L’organisation traditionnelle du secteur électrique fondée sur la juxtaposition de puissants opérateurs intégrés de production-transport, assurant en situation de monopole ou de quasi-monopole l’alimentation en énergie électrique de vastes zones géographiques, est aujourd’hui remise en cause dans la plupart des pays du monde.
Cette organisation avait, sans aucun doute, ses mérites : elle permettait, en particulier, à ces grands opérateurs largement protégés de la concurrence, de bénéficier au maximum des effets de « rendement croissants » si importants dans l’économie des systèmes électriques grâce, notamment, à une intégration poussée de leurs cycles décisionnels depuis la planification à long terme des équipements de production jusqu’à la gestion en temps réel des aléas et incidents survenant sur le réseau. Dans bien des cas, elle apparaissait également étroitement liée aux « missions d’intérêt général » souvent confiées à ces opérateurs historiques.
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Il n’en demeure pas moins que, dès la fin des années 1970, dans un contexte technique, énergétique et socio-économique en pleine évolution, se manifestèrent de manière sans cesse plus pressante de fortes interrogations sur la pertinence de ce type d’organisation dans un secteur que l’on pouvait à bon droit considérer comme arrivé à maturité industrielle. L’idée que, dans ce secteur comme dans d’autres, l’introduction de la concurrence pouvait être gage d’efficacité économique accrue et de développement d’échanges bénéfiques sur des marchés décloisonnés se répandit progressivement, prenant appui sur les dysfonctionnements visibles de certaines organisations monopolistiques en place.
Après les premières expériences « en vraie grandeur » d’introduction de mécanismes de marché dans le secteur électrique réalisées en Europe (Grande-Bretagne, pays scandinaves) et aux États-Unis, l’Union Européenne, après de longues et difficiles tractations, adopta en 1997 une Directive jetant les bases d’une ouverture progressive des marchés électriques des États-Membres, première étape dans l’esprit de ses promoteurs de la construction d’un vaste marché électrique européen concurrentiel et intégré. Avant même que cette Directive n’ait été transposée en droit national par tous les pays de l’Union et que les conditions d’accès des tiers aux réseaux des opérateurs historiques n’aient été définis, s’engagea une intense concurrence entre les producteurs en place pour conquérir ou fidéliser la clientèle des consommateurs « éligibles », c’est-à-dire pouvant choisir leur fournisseur d’énergie électrique. Dans un contexte assez généralisé de suréquipement en moyens de production, cette concurrence, quelque peu désordonnée, entraîna une baisse assez spectaculaire des prix pour ces grands consommateurs, la baisse des « prix de gros » bénéficiant en général beaucoup moins aux « consommateurs captifs » ne pouvant pas faire jouer la concurrence à leur profit.
Il est clair que la situation qui s’est créée au lendemain de la transposition de la Directive ne saurait se prolonger durablement, car elle comporte trop d’imperfections dans les mécanismes concurrentiels eux-mêmes et trop de risques techniques et économiques : au-delà de la volonté partagée de la Commission européenne, des Régulateurs des différents pays et des Gestionnaires de réseaux de mettre en place aussi rapidement que possible un marché électrique réellement concurrentiel, transparent et techniquement maîtrisable, il existe une convergence objective d’intérêt entre de nombreux acteurs pour une meilleure structuration du marché et une clarification de ses conditions techniques et économiques de fonctionnement.
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Au moment où nous écrivons ces lignes (début 2001), le marché électrique européen apparaît donc comme un vaste chantier et il serait présomptueux de vouloir décrire ce que sera le point d’aboutissement des démarches en cours dans les diverses instances de concertation qui s’efforcent aujourd’hui d’harmoniser les principes et les modalités d’une libéralisation lancée d’un pays à l’autre sur des bases très hétérogènes.
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On peut cependant aisément identifier les grandes questions auxquelles il faudra apporter une réponse satisfaisante pour assurer l’ambitieux projet que constitue la construction du marché électrique européen de demain : Comment organiser les marchés ? Selon quels principes faut-il tarifer l’accès aux réseaux ? Comment coordonner la gestion des réseaux et la gestion des marchés ? Les « signaux » émis par le marché suffiront-ils à orienter convenablement les politiques d’investissement ? Avec la généralisation de l’éligibilité, comment organiser la distribution de l’électricité ? Les « missions de service public » pourront-elles être pérennisées dans ce contexte concurrentiel ?
C’est à analyser les problématiques de ces questions fondamentales qu’est consacré l’essentiel de cet article.