Interview

Les plantes, une source d’inspiration et d’innovation

Posté le 13 avril 2021
par Séverine Fontaine
dans Innovations sectorielles

Elles sont partout, et souvent on ne les voit pas. Les plantes ont pourtant des spécificités qui offrent matière à innover aux chercheurs et ingénieurs.

Lorsqu’on évoque la bioinspiration, on imagine souvent les pattes du gecko, l’araignée boiteuse, le vol en essaim ou la collaboration des fourmis. Des animaux. Pourtant, il existe une autre catégorie d’espèces qui inspire depuis très longtemps : les plantes. Plus discrètes sur le web, certaines réalisations bioinspirées sont utilisées ou visibles dans notre environnement. Le velcro (appelé plus communément « scratch »), les revêtements autonettoyants, la photosynthèse, les matériaux, les structures de bâtiment… Pour comprendre quelles sont les capacités de ces êtres vivants qui passent souvent inaperçus – un biais cognitif nommé « cécité botanique » ou invisibilité des plantes – et ce qui intéresse les chercheurs, nous avons échangé avec Agnès Guillot, docteure en psychophysiologie et biomathématiques. Elle a fait carrière en robotique bioinspirée à l’Université Paris-Ouest puis à l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (ISIR) de l’Université Pierre et Marie Curie. Elle a également co-écrit avec Jean-Arcady Meyer un livre consacré aux innovations inspirées des plantes « L’or vert, quand les plantes inspirent l’innovation » aux éditions CNRS.

Techniques de l’Ingénieur : Quelles sont les spécificités des plantes ?

Agnès Guillot : Les plantes, contrairement aux animaux, ne se déplacent pas. Elles sont donc obligées d’analyser et de prévoir de multiples facteurs de l’environnement – biotiques (en rapport à la vie ou êtres vivants) et abiotiques (non vivants) – pour maximiser leurs chances de survie. Pour cela, elles doivent donc prendre de multiples décisions. Pour l’ingénierie, il est très intéressant de comprendre comment elles le réalisent sans système nerveux. Par ailleurs, les plantes ne se déplacent pas mais elles bougent constamment, sans équipement musculaire. Il est aussi intéressant de comprendre comment des machines pourraient se mouvoir sans avoir de moteurs complexes et énergivores. Enfin, les plantes sont autonomes énergétiquement, elles fabriquent leur carburant par photosynthèse, contrairement aux animaux qui ont besoin de manger des végétaux ou d’autres animaux. Pour l’instant, une photosynthèse artificielle n’est pas encore compétitive.

Toutes les parties de la plante sont-elles inspirantes ?

Oui ! La fleur par exemple : les fleurs blanches de Diphylleia deviennent transparentes quand la pluie tombe. Elle est appelée la « fleur squelette ». En s’en inspirant, des chercheurs chinois ont réalisé du verre parfaitement transparent sous l’eau en le bombardant avec un laser « femtoseconde » qui le rend poreux à l’échelle nanométrique. Il pourra équiper des instruments d’optique sous-marine ou médicale. Mais également la tige : un implant italien s’est inspiré du rotin pour remplacer les os lésés. Contrairement à d’autres implants artificiels, il laisse l’os humain se régénérer. Les feuilles évidemment, pour leur capacité d’auto-nettoyage ou pour la photosynthèse, et leurs nervures dont s’inspirent certains algorithmes. Enfin, les racines : le « cerveau » ou plutôt la « tour de contrôle » des plantes, qui se trouverait à l’extrémité des racines. Elles sont des têtes chercheuses aux sensibilités multiples. Certaines recherches montreraient même qu’elles se dirigeraient vers un son reproduisant de l’eau qui coule. Les racines sont des sources infinies de futures innovations !

Avez-vous des exemples de réalisations bioinspirées par le végétal ?

Dans notre ouvrage, nous en avons répertorié plus d’une centaine ! Les plus connues sont les textures autonettoyantes ou le velcro (très utilisé dans les vêtements d’astronautes), qui sont inspirées des aspérités des feuilles du lotus et de la fleur de bardane. Plus récente, une texture imitant les trichomes en forme de batteurs à œufs qui recouvrent les feuilles de la fougère aquatique Salvinia. Grâce à ces aspérités, la plante ne sombre jamais. En revêtant les bateaux de cette texture, ils économisent du carburant et dégagent moins de CO2. Cette texture pourrait aussi bloquer les ondes des sonars. D’autres inspirations, issues du cactus ou des racines de palétuviers, améliorent la récupération d’eau ou la désalinisation sans produits polluants. Je pense également à une entreprise suisse, qui a déjà commercialisé le textile C_change, constitué de fibre cellulosiques qui ouvrent des « micro-volets » permettant au tissu de « respirer ». Elle s’est inspirée de la pomme de pin qui ouvre et ferme ses écailles en fonction de la chaleur et de l’humidité ambiante.

Que reste-t-il à découvrir ? Où en est la recherche ?

Il y a encore beaucoup de recherches en devenir. Comme je l’ai évoqué, la reproduction artificielle de la photosynthèse est loin d’être résolue, les feuilles sont bien plus en avance que les ingénieurs ! La prise de décision sans cerveau et la motricité sans muscles ne sont pas encore tout à fait comprises. On y pense pour des applications en robotique, mais aussi en médecine, pour délivrer les médicaments dans le corps. Quant aux racines, le réseau complexe qu’elles forment avec les rhizomes de champignons et d’autres végétaux et que l’on nomme le Wood World Web pourraient bientôt concurrencer Internet, sans que l’on n’ait d’applications réelles pour le moment. Enfin, un aspect intriguant de la vie végétale n’ayant pas encore été exploitée est la gestion de leur temps, qui semble s’écouler beaucoup plus lentement que dans la vie animale. Beaucoup de leurs mouvements ne nous sont visibles que par un film en accéléré. Comment les végétaux font-ils pour « ralentir » le temps ? A ma connaissance, il n’y a aucune étude sur ce point et cela pourrait être une source de recherches bioinspirées pouvant avoir des retombées capitales, ne serait-ce que dans le domaine de la santé.


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