Interview

Obsolescence logicielle : l’INEC se joint à la pétition contre la mort programmée de Windows 10

Posté le 6 octobre 2025
par Arnaud Moign
dans Informatique et Numérique

La fin du support de Windows 10, programmée pour le 14 octobre 2025, met les utilisateurs face à un choix : continuer à utiliser Windows 10 en prenant des risques pour la cybersécurité, ou changer l’ensemble de leur parc informatique ! Un véritable scandale du point de vue de l’obsolescence logicielle qui a engendré une pétition demandant au géant américain de maintenir des mises à jour de sécurité non payantes de Windows 10 à minima jusqu'à 2030. L’INEC s’est joint à cet appel.

Windows 11 est sorti en 2021, mais ce nouveau système d’exploitation est malheureusement réservé aux ordinateurs de moins de quatre ans répondant à des critères techniques particuliers. La fin de Windows 10 pourrait ainsi envoyer « à la poubelle » jusqu’à 400 millions d’ordinateurs dans le monde, encore largement fonctionnels !

Pour Emmanuelle Ledoux, directrice générale de l’INEC, ce non-sens du point de vue de l’économie circulaire est aussi en contradiction totale avec la loi AGEC.

 

Emmanuelle LEDOUX est directrice générale de l’INEC (Crédit : INEC)

  L’Institut National de l’Économie Circulaire (INEC) est un think tank dont la mission est de promouvoir la transition d’une économie linéaire à une économie circulaire.

Emmanuelle Ledoux en est la directrice générale.

Elle a notamment contribué à une étude démontrant la nécessité d’une meilleure gestion des ressources pour réussir la décarbonation « SNBC sous contrainte de ressources » en juin 2022.

Elle a aussi coécrit, avec Grégory Richa, l’ouvrage « Pivoter vers l’industrie circulaire » publié aux éditions Dunod en octobre 2022.

Techniques de l’ingénieur : Quel message voulez-vous faire passer en vous joignant à cette pétition ?

Emmanuelle Ledoux: Ce sujet soulève plusieurs problématiques. Il y a d’une part une question de coût. Ce n’est pas pour rien que la pétition lancée par l’association Halte à l’Obsolescence Programmée (HOP) s’appelle « Non à la taxe Windows », car le remplacement des 400 millions d’ordinateurs dans le monde pourrait engendrer un coût de 10 milliards d’euros pour les utilisateurs.

Si on prend le cas de la France, certains départements estiment que le remplacement de leur parc informatique leur coûterait plus d’un million d’euros, ce qui est énorme ! Rien que pour la ville de Paris, sur les 40 000 ordinateurs du parc informatique, 14 000 sont potentiellement concernés.

Mais l’INEC souhaitait aussi faire passer un autre message : nous avons voulu rappeler que la loi française définit et restreint l’obsolescence prématurée des appareils électroniques depuis la loi AGEC (article 27). En clair, le législateur français a pris position contre la fin de vie prématurée d’appareils numériques encore fonctionnels, et l’INEC appelle simplement à faire respecter cette loi ! Nous attendons donc une décision des pouvoirs publics sur ce point.

Ces problématiques d’obsolescence concernent-elles d’autres domaines ?

Je trouve que ce sujet illustre parfaitement l’économie circulaire dans toute sa complexité et la question de l’obsolescence doit nous interroger sur l’adéquation entre puissance de calcul, fonctionnalités proposées et usage réel.

Or, la mise au rebut de milliers d’ordinateurs parfaitement fonctionnels et toujours adaptés à l’usage est problématique. Par exemple, dans les grosses structures, le parc informatique est régulièrement renouvelé, bien que fonctionnel, sans que cela vienne d’une demande des utilisateurs.

Et on constate aussi que plus on monte dans l’organigramme, plus les ordinateurs sont performants, alors que les usages se limitent souvent à du travail de bureautique qui ne demande pas de puissance de calcul. L’ordinateur, c’est un peu comme la voiture de fonction : un symbole de puissance. D’ailleurs, les voitures sont également concernées par l’obsolescence logicielle, puisqu’elles sont de plus en plus technologiques.

On peut étendre ce constat à de nombreux objets de notre quotidien, notamment les smartphones, mais aussi l’électroménager, qui est de plus en plus « tech ». Est-il réellement nécessaire de posséder un lave-linge ou un lave-vaisselle bourré de capteurs, d’électronique, connecté et avec 17 programmes, quand on sait que la plupart des gens en utilisent seulement 2 ou 3 ? Par ailleurs, plus un appareil intègre d’électronique, plus il coûte cher et plus il risque de tomber en panne !

N’est-ce pas aussi l’occasion de sortir de notre dépendance à Microsoft ?

Quand on parle d’économie circulaire, il y a toujours, en toile de fond, cette idée de lutter contre la dépendance à l’import d’un certain nombre de produits ou services. Cette obsolescence programmée de Windows 10 est peut-être le moment de remettre en question notre dépendance à Windows.

C’est difficile, car nous sommes habitués à naviguer dans l’univers Microsoft depuis des décennies. Et le fait que l’éducation nationale utilise ses licences contribue à alimenter ce monopole, mais c’est tout à fait envisageable, car l’Open Source n’est plus aussi complexe à utiliser qu’il y a 20 ans et les interfaces sont désormais bien plus accessibles.

Microsoft peut-il faire machine arrière ou espère-t-il que le monde plie ?

On peut reprocher à Microsoft son manque d’ambition sur les questions d’obsolescence logicielle. Néanmoins, je pense aussi que, compte tenu des millions de licences Windows qui sont en jeu, Microsoft n’a pas intérêt à se fâcher avec l’administration publique, donc des compromis sont sans doute possibles.

Il est important que nous puissions avoir le choix de faire durer ces ordinateurs le plus longtemps possible ou de les remplacer, mais il faudra se battre pour ça et c’est tout l’intérêt de cette pétition qui demande tout simplement le maintien des mises à jour de sécurité non payantes de Windows 10 a minima jusqu’à 2030.

Et dans le cas contraire, l’INEC appelle simplement les autorités à faire respecter la loi AGEC qui interdit de réduire délibérément la vie d’un produit !

Nota bene

Microsoft devait cesser de mettre à jour gratuitement Windows 10, le 14 octobre 2025. Mais le 26 septembre, Microsoft a décidé d’ouvrir la voie vers une prolongation des mises à jour pendant un an, pour les particuliers européens. Néanmoins, pour les professionnels, ces mises à jour demeureront payantes et ne pourront dépasser trois ans.


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