Alors que la France s’est engagée à des objectifs ambitieux pour 2030 et 2050, le secteur industriel peine à amorcer la transition bas carbone. Le rapport publié le 18 septembre 2025 par Réseau Action Climat et France Nature Environnement révèle que les cinquante sites industriels les plus polluants du pays n’ont réduit leurs émissions de gaz à effet de serre que de 1,4 % en 2024. Cette diminution est jugée « largement insuffisante » pour tenir les engagements de la France en matière de climat.
Cette performance modeste s’inscrit dans un contexte tendu, déjà pointé par la Cour des comptes et le Haut Conseil pour le climat, qui appellent à une accélération urgente des politiques publiques. En 2023, la baisse des émissions du même groupe de sites avait été beaucoup plus marquée (- 7,8 %). Le fléchissement intervenu en 2024 montre que la dynamique de réduction peine à s’inscrire dans le long terme.
Les résultats soulignent un paradoxe : alors que les plans d’investissement de l’État s’affichent comme un levier majeur de la transition industrielle, leur application concrète reste lente. Le plan France 2030 avait initialement prévu d’allouer 5,6 milliards d’euros à la décarbonation industrielle, finalement ramenés à 4,5 milliards en cours d’exécution. Le constat s’alourdit encore quand on observe que ces dispositifs peinent à atteindre leur effet attendu dans les process lourds – acier, chimie, ciment –, secteurs les plus difficiles à transformer.
La faiblesse de la réduction d’émissions évoque plusieurs freins structurels. D’abord, les investissements nécessaires aux technologies de rupture – hydrogène bas carbone, électrification des procédés, capture et stockage de CO₂ (CCUS) – restent incertains, dans un contexte de coûts de l’énergie fluctuants et de compétitivité internationale. Des études académiques soulignent que les chaînes d’approvisionnement en hydrogène bas carbone risquent de manquer de résilience, notamment face à l’incertitude sur la disponibilité des biomasses ou des infrastructures CCUS. Ensuite, les outils de régulation et de tarification du carbone ne sont pas encore suffisamment contraignants pour orienter les choix industriels, le prix du carbone restant trop modéré pour générer des ruptures de modèle sur les processus fortement émetteurs.
Ce constat rejoint les critiques déjà formulées : l’essentiel des réductions observées pourrait résulter davantage de facteurs conjoncturels (baisse d’activité, arrêt partiel d’unités) que d’investissements systématiques de transformation. Selon les ONG, l’État doit passer d’un discours volontariste à une mise en œuvre opérationnelle plus rigoureuse, avec des contrôles, des incitations fortes et un suivi transparent.
Les enjeux pour l’industrie française sont majeurs. Si la décélération actuelle persiste, la France risque de rater ses cibles intermédiaires (- 35 % d’émissions industrielles d’ici 2030 par rapport à 2015, selon la Stratégie nationale bas carbone) et de compromettre la trajectoire vers la neutralité carbone. Sur le plan compétitif, les industriels français pourraient subir une pression accrue face à des concurrents mieux soutenus par leurs États, notamment aux États-Unis ou en Chine, où des subventions importantes sont consacrées à la transition écologique de l’industrie.
Toutefois, des leviers existent. L’un d’eux est la désignation de « zones industrielles bas carbone » (ZIBaC), notamment à Dunkerque et Fos-sur-Mer, visant à mutualiser les infrastructures de décarbonation (hydrogène, captage stockage de CO₂) entre plusieurs sites. Par ailleurs, la loi sur les « industries vertes » adoptée en 2023 a introduit des mécanismes de simplification administrative et de reconnaissance d’intérêt public pour accélérer les projets industriels à composante écologique. Le recours à des financements mixtes – publics, privés et européens – ainsi que des partenariats technologiques pourraient aussi participer à surmonter les barrières d’investissement initial.
Pour assurer une montée en cadence durable, il faudra articuler les politiques sectorielles (sidérurgie, chimie, ciment) avec les feuilles de route technologiques, renforcer les capacités de R&D sur les technologies de décarbonation, et calibrer les incitations financières pour qu’elles favorisent les investissements lourds plutôt que les solutions de court terme. Le suivi effectif des trajectoires, assorti de transparence publique et de sanctions ou bonus clairs, sera un indicateur clé de sérieux pour l’État français dans sa promesse climatique.
En l’état, le rapport des ONG agit comme un signal d’alarme : la décarbonation industrielle peine à sortir du stade de projet pour devenir une réalité tangible. Le temps du verbe doit céder le pas aux actes si la France veut conserver une trajectoire crédible vers ses ambitions écologiques.
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