Depuis longtemps et jusqu’à récemment le sol a été le domaine des pédologues et des géologues et a été défini par ces domaines scientifiques. Pour les géologues, le sol est une couche presque insignifiante à la surface de l’écorce terrestre, qui peut représenter quelques centimètres jusqu'à plusieurs mètres d’épaisseur. Pour les pédologues, le sol est une matrice en trois dimensions (horizontale, verticale et temporelle), constitué par l’assemblage de particules minérales (sables, limons, argiles) en agrégats de différentes tailles, formes et stabilité. Cette structuration physique lui confère une forte complexité. À ce titre, le sol représente la matrice environnementale la plus hétérogène et structurée de notre planète.
Alors que l’écologie est un domaine scientifique qui est apparu au XVIIIe siècle, les écologues ont commencé sérieusement à s’intéresser au sol depuis une soixantaine d’années. Les raisons de ce désintérêt résultent dans la complexité de cette matrice, de son inaccessibilité, mais aussi sûrement dans la nature « ordinaire » de la biodiversité qu’il héberge, de loin moins porteuse médiatiquement que la diversité des espèces emblématiques connues du grand public. À tout ceci, il faut ajouter que le sol pâtit d’une image culturelle un peu négative qui l’assimile à un lieu de sépulture ou d’enfouissement de déchets. Toutefois, ce regain d’intérêt de la part des écologues, couplé à des évolutions technologiques et méthodologiques très importantes dans nos capacités à caractériser le vivant, a engendré une évolution presque exponentielle des connaissances sur la biologie et l’écologie du sol ces dernières années. Ainsi, ces cinq dernières années plus de 5 000 articles sur l’écologie du sol ont été publiés sur les 15 000 référencés depuis 1950 (source Web of science, 2019 ).
Cette accumulation de nouvelles connaissances a permis de considérer le sol différemment, non plus comme un simple support inerte de production alimentaire ou de construction, mais comme un écosystème qui renferme presque 1/3 de la diversité biologique de notre planète. De plus, cette biodiversité est maintenant démontrée comme fondamentale dans la production de services écosystémiques nécessaires au développement et à la durabilité de notre société. Son importance a notamment été réaffirmée dans le récent rapport de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques) pointant l’accélération du taux d’extinction des espèces et l’urgence d’entreprendre des actions de restauration et de protection des milieux, dont le sol, pour le bien de tous (pour information, consulter https://www.ipbes.net/news/Media-Release-Global-Assessment-Fr).
Dans cet article, nous présentons le bilan des connaissances actuelles sur le sol en tant qu’habitat pouvant héberger une très grande diversité d’organismes vivants de taille, de forme et de ressources génétiques différentes. Ce bilan de connaissances sera complété par une description des outils de caractérisation de ces différents organismes, certains pouvant être piégés et observés alors que d’autres, plus microscopiques (bactéries, champignons), ne peuvent être étudiés finement que par des approches de biologie moléculaire basées sur l’étude de l’ADN extrait du sol. Enfin, nous ferons le lien entre cette qualité écologique des sols et leur rôle dans la durabilité de nos modes de production et de vie. Plus précisément, nous décrivons l’importance de la préservation de la qualité écologique des sols comme un enjeu majeur dans le contexte actuel de transition vers des modèles de gestion durables des espaces ruraux et urbains.