En plus des contraintes liées à la mastication, nos dents sont soumises jour après jour à de multiples sollicitations qui peuvent causer des dommages irréversibles. Des chocs ou des contraintes mécaniques inappropriées peuvent entraîner, à plus ou moins long terme, la fracture d’une dent. Une alimentation riche en sucre, une hygiène bucco-dentaire défaillante, certaines addictions peuvent conduire à l’apparition de caries dont les conséquences sur la santé sont multiples. La carie est la troisième pathologie la plus répandue au monde. 92 % des Français ont déjà souffert d’une carie, et huit sur dix à plusieurs reprises ! L’ensemble de ces désagréments nécessite des soins plus ou moins compliqués à mettre en œuvre, en fonction de l’ampleur des dégâts sur la dent et de leur position sur celle-ci. Jadis les praticiens ne disposaient que d’amalgames ou de matériaux de restauration mal maîtrisés ou chers. L’inesthétisme des réparations résultantes, associé au nécessaire sacrifice de tissus sains ont conduit les chercheurs à développer, depuis le milieu des années 1950, une solution alternative et performante : les composites dentaires. Ces bio-matériaux ont été mis au point conjointement avec le traitement chimique des dents d’une part et des adhésifs dentaires d’autre part. Il est alors devenu possible de rendre la restauration adhérente, l’économie tissulaire dans ce domaine était née.
Après un bref historique du domaine de la restauration dentaire et quelques définitions, l’article s’oriente vers les différentes classifications des composites dentaires. Il vise ensuite à décrire en détail aux lecteurs (patients potentiels), aux praticiens ou aux acteurs du développement de matériaux, la composition et les propriétés des composites dentaires. L’article s’attache également à montrer la pluridisciplinarité de ce sujet qui a conduit à l’optimisation des composites dentaires actuels et à la révolution que ces matériaux représentent en dentisterie restauratrice.
Le lecteur trouvera en fin d’article un glossaire des termes abordés au long de l’article.
Historique des matériaux pour la restauration dentaire
La mise au point de solutions viables dans le domaine de la restauration dentaire a principalement été guidée par la facilité de mise en œuvre, la disponibilité et les propriétés physico-chimiques des matériaux étudiés. Les amalgames argent--mercure, encore utilisés de nos jours, présentent des inconvénients significatifs pour les patients, notamment leur toxicité, leur inesthétisme et leur non-adhérence aux tissus dentaires. Par ailleurs la pose de ce matériau d’obturation nécessite le sacrifice de tissus sains afin d’obtenir une géométrie cavitaire optimale. Les premières alternatives esthétiques aux amalgames furent à base de ciments silicatés ; cependant ces derniers souffraient de plusieurs défauts notamment leur mise en œuvre délicate, leurs médiocres propriétés mécaniques (pas toutes), leur solubilité buccale et leur mauvaise adhésion ; ils furent rapidement abandonnés. À partir de 1930, l’utilisation de résines notamment acryliques et/ou métha-cryliques fut envisagée. Ces résines furent testées avec un succès mitigé pour arriver aux conclusions suivantes : contraction de polymérisation importante (> 6 % en volume), dilatation thermique importante en comparaison de la dent, propriétés mécaniques mauvaises, absence d’adhésion aux tissus dentaires et reprises carieuses. Malgré leurs défauts, ces résines à base organique présentaient des qualités recherchées : facilité de mise en œuvre, insolubilité en bouche et élasticité. L’idée vint alors, dans le milieu du XX e siècle, d’associer au sein d’un même matériau les atouts de composés minéraux (propriétés mécaniques et optiques, stabilité physico-chimique notamment) à ceux des résines organiques (simplicité de mise en œuvre) . Ainsi furent lancées de nombreuses recherches sur les résines composites constituées de plusieurs éléments de nature différente et dont les propriétés physico-chimiques sont très supérieures à celles de leurs composants pris isolément. Dans ces recherches, l’optimisation de monomères dédiés aux applications dentaires (Synthèse du Bis-GMA par exemple par Bowen) joua un rôle prépondérant . Par ailleurs l’avènement de la dentisterie adhésive (mordançages et adhésifs), associée à ces recherches a ouvert la voie à l’économie tissulaire : le praticien s’adapte à la cavité et n’adapte plus la cavité au matériau. La convergence de l’ensemble de ces points-clefs a donné naissance à une multitude de composites dentaires performants et à un large panel de restaurations possibles. Soulignons enfin que l’émail et la dentine qui sont les supports de ces composites synthétiques, sont eux-mêmes des matériaux composites constitués de cristaux d’hydroxyapatite (Ca10(PO4)6(OH)2, 70 à 96 % en poids) associés à une partie organique (collagène, protéines, phospholipides). La figure 1 montre l’évolution au cours du temps des matériaux pour la restauration dentaire directe en insistant sur l’évolution des composites dentaires et des problématiques associées.