Décryptage

La Chine, un quasi-monopole sur la production de terres rares

Posté le 24 janvier 2018
par Matthieu Combe
dans Matériaux

Si les métaux rares sont une trentaine, les « terres rares » en regroupent 17 des plus stratégiques pour les nouvelles technologies. La Chine assure 95 % de la production de ces terres convoitées. Un quasi-monopole qui profite largement à l'Empire du Milieu.

Les métaux rares sont une grande famille. Ils contiennent les 17 terres rares, le graphite, le cobalt, l’antimoine, le tungstène, le tantale, le platine, l’iridium, le ruthénium, le niobium et quelques autres. Ils ne sont pas forcément rares autour du globe. Cependant, leurs gisements assez vastes pour que l’exploitation soit commercialement rentables avec les technologies actuelles le sont.

Une stratégie chinoise bien pensée

Pendant six ans, le journaliste Guillaume Pitron a mené l’enquête sur les terres et métaux rares dans une douzaine de pays, sur quatre continents. Il en livre un témoignage poignant dans son livre La guerre des métaux rares. Son constat est sans appel : la Chine domine désormais celle des métaux rares. Il est le fournisseur quasiment unique des plus stratégiques d’entre eux, les terres rares. Si leur production annuelle limitée à 130.000 tonnes, contre 2 milliards de tonnes de fer, peut sembler anecdotique, elle est capitale et indispensable à nombre de nouvelles technologies. LED, écrans plats, voitures électriques, éoliennes à aimants permanents, téléphones portables, ordinateurs demandent leur pesant de terres rares.

Au début des années 1990, la Chine a commencé à vendre des terres rares à prix cassé. Les mines californiennes qui fournissaient la majorité du marché, ont dû fermer leurs portes dans les années 2000, les mineurs ont dû ranger leurs pioches. Les autres pays qui disposent des ressources, notamment la Russie, le Groenland, le Canada, le Vietnam, les Etats-Unis, et même la France en ont abandonné ou négligé l’exploitation. Seule maître à bord, la Chine fait désormais sa loi sur le marché. Résultat : elle concentre aujourd’hui 95 % de la production mondiale de terres rares, alors qu’en n’en détiendrait que 36 % des réserves. La situation pourrait changer d’ici une décennie, car la Chine pourrait décider de réserver l’ensemble de sa production de terres rares à ses seules entreprises, tant la demande de son industrie est importante. Les mines d’autres pays pourraient rouvrir.

Des impacts environnementaux majeurs

Durant son enquête, Guillaume Pitron a découvert que l’extraction de ces métaux rares génère d’importants impacts environnementaux. Les processus d’extraction et de séparation nécessitent beaucoup d’énergie, de produits chimiques et d’eau. En Chine, les acides sulfuriques et chlorhydriques polluent les cours d’eau aux alentours des mines. Les médias se sont fait l’échos de la pollution de différents fleuves et de la formation de montagnes de déchets. Ces extractions se sont accompagnées d’une hausse de maladies et de cancers considérables chez les riverains. Malgré l’interdiction des activités sauvages sous l’impulsion de l’opinion publique chinoise, le marché noir à l’exportation y resterait florissant. Quelque dix mille mines seraient éparpillées à travers le territoire chinois.

La question à Guillaume Pitron : Le monde se désoccidentalise. Avec ses barrières aux exportations de minerais, que cherche la Chine ?

Depuis une quinzaine d’années, la Chine a mis en place une politique où elle restreint ses exportations de minerais bruts pour garder la valeur ajoutée. Elle ne veut plus de la ligne colonialiste où les occidentaux n’iraient chercher que la matière et la transformer chez eux. La Chine met des quotas à l’exportation, mais donne un accès illimité aux entreprises qui viennent s’installer dans le pays. Elle convoite l’aval de la filière, c’est-à-dire les industries des hautes technologies utilisatrices de terres rares. Elle demande à ces entreprises d’apporter les structures industrielles, les emplois, le savoir-faire, les laboratoires de recherche et développement. Et elle utilise ces connaissances pour son développement. Alors qu’à la fin de la décennie 1990 le Japon, les États-Unis et l’Europe concentraient 90 % du marché des aimants, la Chine contrôle désormais les trois quarts de la production mondiale ! Les Chinois ont bien l’intention de gagner la bataille sur l’aval de toutes les technologies du futur et cela fonctionne. Le pays est déjà le leader des technologies vertes dans le monde. Il s’agit du premier producteur d’énergies vertes au monde, du premier fabricant d’équipements photovoltaïques, de la première puissance hydroélectrique, du premier investisseur dans l’éolien et du premier marché mondial des voitures à nouvelles énergies.

Cette situation chinoise sur les terres rares est reproduite dans d’autres pays qui connaissent des positions majoritaires. En Asie, en Afrique, en Amérique latine, un puissant phénomène de nationalisme des ressources minières fragilise de plus en plus les positions occidentales. Les ressources exploitées localement doivent alimenter la consommation intérieure plutôt que satisfaire les appétits de pays client.

Par Matthieu Combe, journaliste scientifique


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