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Décryptage

« L’état des piscines contenant les combustibles usés est devenu le point le plus préoccupant »

Posté le par La rédaction dans Environnement

[Interview] Hubert Flocard

Hubert Flocard est directeur de recherche au CNRS – Université Paris-XI / Centre de spectrométrie nucléaire et de spectrométrie de masse. Selon lui, l'état des piscines est plus préoccupant que celui des réacteurs.

Techniques de l’ingénieur : Quels types de réacteurs sont concernés par les évènements tragiques au Japon ?

Il s’agit de réacteurs de type BWR (Boiling Water Reactor), soit « à eau bouillante ». En bas de la cuve du réacteur, on injecte de l’eau. Elle remonte le long des gaines des crayons de combustible. Cette eau est échauffée surtout par transfert thermique au contact des crayons et un peu par collision des neutrons qu’elle ralentit. Elle se chauffe donc en même temps qu’elle refroidit les crayons et modère le réacteur. Dans la partie supérieure de la cuve, au-dessus des assemblages de combustible, elle devient gazeuse (ébullition). Cette vapeur sort ensuite du bâtiment de confinement, passe dans les turbines, puis dans un condenseur avant d’être réinjectée sous forme liquide dans la cuve.

Quelle est la différence avec les réacteurs français ?

Un réacteur bouillant fonctionne dans une gamme de températures similaire et à une pression plus basse que celles des réacteurs français. Ceux-ci sont tous des réacteurs de type PWR (Pressurized Water Reactor) soit « à eau pressurisée ». Dans le monde, la filière PWR représente approximativement 60 % des réacteurs en fonctionnement, les BWR presque tout le reste.

La filière PWR se distingue donc de la filière BWR par le fait que l’eau « primaire », c’est-à-dire l’eau qui passe au contact des crayons de combustible, est maintenue sous forte pression et ne devient jamais gazeuse. Par ailleurs, elle ne quitte jamais l’enceinte de confinement du réacteur.

L’eau sortant de la cuve du réacteur, traverse dans une tubulure un dispositif échangeur de chaleur (le générateur de vapeur) placé lui-aussi dans l’enceinte de confinement du réacteur. De l’autre coté de la tubulure passe à contre-courant l’eau d’un circuit dit « secondaire ». Celle-ci s’échauffe puis se vaporise. C’est cette vapeur qui part dans des turbines puis, après condensation au contact d’une source d’eau froide, est renvoyée dans le générateur de vapeur

 » La fusion des réacteurs n’est plus aujourd’hui le point le plus préoccuant, surtout depuis que l’autorité de sûreté japonaise a autorisé l’injection d’eau de mer et qu’on incorpore à celli-ci du Bore, un élément qui étouffe les fissions. » Hubert Flocard

Quel est le danger spécifique de ces réacteurs ?

Il n’est pas fondamentalement différent pour les BWR et les PWR. Le problème n’est pas lié à l’emballement des réacteurs, car une propriété de l’eau fait que plus la température augmente, plus la réactivité du réacteur baisse. Les réacteurs de Fukushima, comme les réacteurs français, sont des réacteurs intrinsèquement stables. Ceci les distingue en particulier du réacteur de Tchernobyl qui lui était instable.

La  phase de fonctionnement la plus sensible des systèmes PWR et BWR, très bien connue des ingénieurs, est au contraire mal perçue par le public. Elle tient à l’évacuation de la chaleur résiduelle lorsque le réacteur vient juste d’être arrêté. Cette phase s’étale ensuite sur plusieurs semaines.

L’évacuation de la chaleur résiduelle nécessite de faire tourner de l’eau pour refroidir les assemblages de combustibles dans la cuve. Ceux-ci sont chauffés par l’intense radioactivité des produits de fission, alors même que les réactions en chaîne sont stoppées. En état de fonctionnement, un réacteur dont la puissance électrique est de 1 gigawatt (GW) – les réacteurs 1, 2, 3 et 4 de Fukushima sont plus petits –  développe une puissance thermique voisine de 3 GW. Lorsqu’on arrête les réactions en chaîne, au bout de peu de temps, la puissance thermique dans la cuve tombe à une dizaine, quinzaine de mégawatts (MW), soit 200 à 300 fois moins. Les dégagements de chaleur restent néanmoins très importants.

En cas d’arrêt en conditions normales ou incidentelle, il n’y a pas de problème particulier. Soit, le réseau électrique externe permet de faire tourner les pompes d’un circuit de refroidissement, soit, si la connexion au réseau électrique est interrompue, on fait appel à des diesels de secours pour alimenter les pompes.

Dans le cas des réacteurs Fukushima 1, 2 et 3 qui étaient en fonctionnement, le tremblement de terre, mais surtout le tsunami, ont rendu ces deux dispositifs de secours indisponibles en même temps. Le refroidissement du cœur du réacteur n’étant plus assuré, température et pression montent. Il faut  relâcher de la vapeur de la cuve vers des bacs de décompression prévus à cet effet. Le niveau de l’eau dans la cuve baisse. Graduellement, les barres de combustible se découvrent alors qu’elles devraient toujours rester immergées sous eau. C’est ce qu’on appelle le « dénoyage ».

Les crayons de combustible se dégradent et laissent sortir des produits de fission dans la cuve. De plus, la pression monte alors dans les bacs de décompression qui ne sont pas prévus pour fonctionner à un tel régime. Au bout d’un certain temps, pour faire baisser cette pression, l’opérateur relâche de la vapeur d’eau mélangée à des gaz (dont de l’hydrogène et des gaz radioactifs) hors du bâtiment de confinement dans le bâtiment réacteur et de façon ultime dans l’atmosphère.

Y’a-t-il un risque que les cœurs de réacteur entrent en fusion ?

Cela dépend de ce qu’on entend par « fusion ». Si la température augmente trop, les enveloppes métalliques des crayons, qui sont généralement faites dans un alliage à base de zirconium, peuvent se fendre. Il se crée ainsi un contact, qui n’a jamais lieu en fonctionnement normal, entre le combustible et l’eau, entrainant des produits de fission, très mobiles.

Quand les barreaux de combustibles sont partiellement hors d’eau et hors refroidissement, leur température interne qui dépasse 1 000°C au centre du crayon, conduit à une dégradation ou une destruction de la gaine métallique qui peut alors fondre. Elle peut aussi s’oxyder par réduction chimique de l’eau à haute température libérant alors de l’hydrogène. Tant que celui-ci reste dans la cuve, où il n’y pas d’oxygène, il n’est pas particulièrement dangereux. Par contre, une fois relâché du bâtiment de confinement vers le bâtiment réacteur où il s’accumule en présence de l’oxygène de l’air, on obtient un mélange explosif. C’est l’explosion de cet hydrogène qui a détruit les bardages des bâtiments de trois réacteurs.

Au sein de la cuve, le terme « fusion » correspond plutôt à une dégradation irréversible des crayons (tout ou partie) et l’accumulation du combustible issu des crayons endommagés au fond de la cuve. C’est le « corium »

Est-il possible que le corium perce la cuve et passe ensuite dans le sol ?

La cuve en acier et le béton sont là pour faire barrage. C’est ce qui est arrivé lors de l’accident de Three Mile Island (1979). La cuve a résisté. Sans être impossible, le scénario dit du « syndrome chinois » n’est donc pas le plus probable.

À mon avis, la fusion des réacteurs n’est plus aujourd’hui le point le plus préoccupant, surtout depuis que l’autorité de sûreté japonaise a autorisé l’injection d’eau de mer et qu’on incorpore à celle-ci du Bore, un élément qui étouffe les fissions.

Quel est le point le plus inquiétant selon vous ?

Ce sont les piscines et les combustibles usés. Même si la puissance ici est encore plus faible que dans les cuves (sur le premier réacteur, on parle de 0,3 MW à évacuer, sur le quatrième, 3 MW), elle est loin d’être négligeable. Sans circulation de refroidissement, elle fera bouillir l’eau. Le danger vient alors de ce que les combustibles usés, qui ne sont pas confinés dans un bâtiment dédié, se retrouvent au contact de l’air après évaporation de l’eau des piscines, puis se dégradent et relâchent des produits radioactifs. Dans la configuration de Fukushima, les piscines sont placées en haut du bâtiment du réacteur. Elles peuvent avoir été endommagées par les explosions hydrogène et ne plus être étanches.

La comparaison avec Tchernobyl est-elle fondée ?

Si l’on base la comparaison sur le scénario de déroulement de l’accident, la réponse est non, car les causes et le déroulement sont totalement différents. Si par contre on se réfère au niveau de pollution radioactive qui pourrait s’ensuivre, dans l’hypothèse la plus pessimiste en particulier au niveau des piscines, il y aurait effectivement similitude.

Comme pour Tchernobyl, cela va donner lieu à une zone de no man’s land…

Bien sûr. Toutefois les questions qui restent sont d’une part son extension et d’autre part sa durée. Ils dépendront des quantités et de la nature des produits relâchés ainsi que de la météorologie. La zone d’interdiction de Tchernobyl a été définie selon le panache radioactif lui-même piloté par la direction et la force des vents. S’il y a des relâchements, ce sera la même chose pour Fukushima. Actuellement, la radioactivité n’est très dangereuse que sur le site de la centrale. Dans tous les cas, il semble que les relâchements consisteront surtout en produits de fission (pas d’uranium ni de plutonium).

La pollution de long terme sera alors définie par la distribution de l’isotope Césium 137 qui a une période radioactive de l’ordre de trente ans. Tous les autres produits de fission comme l’iode 131 ont des périodes radioactives de l’ordre de la  journée. Cela veut dire aussi qu’à nombre de noyaux égaux, leur activité est plus forte. Le danger qu’ils portent est plus bref mais aussi plus fort ; un peu comme une chandelle qui brille beaucoup, s’épuise plus vite. Il faut protéger les populations dès les premiers jours (déplacements, pastilles d’iodes). Le Césium 137 sera moins actif mais restera un problème pour plus longtemps.

 

Propos recueillis par Carole Hamon

 

Déjà publié :

Centrale nucléaire de Fukushima : Le point

Accident nucléaire de Fukushima : Causes et conséquences

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