Décryptage

La magie des lunettes photochromiques

Posté le 10 juillet 2011
par La rédaction
dans Chimie et Biotech

[Tribune] Ariel Fenster, professeur de chimie à l’Université McGill (Canada)
Avec la venue des beaux jours, beaucoup s’intéressent aux lunettes dotées de la propriété de changer de couleur en fonction de la lumière ambiante.

À l’extérieur, ces lentilles deviennent foncées, puis retournent à l’état clair une fois à l’intérieur. La technologie derrière ces lentilles, dites photochromiques, a beaucoup évolué depuis sa mise au point au cours des années 1960. À l’époque, le changement de teinte nécessitait une longue période, et il arrivait souvent que le processus de transition de la lentille soit subitement interrompu en cours de route.

Mises au point par la compagnie américaine Corning, les premières lentilles étaient faites de verre et l’agent photochromique dont elles étaient composées était un halogénure d’argent ; un principe similaire à la formation de négatifs dans la photographie en noir et blanc. À l’extérieur, sous l’influence des rayons solaires UV-A (longueur d’onde de 320-400 nm), les ions d’argent, normalement incolores, captent des électrons issus du verre. Les ions sont alors réduits en atome argenté élémentaire de couleur noire*. À l’intérieur, où les rayons ultraviolets sont minimes, le processus est inversé et les verres retrouvent leur teinte incolore.

Bien que les lentilles photochromiques conçues à l’aide de sel d’argent soient encore disponibles, elles ont grandement perdu de leur attrait en raison des inconvénients mentionnés précédemment. Par ailleurs, cette technologie ne fonctionne qu’avec des lentilles de verre, lesquelles sont beaucoup plus fragiles et plus lourdes que les lentilles de plastique qui leur ont succédé.

La chimie des lentilles photochromiques de plastique est entièrement différente de celle des lentilles de verre minéral. Cette technologie, développée par la compagnie Transitions Optical, fait appel à des molécules de colorants imbriquées dans le plastique. En l’absence de rayons ultraviolets, ces molécules – de la famille des indeno-napthopyrannes – n’absorbent pas la lumière dans la partie visible du spectre lumineux. Par conséquent, la lentille semble incolore. Par contre, à l’extérieur, une fois les molécules exposées aux rayons UV, une liaison chimique est rompue et la structure de la molécule est modifiée. Cela entraîne l’absorption des rayons ultraviolets, protégeant ainsi les yeux de ce rayonnement énergétique. De plus, cette nouvelle molécule absorbe également les rayons dans la partie visible du spectre lumineux, ce qui donne lieu à l’assombrissement du plastique.

Le choix du colorant n’est que l’un des nombreux défis rattachés à la fabrication de lentilles photochromiques. Le matériau de la lentille elle-même joue aussi un rôle important. Le plastique généralement utilisé dans la fabrication des lunettes ralentit le processus d’assombrissement et d’éclaircissement. Pour y remédier, des compagnies comme Transitions Optical ont développé leurs propres matériaux spécifiques aux lentilles photochromiques. Certains, dont le polycarbonate utilisé dans la fabrication de lentilles épaisses destinées aux corrections importantes, sont incompatibles avec le colorant. Dans ce cas, ce dernier est incorporé entre des couches de polyuréthane placées à la surface du polycarbonate.

L’un des problèmes majeurs des lentilles photochromiques est l’impossibilité de les porter pour la conduite. En effet, le matériau dont sont faits les parebrises bloque les rayons UV. Il existe néanmoins certaines molécules qui répondent à la lumière visible du spectre, mais elles n’assombrissent pas suffisamment la lentille pour permettre une conduite sécuritaire.

Le dernier facteur à considérer est l’effet de la température. Dans l’équilibre ci-dessus, la rupture de la liaison en rouge – qui cause l’assombrissement de la lentille – dépend des rayons UV. Toutefois, sous l’influence de la chaleur, le processus inverse se produit. La liaison chimique est renouée et la lentille s’éclaircit. Donc, pendant une journée chaude d’été, les lentilles ne seront pas aussi sombres que lors d’une journée ensoleillée d’hiver, alors que la température est de – 30 °C.

Maintenant que vous en savez un peu plus sur la science des lentilles photochromiques, je vous suggère d’approfondir vos connaissances avant d’en faire l’achat. Les forums de discussion d’acheteurs font part d’avis partagés, qui semblent dépendre largement des conditions d’utilisation.

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*La clarté de l’argent métallique est attribuable au fait qu’en couches successives, le métal a la propriété de réfléchir toutes les longueurs d’onde du spectre de la lumière visible.

 

Par Ariel Fenster, professeur à l’Université McGill (Canada), et membre fondateur de l’Organisation pour la Science et la Société