Décryptage

Croissance économique, Innovation et Recherche-Développement des entreprises : des liens complexes qui méritent d’être explicités

Posté le 18 juin 2012
par La rédaction
dans Entreprises et marchés

Tribune [Pascal Da Costa]
Les liens entre RD, Innovation et Croissance sont fondamentaux pour l’avenir d’une zone économique comme l’Europe qui a vu sa croissance chutée sur la période 2000-2005, pour atteindre une croissance du PIB par tête 2,5 fois plus faible qu’aux Etats-Unis. Les dirigeants politiques en Europe s’interrogent donc sur les moyens d’enrayer ce phénomène qui progresse encore aujourd’hui, et de favoriser la croissance de la production et les parts de marchés des entreprises européennes. Dans cette perspective, des stratégies (stratégie de Lisbonne pour 2020…) et des programmes d’investissements (les investissements d’avenir de 2010 en France…) ont été engagés.

Quels bilans peut-on dresser en termes de croissance future, des programmes d’investissement déjà engagés en faveur de la RD et de l’Innovation ?

A titre de comparaison, quels sont les efforts réalisés par les Etats-Unis d’Amérique dans ce domaine ? (Etape 1)

Quels enseignements peut-on tirer de ces expériences passées ? Que conseillent de faire les Sciences Economiques en matière de nouvelle politique de Croissance ? (Etape 2)

Autant de questions auxquelles nous allons répondre avec pour objectif de mettre en perspective la question de la RD des entreprises avec les enjeux de la Croissance et de l’Innovation. Ce recul macroéconomique peut être utile avant que vous n’abordiez d’autres fiches, davantage centrées sur le processus de RD et de production des connaissances au sein des entreprises.

Malgré des efforts récents sur lesquels nous allons revenir en détails, les prévisions de croissance économique s’assombrissent de nouveau pour l’Europe et la France : le PIB de la zone euro se contracterait légèrement en 2012 (-0,2 %) puis progresserait faiblement en 2013 (+1,2 %), alors que la France résisterait à peine mieux (0,6 % en 2012 et 1,4 % en 2013). Or, c’est bien connu, le retour d’une croissance pérenne aurait de multiples avantages. Il viendrait soutenir l’emploi, alors que le taux de chômage risque, d’après l’OCDE, de dépasser en 2013  les 10% en France comme dans la zone euro.

Il permettrait également d’enclencher un désendettement, alors que cette dernière s’enlise dans la crise des dettes souveraine avec, toujours selon l’OCDE, un taux d’endettement (engagements financiers bruts des administrations publiques) qui frôle les 98 % du PIB. Il faciliterait enfin la mise en œuvre d’efforts bienvenus en matière énergétiques et climatiques, objectifs, absolument cruciaux à moyen-terme tant sur le plan économique qu’en terme de bien-être, que l’Union européenne s’est fixée en 2008 avec le paquet énergie-climat. Il est urgent de créer les conditions, qui ne sont pas réunies aujourd’hui en France notamment, permettant aux entreprises de produire les connaissances, sources des innovations futures et moteurs de la croissance.

Quels bilans peut-on dresser en termes de croissance future, des programmes d’investissement déjà engagés en France et en Europe ?  

A titre de comparaison, quels sont les efforts réalisés par les Etats-Unis d’Amérique en faveur de la RD et de l’innovation ? En 2011, le budget des Etats-Unis d’Amérique fit la part belle à l’éducation et la recherche, alors que l’ensemble des autres dépenses subissaient un gel (hors sécurité nationale). Cet effort portait principalement sur l’éducation dans le supérieur (universités) où les bourses d’études et de doctorat notamment augmentèrent très fortement dans le but d’atteindre deux objectifs : à court terme, en rallongeant la durée des études, on évitait que de jeunes travailleurs ne se retrouvent sur un marché du travail encore largement déprimé et, à plus long terme, en augmentant fortement la qualification des jeunes américains, on parie sur les réussites et les innovations de futurs créateurs.

Fiches pratiques : Déployer l’innovation à 360°

En tant qu’ingénieur, vous êtes, de par votre formation, bien préparé à appréhender les technologies émergentes, à travailler sur les projets de R&D et sur le développement de nouveaux produits, et à savoir effectuer des compromis technico-économiques. Vous savez inventer à partir de feuilles de routes bien délimitées, transmises par la direction ou le marketing.

Ces schémas ne tiennent plus ! Il est devenu vital pour les entreprises de savoir innover de manière rapide et systématique. La méthode, le processus, l’outil ou l’organisation, la culture et la motivation sont les briques indispensables à ce nouveau savoir-faire de l’innovation. Autant de notions familières à l’ingénieur qui vous propulsent au cœur du dispositif d’innovation des entreprises.

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En pleine crise, le fait que ce budget ait augmenté de plus de 30 % (par rapport à 2010) reflétait clairement (et aujourd’hui encore) la conviction américaine selon laquelle l’éducation et l’innovation sont les principaux moteurs de son économie et de sa croissance à long terme. Cette conviction est validée par les travaux des économistes de la croissance et de l’innovation.

Pourtant, et au contraire des Etats-Unis, l’Europe ne fournit pas encore autant d’effort en matière d’éducation supérieure, alors que l’enjeu pour elle est identique et consiste à élever son niveau de capital humain, afin d’être capable d’offrir la population qualifiée nécessaire aux entreprises, pour mener à bien des programmes de RD ambitieux. Le lien entre éducation et progrès technique réside en partie dans le fait que le niveau d’éducation affecte la croissance de long terme à travers un effet sur la vitesse d’adaptation aux changements technologiques.

Au moment où le débat sur le soutien de la croissance fait un retour remarqué en France, il est bon de rappeler ici que des efforts budgétaires avaient déjà été engagés en matière d’investissements d’avenir et de soutien de l’innovation dès 2007. Pour rappel, ces efforts ont porté principalement sur l’enseignement supérieur et la recherche, et ont été complétés par un grand emprunt national, en 2010, de 22 milliards d’euros. La création de grands campus d’écoles et d’universités qui, à terme, regrouperont un grand nombre de chercheurs et d’étudiants (favorisant une émulation forte) ainsi que de nouvelles structures de partenariats public-privé (instituts de recherche technologique…) sont toujours en cours de financement.

Bien entendu les effets positifs de ces mesures ne sont pas immédiats… mais le retard de la France est trop profond pour être optimiste. Pour preuves : la France investit aujourd’hui environ deux fois moins dans la formation de ses étudiants que les Etats-Unis, avec 11 000 euros par an et par étudiant, et reste bloquée, depuis une décennie déjà, autour des 2 % de PIB investis en recherche-développement (RD) contre déjà plus de 3 % outre atlantique. Au final, la stratégie de Lisbonne de 2000 qui consistait à atteindre les fameux 3 % de R-D dès 2010, pour chaque Etat membre de l’Union, a du être repoussé à l’horizon 2020, sans que toutes les raisons de ce raté n’aient été clairement tirées (la crise économique étant loin d’être le seul responsable).

Par ailleurs, force est de préciser que les deux-tiers de cet objectif devaient être rempli par les entreprises privées (et le restant par les Etats européens), dans lesquelles le nombre de chercheurs y est deux fois plus faible qu’aux Etats-Unis ou au Japon, avec seulement un peu plus de 3 chercheurs pour 1 000 emplois en Europe, contre plus de 7 dans les deux autres pays !

Faute de fournir autant d’effort dans les domaines de l’enseignement supérieur et de la RD des entreprises, la France et L’Europe risque donc de subir une croissance molle dans les années à venir, voire un décrochage économique à long terme par rapport aux Etats-Unis.

Quels enseignements peut-on tirer de ces expériences en matière de nouvelle politique de croissance ? Quels conseils tirer des travaux en Sciences Economiques dans ce domaine ?

De façon précise, Enseignement supérieur et Innovations des entreprises de petite taille sont deux compléments indispensables pour sortir la France d’une croissance molle. Les liens sont en effet étroits entre la croissance, la RD des entreprises et l’enseignement supérieur, et cela principalement à travers les notions d’innovations radicales et d’innovations incrémentales. Les premières modifient profondément les conditions d’utilisation de la technologie et, de ce fait, s’accompagnent d’un bouleversement technologique (passage du téléphone à internet par exemple) ; alors que les secondes, plus modestes et graduelles, regroupent les améliorations de techniques ou de produits déjà existants. Or ces deux types d’innovations n’ont pas les mêmes effets sur les taux de croissance.

Les innovations radicales renforcent la croissance de long terme. Les innovations incrémentales permettent quant à elles un rattrapage économique, à l’image de ce que fit l’Europe, sur la période 1945-1970, pour rattraper son retard de productivité par rapport aux Etats-Unis, grâce à un effort important dans l’enseignement primaire et secondaire, et dans des secteurs programmés et centralisés (énergie, transport…). Désormais, le renforcement du potentiel de croissance de la France nécessite de promouvoir à la fois l’innovation des entreprises et l’enseignement supérieur, pour sortir d’un développement jusqu’à présent trop basé sur les innovations incrémentales.

La capacité à produire des innovations radicales repose donc, au final, sur des Institutions qui ne sont pas les mêmes que celles ayant soutenu le développement des innovations incrémentales, lesquelles sont notamment favorisées par des investissements de long terme dans des entreprises de grande taille. Au contraire, l’innovation radicale requiert plus d’initiatives individuelles et de prise de risque que souvent seules les entreprises de petite taille (start-up, PME, entreprises de tailles intermédiaires…) sont capables de réaliser. L’innovation radicale exige aussi des ruptures techniques qui découlent généralement de travaux de recherche « pionniers » issus des universités.

Au regard de ce qui précède quelques conclusions en matière de politique économique peuvent être mise en avant.

Tout d’abord, un constat s’impose à propos du tissu industriel de la France, archétype du pays centralisé : il est constitué de grands et anciens groupes qui ont fait sa réussite par le passé. La France a désormais besoin d’entreprises plus réactives et innovantes dans une multitude de secteurs (numérique, santé, efficacité énergétique, hybridation des technologies…).

Ensuite, il apparait urgent, au moment où la discussion sur la croissance et le redressement productif bat son plein en France et en Europe, que l’environnement de ces entreprises évolue favorablement : par exemple qu’elles obtiennent enfin un accès bien réel au capital-risque, et qu’elles soient impliquées totalement dans les dispositifs d’investissements en RD déjà existants ou à venir.

Autant de points, pourtant essentiels, que le premier bilan du grand emprunt esquissé l’été dernier (conférence de l’Elysée du 27 juin 2011) laisse encore en suspens.

Par Pascal Da Costa

 

L’auteur

Diplômé du magistère d’économie de Paris 1 Panthéon-Sorbonne – ENS Ulm – EHESS et docteur en économie de Paris 1, Pascal da Costa est enseignant-chercheur et responsable des cours d’Économie à l’Ecole Centrale Paris. Ses travaux de recherche portant sur l’innovation, l’environnement et l’énergie, visent à déterminer les sentiers de croissance durable de nos économies, lesquels se fondent notamment sur des ruptures fiscales et technologiques.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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