Interview

Decarb Fast Track Institute : la décarbonation industrielle en pole position sous l’impulsion de Metron

Posté le 31 octobre 2025
par Benoît CRÉPIN
dans Énergie

Cleantech française spécialisée dans les solutions numériques d’optimisation énergétique, Metron œuvre depuis 2013 à la réduction de l’empreinte carbone des grands groupes, notamment industriels. Une vocation qui a aussi abouti au lancement, en juin dernier, d’une structure innovante, visant à favoriser le dialogue entre industriels de tous horizons autour des enjeux de décarbonation : le Decarb Fast Track Institute.

Forte d’une centaine de salariés et présente dans onze pays, Metron a déjà déployé sa solution de gestion et d’optimisation de l’énergie (ou EMOS) au sein de 25 000 sites dans le monde, dont 250 installations industrielles. Des sites dont la cleantech permet ainsi de piloter et d’optimiser les consommations énergétiques en temps réel, avec naturellement, à la clé, une réduction de leur empreinte carbone. Pour accélérer le mouvement, l’entreprise multiprimée[1] a lancé dès 2022 un vaste programme d’accompagnement à la réduction de leur empreinte carbone à destination des industriels : le Decarb Fast Track. Une initiative qui est ainsi directement à l’origine de la création récente de ce Decarb Fast Track Institute, comme nous l’explique Vincent Sciandra, cofondateur et P.-D.G. de Metron.

Techniques de l’Ingénieur : Quelle est, en quelques mots, la raison d’être de Metron ?

Vincent Sciandra a co-fondé Metron en 2013, et en est le P.-D.G. depuis 2015. © Metron

Vincent Sciandra : Metron, que j’ai cofondée il y a maintenant plus de onze ans, accompagne les grands groupes, notamment industriels, dans la réduction de leurs consommations énergétiques, et, par voie de conséquence, leur empreinte carbone, essentiellement sur les scopes 1 et 2. Notre objectif consiste avant tout à optimiser l’existant, en aidant l’industriel à comprendre comment l’énergie – qu’il s’agisse d’électricité ou de gaz – transite dans l’usine pour lui permettre de produire, et plus précisément en suivant le trajet de cette énergie tout au long du process industriel. Tout cela dans le but de permettre in fine à l’industriel d’utiliser moins d’énergie, sans pour autant compromettre la qualité de ses produits.

À l’issue de près de dix ans de développement, nous sommes parvenus à rendre notre solution interfaçable avec quasiment tous les équipements industriels, et ce partout dans le monde. Nous sommes en effet présents dans plus de quarante pays.

Et parce qu’un outil n’est utile que s’il est correctement mis en œuvre, nous assurons aussi la formation des ingénieurs et les opérateurs intervenant sur site. Nos propres équipes d’ingénieurs énergie présentes partout dans le monde accompagnent également les industriels au quotidien, pour leur transmettre des connaissances et les aider à piloter l’énergie de leurs usines. Leur rôle est aussi d’assurer une forme d’accompagnement au changement des industriels qui font appel à nous.

Comment la mesure des flux d’énergie peut-elle contribuer à la réduction de l’empreinte carbone d’un industriel ?

Nous ne visons pas nécessairement le changement de machines ou d’équipements industriels. Nous mesurons l’énergie, en utilisant les données provenant des compteurs électriques ou de gaz, des automates industriels, de bases de données de production… que nous couplons avec des données externes, notamment la météo. Température, vent, humidité, etc. peuvent en effet influencer la consommation énergétique de nombreux process industriels. Nous combinons donc les données endogènes et exogènes d’une usine pour, finalement, être capables de donner à l’industriel une image à un instant t des flux d’énergie dans ses installations. Et ce, de manière standardisée et auditable.

Au-delà des outils dont peuvent éventuellement déjà disposer les industriels, notre solution permet de leur offrir une granularité bien plus fine, à l’échelle de la minute, voire en deçà… Ce niveau de précision leur permet de comprendre les phénomènes qui entrent en jeu à un niveau plus « microscopique », et donc de prendre des actions « micro » — la régulation de la température d’un process de quelques degrés, par exemple – là où, sans notre aide, ces actions restent généralement « macro ».

L’approche que nous proposons aux industriels est donc beaucoup plus scientifique – elle passe notamment par des campagnes de tests – et quantitative. Elle leur permet de comprendre les interactions et les aspects systémiques des process, pour qu’ils puissent les optimiser le plus finement possible, sans pour autant affecter la qualité de leur produit final. Y compris d’ailleurs de manière anticipée, grâce aux modèles de machine learning que nous développons depuis plus de dix ans maintenant et qui permettent, notamment, de prédire les éventuelles dérives d’un process. Ces modèles ont d’ailleurs l’avantage d’être explicables, ce qui est évidemment crucial dans l’industrie, ne serait-ce que pour des questions de sécurité et d’acceptabilité.

Sans données précises, à l’aveugle, tout cela serait quasiment impossible à réaliser. Le « fine-tuning[2] » que nos outils permettent de réaliser constitue au contraire un vrai levier en matière de décarbonation.

Vous avez lancé fin 2022, et pour deux ans, le programme Decarb Fast Track. De quoi s’agissait-il, et quels sont les résultats de cette initiative ?

Nous avons effectivement travaillé pendant deux ans sur ce programme Decarb Fast Track, aux côtés de trois partenaires-financeurs : Dalkia, Amazon Web Services (AWS) et BNP Paribas. L’objectif de ce programme était d’accélérer la réduction de l’empreinte carbone de l’industrie, et ce, à l’échelle de huit pays européens. Cette initiative nous a conduits à accompagner pas moins de 45 groupes industriels, et 62 usines au total, dont la moitié en France. Nous visions une réduction d’émissions de CO2 de 100 000 tonnes de CO2e par an à l’issue des deux ans de ce programme. Nous avons aujourd’hui identifié un potentiel de -190 000 tonnes annuelles grâce aux projets que nous sommes en train de mettre en place avec les industriels concernés, avec d’ores et déjà plus de 63 000 tonnes effacées.

Les démarches réalisées par les industriels dans le cadre de ce programme passent bien entendu par l’optimisation de l’existant que j’évoquais plus haut, mais aussi par des changements plus profonds dans les équipements mis en œuvre au sein de leurs usines. Un aspect sur lequel Dalkia a joué un rôle central, en apportant des solutions techniques concrètes aux industriels, avec l’appui de BNP Paribas pour les questions de financement. Ce travail en partenariat nous a ainsi permis de créer un one-stop shop [guichet unique, n.d.l.r.] de la décarbonation industrielle.

Au fil des deux années de ce programme, nous avons pu fédérer une véritable communauté d’industriels de tous horizons engagés dans la décarbonation qui ont pu croiser leurs savoir-faire, ce qui n’est pas forcément habituel dans l’industrie…

Nous avons donc eu l’envie de prolonger cette dynamique, en créant une nouvelle structure, entièrement dédiée au sujet du partage de bonnes pratiques : le Decarb Fast Track Institute.

Créé le 18 juin dernier, le Decarb Fast Track Institute réunit les pionniers de la communauté Decarb Fast Track, mais aussi, plus largement, les clients européens de Metron, et reste ouvert à tout industriel ou partenaire européen souhaitant s’engager dans une démarche de partage de bonnes pratiques. © Metron

En quoi consiste justement cet institut, que vous avez officiellement lancé en juin dernier ?

Il s’agit d’une association Loi 1901, qui vise à faire venir d’autres industriels autour de la table, pour enrichir les échanges déjà mis en place à la faveur du programme Decarb Fast Track. Et ce, toujours à l’échelle européenne. Cela nous semble en effet important, dans une Europe où les situations énergétiques peuvent se révéler très différentes d’un pays à l’autre. L’idée, en somme, est de permettre aux industriels de partager leurs stratégies de résilience. Nous allons pour cela organiser des rencontres bimestrielles[3], centrées sur des sujets précis choisis par les adhérents de l’association, mais toujours autour de ces thématiques de décarbonation et d’efficacité énergétique, et à l’échelle européenne.

Cela intéresse beaucoup de groupes qui possèdent des sites au-delà des frontières françaises, qui cherchent souvent à adapter leur vision de la décarbonation industrielle en fonction de leurs pays d’implantation.

D’une manière plus générale, quel regard portez-vous sur la dynamique actuelle en matière de décarbonation industrielle ? La conjoncture ne risque-t-elle pas de freiner le mouvement ?

Cela peut paraître étonnant, mais je dirais que non, au contraire. Au niveau mondial, on observe en effet le retour en force de l’efficacité énergétique, et donc de la décarbonation industrielle. Cela peut sembler surprenant dans le contexte actuel, mais en fait, être efficient, être doté d’outils permettant d’optimiser le pilotage de son énergie est aujourd’hui plus que jamais indispensable pour se préparer à la suite… Cela devient le sujet principal pour les industriels du monde entier.

Les réglementations évoluent d’ailleurs aussi dans ce sens, dans de nombreux pays. Au Mexique, une loi récemment adoptée impose par exemple aux industriels la mise en place d’un plan d’efficacité énergétique. C’est le cas aussi en Thaïlande, notamment, où le législateur pousse là aussi à la décarbonation industrielle. Globalement, tout le monde se prépare à être beaucoup plus résilient. Or, l’efficacité énergétique est le premier levier de résilience pour les industriels. Viennent ensuite des aspects tels que l’autonomie énergétique – qui passe par exemple par le stockage d’électricité – ou encore la flexibilité de la production.

Nous observons donc clairement un changement de posture vis-à-vis de la décarbonation : les industriels sont aujourd’hui amenés à s’impliquer dans ce domaine avant tout parce que les réalités de terrain le leur imposent. L’heure est aujourd’hui au pragmatisme.

Malgré toutes les difficultés que vivent les industriels, le contexte est en fait favorable à la poursuite de ce mouvement de décarbonation. D’autant plus qu’aujourd’hui les technologies sont là pour l’accompagner, ce qui n’était pas encore le cas il y a vingt ou trente ans. Que ce soit au travers de l’hydrogène vert, de la biométhanisation, du nucléaire…, tout un écosystème s’est constitué autour de cet enjeu de décarbonation.


[1] Metron figure notamment dans le « World’s Top GreenTech Companies of 2025 » réalisé par le magazine TIME et Statista. Elle a par ailleurs été sélectionnée par le gouvernement français pour faire partie du programme French Tech 2030 depuis juin 2023, après avoir figuré pendant deux années consécutives parmi les entreprises sélectionnées dans le cadre du programme Green 20.

[2] Réglage fin.

[3] La première a eu lieu le 2 octobre dernier.


Pour aller plus loin