Décryptage

« ElectricGate » : la voiture électrique est-elle vraiment un leurre énergétique ?

Posté le 24 janvier 2018
par Pierre Thouverez
dans Énergie

La voiture électrique à batterie est trois fois plus efficiente qu’une voiture thermique. Elle consomme trois fois moins d’énergie. Mais si l’on raisonne au niveau de l’intégralité du cycle de vie, en intégrant l’énergie nécessaire à la construction des voitures, alors l’avantage de la première deviendrait nul. C’est ce qu’affirme le journaliste Guillaume Pitron sur la base d’un rapport de l’ADEME, dénonçant un « ElectricGate », manifestement en réaction face au « DieselGate ». Est-ce exact ?

Les Inrocks.com annoncent la couleur sans ambages : « Un livre révèle “la plus fantastique opération de greenwashing de l’histoire”».  Le quotidien économique des Echos, dans un article intitulé « Ce monde plus vert tributaire de métaux « sales » et publié le 19 janvier 2018, cite Guillaume Pitron:

« Un ‘électricgate’ éclatera peut-être et donnera lieu, comme pour le scandale du ‘dieselgate’, à des actions judiciaires d’ampleur mondiale. Nous nous demanderons comment nous avons pu nous aveugler aussi longtemps face à la multiplication des évidences. Nous admettrons que le consensus qui s’était cristallisé entre les milieux économiques et politiques, soutenus de surcroît par de nombreuses associations environnementales, rendait toute contradiction inaudible. »

Et  France-Culture, le 16 janvier 2018, ajoute : 

« Si vous faites le calcul sur l’ensemble du cycle de vie des voitures électriques et de leurs batteries, depuis les mines dans lesquelles sont extraits les métaux jusqu’aux décharges, elles consomment autant d’énergie primaire (fossile, nucléaire etc.) qu’un véhicule diesel », résume Guillaume Pitron en citant un rapport de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie. »

Nous sommes en 2018. Pas en 2012

Il s’agit d’une étude de l’ADEME qui a deux ans (publiée en avril 2016) et qui repose elle-même sur des données datant de 2012. Le coût des batteries lithium s’est effondré ces 8 dernières années. En 2010 le kWh de stockage avec une batterie Lithium coûtait 1000 dollars. Puis 650 dollars en 2012, un peu plus de 500 dollars en 2014, un peu moins de 300 dollars en 2016 et un peu moins de 200 dollars aujourd’hui. Il tombera à 100 dollars en 2026 et à 73 dollars en 2030 d’après les experts de l’agence Bloomberg.

Or ce coût économique est proportionnel au coût énergétique, le premier est un excellent proxy du second. C’est ce que souligne l’ingénieur du corps des Mines qui a réalisé le rapport de la Fondation pour la Nature et l’Homme sur le solaire PV + stockage batterie :  « Le passage des coûts de fabrication de 400- 500 $/kWh, pour un coût énergétique de 350-400 kWh/kWh de stockage, à 100 $/kWh, correspond à une baisse équivalente de la consommation énergétique par kWh de stockage » (page 51). La division par 4 du coût économique traduit une division par 4 du coût énergétique.

Le rapport de l’ADEME utilise des données de 2012, c’est-à-dire quand le kWh de stockage batterie coûtait 650 dollars, soit environ 4 fois plus cher qu’aujourd’hui, et correspondait à un coût énergétique également 4 fois plus élevé. Cela change de manière très significative le bilan comparatif global entre voiture électrique à batterie et voiture thermique.

Les usines de batteries sud-coréennes (comme par exemple de LG Chem), chinoises (Byd) et japonaises (Panasonic) sont de plus en plus efficientes : pour produire un kWh de capacité de stockage batterie il est nécessaire de consommer de moins en moins d’énergie. 

Etude de l’ADEME publiée en 2016 et reposant sur des données de… 2012.


Autrement dit, il faudrait mettre à jour le rapport de l’ADEME pour pouvoir s’en servir en tant que référence pour le bilan actuel, et a fortiori pour réaliser une prospective. Utiliser des données anciennes fait au final, que ce soit volontaire ou involontaire, un peu le jeu de l’industrie Oil&Gas et de son prolongement, l’industrie des voitures thermiques. L’émergence de la voiture électrique à batterie menace d’énormes intérêts économiques. A fortiori en contexte de DieselGate qui nuit fortement à l’image de l’industrie des voitures diesel et renforce celle des voitures électrique.

L’ADEME affirmait dans son étude que «sur l’ensemble de son cycle de vie, la consommation énergétique d’un VE [vehicule électrique] est globalement proche de celle d’un véhicule diesel.»

Et Libération expliquait dans un article publié au second semestre 2017 que « cela s’explique par le fait qu’une voiture électrique nécessite deux fois plus d’énergie pour sa fabrication qu’une voiture thermique. Un des pôles les plus énergivores est l’assemblage des batteries. »

Une chute rapide du coût économique (et donc énergétique) des batteries

Etude de Bloomberg (2017). BEV = voiture électrique à batterie et ICE = voiture thermique. Le coût économique est proportionnel au coût énergétique.

Comme le montre un rapport de l’agence Bloomberg (juillet 2017) les batteries représentent aujourd’hui 42% du coût économique d’une voiture électrique. Ce chiffre tombera à 27% en 2024 et à 18% en 2030. C’est précisément en 2024 que le coût global (à l’achat) d’une voiture électrique à batterie sera égal à celui d’une voiture thermique. Aujourd’hui une voiture électrique (batterie comprise) coûte environ un tiers plus cher qu’une voiture thermique équivalente.

L’écart de coût énergétique au niveau de la voiture est donc probablement également proche d’un tiers aujourd’hui, et deviendra nul vers 2024. Après 2024 la balance penchera en défaveur de la voiture équipée d’un moteur à combustion interne.

L’électro-mobilité photovoltaïque est 180 fois plus efficiente que la thermo-mobilité

La voiture électrique, pour son fonctionnement au quotidien, consomme environ trois fois moins d’énergie qu’une voiture thermique équivalente et cet écart ne changera que très marginalement dans les années futures. Mais l’avantage de l’électromobilité est en réalité bien supérieur à ce facteur trois.

En effet l’énergie primaire fondamentale c’est celle rayonnée par le Soleil, tout autant pour le pétrole que pour l’éolien et bien sûr le photovoltaïque. Le disque terrestre intercepte une puissance solaire de 175.000 TW.

Dans le cadre d’ une étude dite Sun-to-Wheel (« du soleil à la roue », et non pas Well-to-Wheel, « du puits à la roue ») publiée dans la revue Environmental Science & Technology, les chercheurs Williams et al ont montré qu’une voiture thermique alimentée avec de l’éthanol de maïs consomme 180 fois plus d’énergie primaire qu’une voiture électrique équivalente alimentée par de l’électricité photovoltaïque.

Le pétrole et le gaz, eux aussi, sont des agrocarburants. Ces combustibles sont obtenus par la fossilisation de la biomasse planctonique, biomasse obtenue par photosynthèse. L’efficience Sun-to-Biomass (« du Soleil à la Biomasse ») n’est que de 0,20% pour le maïs et de l’ordre de 1% pour les micro-algues les plus performantes.

Source : Sun-to-wheels exergy efficiencies for bio-ethanol and photovoltaics. E Williams, A Sekar, S Matteson, BE Rittmann. Environmental science & technology 49 (11), pp 6394-6401, 2015.


Utopie électrique ? La perspective d’une civilisation écologique chinoise fait de l’ombre aux européens

Les moteurs électriques Tesla (tout comme les éoliennes d’Enercon) ne contiennent pas un seul gramme de néodyme et nombreux sont les fabricants qui construisent des batteries lithium sans consommer un seul gramme de cobalt.

Pour ce qui concerne les panneaux photovoltaïques, aucun élément ne sera limitant selon une étude réalisée par le MIT et intitulée « The Future of Solar Energy ». Même si le monde passait au 100% solaire + stockage batterie.

La Chine, qui veut construire une « civilisation écologique », est en situation de monopole sur les métaux dits « rares » et domine le marché du solaire et de l’éolien. Cela inquiète les stratèges européens. Aujourd’hui, parmi les 6 leaders mondiaux des modules photovoltaïques, 5 sont chinois. Parmi les leaders mondiaux de la fabrication d’éoliennes, 5 sont chinois. Et la Chine est également très bien positionnée dans le domaine de la mobilité électrique.

« Les terres rares sont à la Chine ce que le pétrole est au Moyen-Orient » affirmait Deng Xiaoping dès 1992. En attaquant les « CleanTechs », en les faisant passer pour « sales », n’est-ce pas la Chine qui, au fond, est visée ? Victor Hugo, dans sa lettre au capitaine Butler (Le Monde Diplomatique d’octobre 2004) écrivait:

« Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voila ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre. »

Jean-Gabriel Marie


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