Reportage

Le graphène va-t-il (enfin) révolutionner la supraconductivité ?

Posté le 25 avril 2018
par Sophie Hoguin
dans Matériaux

Des chercheurs du MIT ont montré la supraconductivité intrinsèque du graphène en découvrant que, placés sous un certain angle, deux feuillets de graphène pouvaient passer de l’état d’isolant à l’état de supraconducteur. Une ouverture vers de nombreuses autres recherches en matière de supraconductivité non conventionnelle.

On attend toujours beaucoup du graphène. Et il nous le donne ! Les propriétés de supraconductivité (induite ou directe) du graphène sont étudiées depuis que l’on connaît ce matériau. Jusqu’alors on avait réussi à donner au graphène des propriétés supraconductrices en le plaçant en contact avec d’autres matériaux supraconducteurs ou en le dopant avec des atomes de lithium par exemple, mais c’est la première fois que le graphène se montre supraconducteur par lui-même. Mais dans des conditions bien particulières. En effet, les recherches des physiciens du MIT, parues dans deux articles de Nature de mars 2018 – ici et – montrent comment le graphène peut se comporter comme un isolant total, bloquant le flux d’électrons ou comme un supraconducteur, où le courant électrique circule sans résistance quand deux feuillets sont placés dans une configuration bien précise.

L’angle magique

Pour obtenir cet étrange effet, les physiciens ont créé un super-réseau de deux feuillets de graphène empilés l’un sur l’autre mais pas exactement en correspondance : les deux feuillets sont en effet en rotation de 1,1° l’un par rapport à l’autre. Un angle magique pour lequel les interactions entre les électrons des deux feuillets sont particulières et très fortes alors qu’à d’autres angles les feuillets de graphène superposés interagissent très peu électroniquement l’un avec l’autre. Lorsque les deux feuillets sont positionnés dans cet angle magique, les feuillets se comportent comme un isolant. Mais lorsque on applique une tension au super-réseau de graphène, à partir d’un certain seuil, les électrons cassent cet état d’isolant et le matériau devient supraconducteur !

Outre des applications que l’on pourrait aisément envisager comme la fabrication d’un transistor de graphène que l’on pourrait faire passer de l’état isolant à supraconducteur à façon, cette découverte excite surtout les esprits des physiciens à travers le monde en raison des implications possibles en matière de supraconductivité non-conventionnelle.

Une lumière sur les cuprates ?

Les physiciens du MIT clament qu’ils ont trouvé une porte d’entrée et d’étude simplifiée vers les supraconducteurs non-conventionnels et les isolants de Mott (ces matériaux qui présentent la particularité d’avoir une structure de bandes électroniques pouvant donner lieu à des phénomènes de conduction électrique mais qui deviennent isolants du fait d’une forte interaction répulsive entre leurs électrons). Les supraconducteurs non-conventionnels, aussi appelés cuprates, révèlent leurs propriétés supraconductrices à de hautes températures (entendez par là aux alentours de 100°K au lieu de quelques degrés au-dessus du zéro absolu de 0°K soit -256°C). Étudies depuis plus de 30 ans les cuprates n’ont pas encore dévoilés tous les secrets de leur fonctionnement. Une clé éventuelle pour réaliser la supraconductivité à température ambiante.

Avec cette découverte, la communauté scientifique est à présent partagée. Comme l’illustre un article des news de Nature il y a ceux qui pensent que le graphène, bien que dans les recherches exposées ici sa supraconductivité se manifeste à 1,7°K, se comporte comme un cuprate et pourrait donc devenir une plateforme de recherche et de compréhension des phénomènes électroniques qui ont lieu dans ces matériaux. Cette découverte serait alors pour eux comme « une lumière qui viendrait de s’allumer » selon l’expression de Robert Laughlin, prix Nobel de physique 1998. D’autres sont plus sceptiques. Ainsi, Kamran Behnia, directeur de recherche au CNRS à l’École supérieure de physique-chimie de Paris (ESPCI), pense plutôt que si le graphène vient de prouver qu’il est un supraconducteur, et certainement un supraconducteur inhabituel, il n’est pas pour autant forcément un isolant de Mott. Ce qui est sûr pour tous, c’est que les recherches sur le sujet vont être relancées et abondantes dans les prochaines mois.

Sophie Hoguin

3750s

illustrations de l’empilement (voir pièces jointes)


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