« Une angoisse terrible »: des difficultés d’approvisionnement pour certains médicaments psychiatriques persistent en France depuis des mois, synonymes d’épreuve pour des malades et de fardeau accru pour leurs soignants.
Apprendre « qu’il n’y a plus assez de traitement ou que la pharmacie n’en a plus et qu’il faut chercher ailleurs », c’est « une angoisse terrible » qui « peut aggraver certains troubles », déclare à l’AFP Sébastien Rabiller, sous quétiapine après « une dizaine d’années d’errance médicale ».
« Ma pharmacienne m’a dit: +C’est l’enfer pour les malades et l’enfer pour nous+. Et ça dure depuis des mois », rapporte cet habitant des Deux-Sèvres, membre de l’association Argos 2001 d’aide aux patients et proches de bipolaires.
Après la quétiapine -neuroleptique souvent prescrit pour traiter la schizophrénie, la bipolarité, certaines dépressions-, les tensions d’approvisionnement ont touché le teralithe -sels de lithium contre la bipolarité- ou des antidépresseurs courants, la sertraline et la venlaxafine.
Alors que la santé mentale est « grande cause nationale » en 2025, une quinzaine de tensions d’approvisionnement et ruptures de stock en psychotropes ont été signalées par l’Agence nationale de sécurité du médicament depuis début janvier.
Ces pénuries récurrentes qui touchent certains médicaments en France ont des causes diverses, dont la délocalisation de la production de principes actifs et un système de fixation des prix parfois jugé insuffisamment rémunérateur par l’industrie pharmaceutique.
En réponse, l’ANSM a annoncé plusieurs mesures: interdiction d’exportations, restriction de prescriptions, délivrance à l’unité de comprimés, préparations magistrales en pharmacie, etc.
Sébastien Rabiller s’est ainsi vu prescrire de la quétiapine à libération immédiate, et non plus prolongée comme son traitement initial, « fabriquée dans une pharmacie à Paris »: « ça agit d’un coup, je ne tiens plus debout après ma prise, j’ai parfois des sensations proches du manque en fin de journée ».
Et « je devais commander, avec des délais de livraison incertains, parfois 8-10 jours. Une fois, je me suis retrouvé avec deux gélules restantes, sans nouvelles de la pharmacie », se remémore ce quadragénaire.
Lui qui songeait à « essayer le lithium » craint aussi de « graves tensions » pour ce traitement clef des troubles de l’humeur: « sur des groupes Facebook de bipolaires, depuis quelques jours les gens sont extrêmement inquiets pour le lithium, courent les pharmacies ».
– « La tête hors de l’eau » –
Ces difficultés touchent « des traitements de fond qui font tenir certaines personnes la tête hors de l’eau, avec des équilibres extrêmement précaires qui ont parfois été très longs à trouver », souligne David Masson, psychiatre au centre psychothérapique de Nancy.
« J’ai une patiente atteinte de troubles bipolaires qui a récemment replongé en dépression parce qu’elle n’avait plus sa quétiapine, et là, comme soignant, ça prend aux tripes, avec un mélange d’indignation et de colère », dit-il.
Communiqués, tribunes, messages sur les réseaux sociaux: des soignants et des associations dénoncent régulièrement une « situation intenable » alors que la psychiatrie est « à bout ».
« Des manques dans quasiment toutes les gammes de psychotropes, benzodiazépines exceptées » dont « des médicaments incontournables » dans leur catégorie, « je n’ai pas souvenir d’avoir vu ça ces 20 dernières années », souligne le Dr Masson.
Parmi les premiers à alerter sur la quétiapine, le Pr Antoine Pelissolo, chef de service à l’hôpital Henri-Mondor à Créteil, confirme « des trous dans quasiment chacune des classes thérapeutiques » mais constate « des progrès: le problème est désormais pris en compte par les autorités, il y a davantage de visibilité et des solutions partielles ».
« On se dit: +il faudrait donner tel traitement, mais est-ce qu’on peut?+ Il y a des classes thérapeutiques pour lesquelles, si l’on a l’information à temps d’un problème d’approvisionnement important, on peut changer de molécule. D’autres avec deux-trois molécules, et parfois le patient en a déjà essayé une sans succès », expose le Pr Pelissolo.
Or « un changement brutal de traitement peut entraîner des risques vitaux », affirme Marie-Jeanne Richard, ex-présidente de l’Union nationale des amis et familles de malades mentaux (Unafam).
Chez certaines familles, « l’angoisse est importante: elles doivent parfois aider à trouver une officine avec des stocks et être très vigilantes sur leur proche, dont la stabilité peut être réduite ». Côté soignants, certains évoquent « une charge mentale en plus » et « une perte de temps », sur fond d’effectifs insuffisants.
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