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Décryptage

Hinkley point : Un coup de billard à trois bandes

Posté le par La rédaction dans Entreprises et marchés

Le gouvernement britannique a signé la semaine dernière en grande pompe un accord sur le nucléaire avec EDF et le chinois CGN. Cela fait plus de 20 ans que le Royaume, n’a pas construit de centrale nucléaire.

Les sourires étaient de mise ce 21 octobre à Londres. En présence du Président chinois Xi Jinping et du Premier Ministre David Cameron, EDF et la China General Nuclear Power Corporation (CGN) ont signé un Accord Stratégique d’Investissement pour la construction et l’exploitation de la centrale nucléaire à Hinkley Point C dans le Somerset (sud-ouest). Il s’agit d’une étape clé dans le renouveau du nucléaire outre-Manche, mais pas seulement. Hinkley Point est un projet déterminant pour les filières nucléaires chinoise et française. La première espère enfin poser un pied en Europe tandis que la deuxième cherche un second souffle pour l’EPR.

Renouveau nucléaire

Cet accord revêt une importance capitale pour le gouvernement britannique qui compte beaucoup sur le nucléaire pour lui fournir de l’énergie et réduire son empreinte carbone. En effet, le parc électrique de Sa Majesté est vieillissant (20% des capacités devraient fermer d’ici 5 ans) et très émetteur de CO2 (les centrales thermiques représentent 70% de la production d’électricité). C’est pourquoi Albion a décidé, il y a quelques années, de mettre en place un cadre réglementaire favorable pour la construction de nouvelles centrales nucléaires (16 réacteurs sont toujours en activité). L’atome est perçu comme un des moyens efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en assurant une production électrique fiable. « Je suis heureux d’annoncer la signature de cet accord historique (…) qui apportera une énergie sûre et abordable à quelque six millions de foyers, créera 25 000 emplois et nous permettra de travailler ensemble vers un futur bas-carbone », s’est félicité David Cameron.

Londres peut également se féliciter de ne pas avoir a déboursé un shilling pour la construction de ces nouvelles centrales. « C’est un excellent deal pour l’Angleterre et les consommateurs. Pour la première fois, une centrale nucléaire va être construite dans ce pays sans l’argent des contribuables », expliquait Edward Davey, secrétaire d’Etat à l’Energie et au Changement climatique. En contrepartie, ces derniers devront payer £92, 50 par MWh (en valeur de 2012). Un montant qui sera réduit à £89,50/MWh si le consortium valide la décision d’investissement sur Sizewell C (voir plus bas). Ce strike price élevé sera fixe pour les consommateurs, ce qui signifie que si le prix de marché venait à être supérieur à ce niveau, ils n’auront pas à payer plus. S’il se situe en-dessous du prix d’exercice, l’exploitant recevra un paiement complémentaire. Ce contrat, d’une durée de 35 ans, est protégé d’éventuels changement législatifs et réglementaires qui pourraient impacter le taux de retour équitable du projet évalué par EDF à 10%. Le prix d’exercice sera par ailleurs indexé sur l’indice de référence britannique de la consommation. Autre détail d’importance, le démantèlement des installations sera à la charge de l’exploitant.

EPR made in UK

Selon l’Accord Stratégique d’Investissement signé la semaine dernière, EDF et la China General Nuclear Power Corporation (CGN) vont s’associer pour construire puis exploiter la future centrale de Hinkley Point C. La participation de la compagnie dirigée par Jean-Bernard Lévy sera de 65,5% et celle de CGN de 33,5%. Une répartition que le français aurait voulu plus équilibrée. C’est pourquoi le groupe a annoncé : « Sans réduire cette participation initiale en dessous de 50%, EDF envisage en temps voulu d’impliquer d’autres investisseurs dans le projet ». Le consortium franco-chinois a par ailleurs confirmé le nom de ses fournisseurs.  L’ingénierie civile sera réalisée par Bouygues TP/ Laing O’Rourke, les travaux maritimes par Costain, les turbines et la maintenance par Alstom, enfin Areva NP (donc bientôt EDF) se chargera de la chaudière et des systèmes de contrôle-commande. Hinkley Point représente une nouvelle chance pour la filière nucléaire française de promouvoir son dernier né : le European Pressurized reactor (EPR). Seuls quatre réacteurs de type EPR sont aujourd’hui en cours de construction : un à Flamanville (Manche), un à Olkiluoto (Finlande), et deux à Taïshan (Chine). Les deux premiers chantiers français et finlandais accusent d’importants retards et surcoûts qui ont quelque peu entaché l’image de marque de la filière française, en pleine restructuration suite à la faillite d’Areva. Seuls ceux de Taïshan, que EDF construit déjà avec CGN, semblent tenir coûts et délais. Pour EDF, l’objectif est de montrer que l’EPR est sûr mais aussi compétitif.

General Nuclear International

Pour la filière nucléaire chinoise, le contrat anglais doit être le début d’une grande aventure. Avec Hinkley Point C, la Chine lance sa nouvelle compagnie, la General Nuclear International (GNI), qui joue le rôle de bras armé de la filière nucléaire chinoise à l’exportation. Car le contrat Hinkley Point pose les bases pour la construction non pas d’un, mais de plusieurs réacteurs au Royaume-Uni. EDF et CGN ont ainsi convenu des termes principaux d’un plus large partenariat visant au co-développement de nouvelles centrales nucléaires à Sizewell dans le Suffolk (est) et à Bradwell dans l’Essex (près de Londres). Si dans la première région, le projet prévoit que le groupe français et son partenaire chinois construisent de deux autres EPR, la deuxième devrait abriter quant à elles des réacteurs au design chinois. En effet, pour Bradwell, le consortium sera mené par CGN avec 66,5 %, contre 33,5 % pour EDF. Mais le rôle du français sera déterminant pour aider la compagnie chinoise à faire certifier son réacteur de grande puissance (HPR1000). Ces termes doivent être finalisés avant la décision finale d’investissement sur Hinkley Point C.

Win-Win-Win ?

Présenté comme un accord gagnant pour les trois parties, la stratégie d’EDF n’en reste pas moins très risquée. Le groupe supporte en grande partie les risques liés à un chantier de cette ampleur et ce, en refusant la garantie proposée par le gouvernement britannique, préférant faire appel aux marchés financiers pour financer le projet. Mais surtout, en accompagnant la certification du HPR1000, EDF ouvre la voie grande à ce qui sera son principal concurrent sur le marché mondial. Un réacteur qui aura intégré les retours d’expérience de l’EPR, les surcoûts en moins…

Par Romain Chicheportiche

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