Multiplier les rendements de manioc et d’igname par six, améliorer la sécurité alimentaire en Afrique et développer une industrie locale de transformation: c’est la promesse de l’agronome nigériane Mercy Diebiru-Ojo, lauréate du prestigieux Africa Food Prize, récompense dédiée à ceux qui contribuent à l’amélioration de l’agriculture sur le continent.
La lauréate de 44 ans, qui a remporté ce prix aux côtés de la kényane Mary Abukutsa-Onyango, a mis au point avec son équipe de recherche de l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA) situé à Ibadan, dans le sud-ouest nigérian, une technologie destinée à doper les rendements de manioc et d’igname.
Traditionnellement, les agriculteurs replantent saison après saison des morceaux des mêmes racines d’igname et de manioc afin d’obtenir de nouvelles récoltes, ce qui conduit peu à peu à un appauvrissement de la résistance des plantes, et donc à une vulnérabilité accrue aux maladies et à un affaiblissement des rendements.
Mercy Diebiru-Ojo a mis au point une technique où les plants sont d’abord cultivés dans des serres les protégeant des maladies, dans de petites barquettes en hydroponie, une méthode de culture des plantes hors sol, où les racines poussent dans une solution nutritive riche en minéraux.
– « Révolution » –
Lorsque les plantes poussent, une partie est coupée et immédiatement replantée dans ce substrat riche en minéraux essentiels à leur croissance, avant d’être finalement mise en terre en plein champ.
Grâce à cette méthode, la plante « va se développer très vigoureusement », permettant des rendements « jusqu’à 30 tonnes par hectare » par an, au lieu des 5 tonnes habituelles, estime Mme Diebiru-Ojo, qui n’hésite pas à parler de « révolution dans le secteur du manioc dans ce pays ».
La chercheuse a collaboré avec l’entreprise américaine Sahtechno qui a mis au point il y a une vingtaine d’années cette technique baptisée SAH (culture hydroponique semi-autotrophique) et l’a adaptée au contexte nigérian.
Le Nigeria est de loin le plus grand producteur mondial de manioc et d’igname avec plus de 60 millions de tonnes de chaque produites par an. Le pays le plus peuplé d’Afrique produit environ 70% des ignames et 20% du manioc dans le monde, selon les données de l’IITA.
Malgré cette pole position, le pays dépense environ 600 millions de dollars chaque année pour l’importation de produits issus du manioc, selon la Banque centrale nigériane.
Le manioc et l’igname, consommées des racines aux feuilles, poussent facilement dans des sols pauvres et nécessitent peu de main d’oeuvre. En général ce sont de petits agriculteurs qui le cultivent comme culture de subsistance et vendent le surplus.
Ils sont très prisés en cuisine (farine, tapioca, bouilli, frit, en purée, etc.) mais leur utilisation peut aussi être industrielle dans les bioplastiques et les biocarburants ainsi que dans les produits pharmaceutiques, cosmétiques et textiles grâce à leur amidon.
– Sécurité alimentaire –
« Le manioc est l’un des actifs les plus stratégiques de notre portefeuille agricole », déclarait en juillet le vice-président nigérian Kashim Shettima, mentionnant la nécessité de transformer le produit localement et saluant le travail de l’IITA et le déploiement de son système SAH.
Dans un pays où plus de 30 millions d’habitants sont confrontés à la famine, selon le Programme alimentaire mondial, l’augmentation des rendements permettrait aux foyers de planter de quoi se nourrir « juste dans un petit jardin derrière chez eux », explique la chercheuse.
Au Nigeria, l’insécurité liée aux jihadistes dans le nord-est, aux bandes armées criminelles dans le nord-ouest et aux affrontements intercommunautaires dans le centre a largement contribué au déclin agricole et à l’insécurité alimentaire, les agriculteurs étant chassés de leurs terres ou contraints de les abandonner pour ne pas risquer leur vie. « Plus besoin d’aller dans la brousse pour cultiver les champs », affirme Mme Diebiru-Ojo.
L’objectif est aussi de développer le secteur privé censé commercialiser les graines et former les agriculteurs à la méthode SAH. Le IITA collabore déjà avec des entreprises et des institutions publiques dans une quinzaine de pays africains.
Car l’objectif est « d’aider l’Afrique à atteindre la sécurité alimentaire, pas seulement le Nigeria », voire même d’aller « au-delà du continent », déclare la scientifique qui ne s’attendait « pas du tout » à recevoir l’Africa Food Prize et qui espère « inspirer d’autres femmes scientifiques ».
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