Le concept d’intelligence scientifique (IS ou « science intelligence » en anglais) est calqué sur celui d’intelligence économique (business intelligence). Il fut imaginé en 2009 en constatant que l’équivalent de la business intelligence pour l’économie n’existait pas dans le secteur scientifique.
Les deux secteurs, sciences économiques et sciences dites « exactes », ont en commun une richesse et une dynamique extrêmes en termes de flux d’information : désormais, il ne s’agit pas tant de savoir si l’information existe, mais plutôt de savoir comment capter l’information qui est la plus stratégique pour l’avenir de l’entreprise et de l’exploiter au mieux afin d’influencer efficacement la prise de décision des parties prenantes. Ces deux secteurs ont aussi comme point commun de dépendre de sources d’information extrêmement structurées et payantes, principalement des bases de données publiées par des éditeurs commerciaux, même si c’est de moins en moins le cas.
La notion d’intelligence pénètre peu à peu d’autres domaines comme celui du légal où la notion « d’intelligence juridique » est en train de s’imposer car elle correspond mieux à la corrélation entre veille juridique pure et stratégie globale de l’entreprise (Management stratégique de l’information. WEKA, 2010, Chap. 1/6.3, p. 21).
Dans les milieux scientifiques et technologiques, il semble que le terme de « veille » soit le plus souvent utilisé. La veille est le processus de surveillance proactive de son environnement. La veille scientifique est le processus par lequel un individu ou une organisation cherchent à suivre l’évolution scientifique dans leur secteur d’expertise ou de développement : elle revient à surveiller l’actualité de la recherche et l’état des publications scientifiques, englobant aussi les évolutions des techniques, des technologies, des procédés ; elle le fait au moyen de différentes opérations sur l’information scientifique et constitue un enjeu vital pour l’entreprise. D’après la norme Afnor XP X 50-053, elle implique une activité continue et itérative visant une « surveillance active » de son environnement.
Or la veille, aussi importante et critique soit-elle, n’est que l’une des phases de la gestion globale de l’information qui doit conduire à l’intelligence collective d’une organisation. Une entreprise peut être extrêmement performante dans la collecte de l’information stratégique pour son activité parce qu’elle possède les compétences en interne et les bons outils, mais elle peut aussi être beaucoup plus médiocre dans l’analyse, la capitalisation et la diffusion de cette information critique. C’est d’ailleurs bien souvent le cas dans les entreprises françaises ; ce qui fait que cette veille, pourtant efficace, ne se transforme pas en intelligence collective ni en connaissance actionnable. Pourquoi, dans les organisations scientifiques, parle-t-on volontiers de veille et non pas d’intelligence globale de la connaissance ?
La veille partage certaines des valeurs de rigueur documentaire avec la documentation plus classique et les bibliothèques scientifiques : organisation des données, conservation, classification… Mais la veille se distingue toutefois par une plus grande flexibilité technologique et une plus grande ouverture sur la variété des sources d’information et les formats de documents surveillés. On le voit bien avec l’émergence des médias sociaux où les problématiques de e-réputation ont entraîné bon nombre d’entreprises à s’interroger sur leur processus de veille, et par-là même, cette hypermédiatisation a généré un « nouveau marché » pour les consultants et les éditeurs de solution. Cette entrée dans le secteur de la veille par la e-réputation a permis aussi à des chefs d’entreprise de réaliser l’importance des autres types de veille pour leur stratégie.
Si la veille en elle-même peut être défensive (gestion de crise, menace concurrentielle, attaque légale…) ou offensive (anticipation du marché ou de l’innovation), l’intelligence scientifique d’une organisation ne peut qu’être globale : elle repose sur la capacité de l’organisation à appréhender son environnement scientifique dans son ensemble. Cela implique d’avoir une vision complète des différents types de veille nécessaires à une organisation évoluant dans un environnement scientifique (veilles technologique, bibliographique, concurrentielle, règlementaire, média, etc.).
L’intelligence scientifique peut donc être définie comme l’ensemble des actions coordonnées d’acquisition, d’analyse, de conservation et de diffusion de l’information de nature scientifique et technique en vue de son exploitation par les acteurs de l’organisation. L’organisation dans ce contexte peut désigner une entreprise industrielle ou commerciale, ou une institution de recherche. L’intelligence scientifique dépasse la simple veille pour optimiser la gestion de l’information afin d’influencer efficacement la stratégie de l’organisation.
Intelligence scientifique = Veille + Capitalisation de l’information => Connaissance actionnable |
Elle doit être un mode de pensée, présent à toutes les phases de la stratégie de l’organisation, dont l’objectif ultime est l’amélioration et la pérennité de son activité. L’intelligence scientifique est à la fois un ensemble d’actions, mais aussi une attitude, une posture et même une culture d’entreprise « pour mettre en œuvre des moyens déjà existants » (Rouach, 2010, p. 9).
Les piliers de l’intelligence scientifique sont :
- les outils professionnels de surveillance : solutions de veille, outils d’analyse et de cartographie, etc.
- les sources documentaires qualifiées : revues scientifiques, brevets, bases de données spécialisées, newsletters sectorielles, etc.
- la sécurité de l’information : confidentialité des recherches, conservation et organisation de l’information sur le long terme, sécurité physique des données, etc.
- la diffusion active et ciblée de l’information critique : le mode Push (l’information est poussée vers le destinataire par exemple sous forme d’e-mails ou de newsletters) l’emporte sur le mode Pull (le destinataire doit se connecter à un service pour consulter les résultats de sa veille) pour diffuser de façon sélective (la bonne information à la bonne personne) une information critique et validée.
Mode pull et mode push
Pour certains auteurs, la consultation d’un agrégateur RSS ou d’une page Netvibes par exemple sont du mode push, au même titre que la consultation d’une interface de messagerie, car les contenus venant de sources hétérogènes sont automatiquement poussés jusqu’à l’outil de consultation, sans qu’on n’ait besoin de se connecter sur chacune d’entre elles pour avoir l’information souhaitée. On peut cependant faire une distinction dans la pratique professionnelle, en particulier dans l’entreprise. On constate que le client messagerie (par exemple Microsoft Outlook) est l’application qui est la plus utilisée au bureau et la seule qui soit ouverte en permanence, bien plus que le navigateur internet. Et bien que les utilisateurs se plaignent de la surcharge de leur boîte e-mail, c’est le moyen qu’ils privilégient pour se tenir informés. L’envoi d’un livrable de veille ou d’une alerte automatique par e-mail est donc le seul moyen qui garantisse la lecture de l’information. Les sites Netvibes ou les lecteurs RSS, une fois la période d’enthousiasme passée, sont vite oubliés et les utilisateurs les consultent moins souvent après quelques semaines. Ces outils ne sont donc pas adaptés à une veille critique.
La perception globale de cet environnement scientifique et technologique, en utilisant des sources appropriées, détermine en grande partie l’efficacité de l’entreprise en termes d’innovation et d’anticipation des crises.