finlande.

En 2015 pas moins de 32,5% de l’électricité allemande a été d’origine renouvelable, contre 27,3% en 2014. Ce qui est remarquable dans ce pays où le potentiel hydroélectrique est bien plus faible qu’en France. Comme le souligne le magazine ConsoGlobe, « l’Allemagne bat des records pour les énergies renouvelables, la France l’ignore ».

Ségolène Royal est-elle solaro-sceptique ?

Ségolène Royal a affirmé sur TF1 le 7 mars 2016 que « dans les 5 ans qui viennent il y a aura 10 réacteurs qui vont arriver à échéance de ces 40 ans. Est-ce qu’on peut remplacer 10 réacteurs uniquement par des énergies renouvelables, la réponse est non. Il faut faire preuve de bon sens ».

En réalité ce sont 21 réacteurs totalisant 18,9 GW qui auront atteint leur limite d’âge de 40 ans dans les 5 ans qui viennent (2021) : Fessenheim 1 & 2, Buguey 2, 3, 4 & 5, Tricastin 1, 2, 3 et 4, Gravelines 1, 2 , 3 & 4, Dampierre 1, 2, 3 et 4, Saint-Laurent B 1 & 2, Blayais 1. Tous d’une puissance de 0,9 GW pièce.

Selon RTE (2014) le facteur de charge du parc nucléaire français est de 75%. 18,9 GW correspondent ainsi à environ 124 TWh, soit exactement les 25 points nécessaires pour faire passer la part du nucléaire de 75 à 50% dans le mix électrique français (500 TWh/an).

En partageant l’effort pour moitié entre l’éolien et le solaire PV, cela correspond à la production annuelle d’un parc solaire PV de 55 GW, ceci dans l’hypothèse d’un facteur de capacité de 13%, soit celui de la centrale solaire de Cestas. 55 GW correspondent à 183 centrales de Cestas (300 MW), soit une moyenne d’1,8 centrale par département. Une partie peut être réalisée en toiture de supermarchés, d’usines et de maisons. Une centrale solaire au sol de 300 MW par département, est-ce inacceptable ?

Installer 55 GW de solaire PV en 5 ans correspond à 11 GW par an. Est-ce techniquement impossible ? L’Allemagne a installé 7,4 GW de solaire PV durant l’année 2010, auxquels se sont ajoutés 7,5 GW en 2011 et 7,6 GW en 2012. La Chine a installé 18,5 GW de solaire durant la seule année 2015. La France, pays organisateur de la COP21, n’a installé que 0,9 GW de solaire PV en 2015. La France est-elle condamnée à faire 20 fois moins bien que la Chine ?

Démocratie énergétique

Le « bon sens » dont parle Ségolène Royal ne repose donc pas sur une base solide en matière de potentialités EnR. Et, peut-être pire, ce « bon sens » est en déphasage complet avec la promesse qu’a fait François Hollande à ses électeurs pour pouvoir accéder à la présidence de la République en 2012. Il se pose un très sérieux problème de déontologie politique.

Durant l’entretien sur TF1 Ségolène Royal a proposé de transformer le site de Fessenheim en usine Tesla. Pourquoi pas. Mais où en est le projet d’ « Airbus du solaire » dont François Hollande parlait il y a quelques années ? SolarCity est en train de terminer la construction dans l’état de New-York d’une giga-usine de panneaux solaires qui aura un débit de 1 GW de capteurs solaires chaque année.

C’est uniquement en investissant dans de telles usines que la France pourra baisser les coûts et ainsi tenter de rattraper son retard massif de compétitivité sur l’Asie dans ce domaine clé.

Aux USA, ils agissent.

Olivier Daniélo


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