Décryptage

Terraformation de Mars : comment rendre une planète habitable ?

Posté le 24 juillet 2012
par La rédaction
dans Environnement

Il existe une solution alternative à la lutte contre le réchauffement climatique : changer de planète. Les projets de d'implantation humaine sur d'autres planètes, utopistes il y a encore peu, prennent forme. Le projet le plus avancé concerne la planète Mars. Les explications.

 

Constuire une première base permanente sur Mars ne semble pas trop ardu. De nombreux projets sont étudié depuis 1981. On se pose près d’un endroit où il y a de la glace ou de l’eau à faible profondeur ; on assemble les modules qui constitueront le « noyau » de la base. Ensuite, on installe des systèmes de recyclage de l’air, de l’eau et des déchets, alimentés en énergie par des panneaux solaires. Mars ne recevant que 30 à 40 % de l’énergie solaire reçue par la Terre, il faudra en poser sur de vastes étendues. Les colons pourront également utiliser ces panneaux pour la production de nourriture : en effet, il est prévu de faire pousser des plantes par culture hydroponique sous serres. Ces techniques de production végétale sont déjà bien maîtrisées : elles ont un rendement parfois quatre fois supérieur à celui des méthodes traditionnelles, mais sont aussi beaucoup plus  » gourmande  » en énergie.

 

D’autres structures, gonflables, pourront servir d’habitat. En fait, aucune révolution technologique n’est vraiment nécessaire pour s’installer sur Mars. Coloniser la planète rouge semble presque à portée de main, mais la rendre habitable est une autre affaire que certains n’hésitent plus à franchir.

 

Chris McKay, cofondateur des conférences The Case for Mars en 1980 et célèbre exobiologiste (spécialiste de la vie dans l’Univers) de la NASA, travaille d’arrache-pied au centre de recherches Ames de la NASA, à Mountain View, en Californie, sur les possibilités de coloniser Mars. Il ne capitule pas : pour lui, la colonisation de Mars ne s’arrête pas aux simples objectifs scientifiques. Comme d’autres chercheurs, il étudie l’étape suivante de la colonisation : la « terraformation » de la planète rouge. Il s’agit de recréer un environnement semblable en tout point à celui de la Terre. Mars deviendrait ainsi une petite « planète bleue », avec des océans et des continents abritant une flore et une faune diversifiées. Il ne faut pas oublier que la planète rouge a connu au début de son histoire des conditions climatiques semblables à celles de la Terre. Son atmosphère était alors plus épaisse, plus dense qu’aujourd’hui et l’eau coulait librement à se surface, formant des lacs et rivières. On pense même qu’un vaste océan couvrit l’hémisphère Nord. Mais Mars s’est vite refroidie. Aujourd’hui, la pression atmosphérique n’est que de 6 mbar en moyenne à la surface, contre 1013 mbar pour la Terre au niveau des océans : l’eau ne peut plus être liquide sur Mars.

 

Comment faire d’un monde froid et sec une oasis foisonnant de vie ? Comment rendre à Mars sa jeunesse d’antan ? Pour certains scientifiques, on pourrait aisément créer des « niches » écologiques en creusant de profondes dépressions à la surface de la planète. Au fond de ces fosses, la pression atmosphérique serait beaucoup plus élevée qu’à la surface. Avec une pression de 20 mbar, par exemple, au lieu de 6 en moyenne, on peut déjà cultiver quelques plantes résistant au froid et au manque d’humidité comme les lichens. Des expériences menées en Russie ont montré que ces végétaux s’adaptent à une atmosphère de type martien, essentiellement composée de gaz carbonique. Seule différence avec le comportement des lichens sur la Terre, les lichens de Mars fixent l’oxygène dans leurs racines au lieu de le rejeter dans l’atmosphère. Mais comment creuser la surface de Mars ? Certains proposent de faire précipiter de gros astéroïdes, quitte à perturber l’équilibre de la planète forgé au cours de milliards d’années !

 

Finalement, il ne s’agit que d’interventions chirurgicale ponctuelles. La terraformation implique un changement à l’échelle de la planète tout entière. McKay  et Zubrin, le concepteur du voyage Mars Direct, pensent qu’il faudrait d’abord enclencher un « effet de serre » sur Mars pour réchauffer son atmosphère. Or, l’opération s’avère difficile sur la planète rouge, car c’est un réchauffement de 50°C qu’il faudrait obtenir pour dégeler les zones tropicales et permettre à l’eau de couler librement.

 

Par chance, Mars est riche en gaz carbonique. Celui-ci constitue 95,3 % de son atmosphère et il stocké, en grandes quantités, dans les glaces des pôles (surtout au pôle Sud) et les roches. C’est un gaz qui engendre un « effet de serre », car il est capable de piéger efficacement la chaleur. Les deux scientifiques imaginent alors un système tirant parti des propriétés du gaz carbonique : en réchauffant les pôles, par exemple, on libère ce gaz dans l’atmosphère martienne. Celle-ci se densifie et se réchauffe en piégeant davantage la chaleur solaire. La température de la surface monte et le gaz carbonique est produit en plus grandes quantités par les calottes polaires et le sous-sol, augmentant encore la pression et la température de l’atmosphère. En résumé, plus la planète se réchauffe, plus son atmosphère devient dense et elle se réchauffe encore. Le processus se poursuit jusqu’à l’épuisement de tout le gaz carbonique stocké dans le sol.

 

La quantité de gaz à effet de serre étant proportionnelle au carré de la température désirée, un réchauffement de 10°C ne nécessite que 4% des efforts requis pour obtenir un réchauffement de 50°C. Réchauffer la planète de 10°C serait un bon début, pensent les deux scientifiques, car cela permettrait de commencer à libérer le gaz carbonique piégé dans le sous-sol martien. Aux températures qui y règnent actuellement, le sol martien a pu absorber jusqu’à 20% de son poids en CO2 en 2 ou 3 milliards d’années. En élevant un peu la température des roches, on rompt libérerait de grandes quantités de ce gaz et la pression atmosphérique s’élèverait doucement.

 

Le secret : la bonne utilisation du CO2 déjà présent

 

McKay et Zubrin pensent qu’une petite impulsion suffirait pour déclencher un réchauffement global. Ils suggèrent de commencer par la calotte polaire australe, qui est le grand réservoir de gaz carbonique de la planète (contrairement à la boréale qui est composée en partie d’eau). En élevant la température de seulement 4°C, le gaz carbonique sous forme de glace carbonique commencerait à s’évaporer dans l’atmosphère, sans pouvoir se recondenser, car il ne ferait plus assez froid.

 

Comment provoquer ce petit réchauffement initial de 4°C au pôle Sud ? Les technologies existantes permettent de gonfler de petites structures en orbites. Dans un proche avenir, l’homme sera capable d’en assembler de plus grandes. Les ingénieurs pensent qu’un miroir positionné à 200 000 km de la planète et large de 250 km pourrait réfléchir assez de lumière solaire pour réchauffer de 5°C les régions au sud de 70° de latitude Sud. Par exemple, on peut utiliser un réflecteur solaire en Mylar, qui ressemble à une grande voile circulaire. Epais de 4mm, il aurait une masse de 200 000t et nécessiterait d’être fabriqué dans l’espace. Même si cette masse à assembler semble élevée aujourd’hui, une telle opération sera réalisable quand l’homme possédera de nombreuses bases industrielles sur la Lune et autour de la Terre. D’autres scientifiques ont proposé le « saupoudrage » du pôle Sud de poussière noires (débrits d’astéroïdes et comètes) qui, du fait de leur faible taux réfléchissant, absorberaient mieux la chaleur solaire et feraient fondre la glace … En revanche, ils restent plus évasifs quant à l’efficacité et à la durée du processus de fonte de la glace carbonique.

 

Le gaz carbonique, sous une pression atmosphérique de 6 mbar (pôle Sud), se condense à -126°C. Au-dessus, il passe de l’état solide à l’état gazeux. Par ailleurs, la pression ne peut beaucoup augmenter au-dessus de 6 mbar, car, en raison du froid ambiant, l’excédent de gaz se condense à la surface en glace carbonique … le piège est refermé !

 

L’accélération d’un processus naturel … grâce à un miroir orbital

 

Voici les raisons pour lesquelles les deux chercheurs pensent qu’un petit réchauffement viendra rompre ce fragile équilibre. Il faut, en outre, que la température dépasse les -122°C sinon, le CO2 n’est pas relâché en quantité suffisante pour piéger davantage de chaleur solaire : il fait toujours aux alentours de -126°C et, inévitablement, le gaz carbonique finit par regeler à la surface. Au-dessus de -122°C, l’atmosphère devient suffisamment épaisse pour conserver la chaleur accumulée. Le CO2 ne peut plus se condenser et se déposerà la surface. Il s’agit là d’un point de non-retour et du début de l’effet de serre recherché.

 

L’effet de serre va se poursuivre d’une façon rapide, proportionnellement à l’augmentation de la pression atmosphérique ambiante: en une vingtaine d’années, la glace carbonique du pôle Sud va entièrement se sublimer, entraînant une pression atmosphérique proche de 100 mbar. La température va monter globalement de 10°C à la surface de la planète, et ce sera au tour du gaz carbonique du sous-sol d’être libéré. Cette libération est progressive, car il faut du temps pour que les couches de terrain profondes soient atteintes, mais les effets seront rapides : 20 mbar supplémentaires seront obtenus au bout de un an, 100 mbar au bout de 25 ans, … 400 mbar au bout de 400 ans. Or, les deux chercheurs pensent qu’un autre point d’équilibre sera atteint lorsque la pression atmosphérique affichera 500 mbar. En effet, les températures des zones intertropicales avoisineront les 0°C, mais ne les dépasseront guère pendant plusieurs mois, empêchant un dégel massif du pergélisol martien.

 

Seconde étape : le réchauffement atificiel

 

McKay et Zubrin estiment qu’il faudrait aider la planète à se réchauffer davantage et forcer plus encore les roches à relâcher leur gaz carbonique. Théoriquement, en libérant le gaz, piégé entre 80 et 200m de profondeur, on pourrait obtenir 600 mbar de pression supplémentaire, mais dans 2500 ans seulement. Mars connaîtrait alors une pression atmosphérique identique à celle de la Terre. Comment accélérer ce processus ? On connaît certains gaz à puissant effet de serre comme les CFC (= chlorofluorocarbures) tant décriés sur la Terre. Ceux-ci pourraient être produits artificiellement sur Mars et être lâchés dans l’atmosphère martienne. Ils préconisent, en revanche, une sélection de ces gaz, en privilégiant ceux, comme le perfluorométhane, qui ne possèdent qu’une faible teneur en chlore : il faut éviter de détruire la mince couche d’ozone martienne qui martienne qui ne représente que 1/60 de l’épaisseur de celle de la Terre.

 

Une fois que l’atmosphère connaîtra un effet de serre durable, le pergélisol commencera à dégeler, et l’eau coulera de nouveau à la surface de Mars. La chaleur solaire aidant, une partie de l’eau s’évapora dans l’atmosphère. La vapeur d’eau étant un excellent gaz à effet de serre, elle accélérera le réchauffement global de la planète. En fait, les deux scientifiques ont calculé que le maintien par des CFC de la température atmosphérique à 20°C au-dessus de la température créée par l’accroissement du gaz carbonique aura un puissant effet de levier : la température de la planète se trouvera augmentée de 40°C. Une fois l’atmosphère martienne considérablement épaissie, les colons pourront librement marcher à sa surface, sans combinaison spatiale, en respirant simplement à l’aide d’un masque de plongée et de bouteilles d’oxygène. En attendant de respirer directement un air oxygéné, mais contenant peut-être de dangeureuses bactéries.

 

Un monde enfin habitable … pour l’avenir de l’homme ?

 

Nul ne sait encore ce qui peut se cacher dans le sous-sol martien. Officiellement, on n’a pas trouvé de vie sur Mars, mais rien n’est moins sûr au vu des résultats des expériences biologiques Viking.

 

Il se peut ainsi que l’on réveille accidentellement des micro-organismes dangereux pour l’homme ou pour les végétaux qu’il désire implanter. Il n’est donc pas possible d’envisager une terraformation de Mars à grande échelle tant que nous ne saurons pas s’il existe une forme de vie, même très primitive, sur la planète rouge. Or, si Mars possède des traces de vie, il faudra s’assurer que celles-ci ne disparaissent pas et les confiner géographiquement pour les conserver. Il faudra même veiller à ce que ces niches écologiques demeurent des sanctuaires inviolés pour l’éternité.

 

Cette atmosphère de gaz carbonique, artificiellement reconstituée, ne permettra pas la présence de la vie animale à la surface de la planète. Si des bactéries et des plantes primitives peuvent se développer. Les phanérogames ont besoin de 1 mbar au mininum de pression d’oxygène pour survivre, les mamifères et les hommes nécessitent 120 mbar, ainsi qu’un taux minimal d’azote. McKay et Zubrin pensent que ce premier millibar pourrait être obtenu en moins d’un siècle par l’action de plantes et de bactéries génétiquement modifiées. On peut accélérer la croissance de ces plantes en faisant fondre le pergélisol pour relâcher davantage d’humidité dans l’atmosphère : on augmente alors l’efficacité des bactéries aptes à extraire l’azote du sol et à le rejeter dans l’atmosphère. Les 120 mbar d’O2 pourraient être atteints en 900 ans, permettant aux hommes de marcher à l’air libre sans porter de masque ni de bouteilles d’oxygène.

 

L’homme aura ainsi crée un monde à son image … mais son avenir est-il vraiment sur Mars ? Devra-t-il attendre neuf siècle avant de pouvoir coloniser une nouvelle Terre ? Ces rêves un peu fous de terraformation pourraient rester dans les cartons des ingénieurs, tandis que d’autres dresseront des plans pour franchir les immensités entre les étoiles. Finalement, même si un tel scénario ne se déroulait jamais, Mars aura été pour nous une merveilleuse planète à rêver !

 

Sources : GOURSAC, Olivier de, « A la conquête de Mars », Paris, Larousse-Bordas, 2000, pp. 197-203


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