Interview

Des actionneurs piézoélectriques microscopiques pour nettoyer des surfaces vitrées

Posté le 18 mai 2020
par Nicolas LOUIS
dans Innovations sectorielles

A la demande d'une start-up de la Silicon Valley, le CEA développe la fabrication d'un réseau d'actionneurs piézoélectriques, invisibles à l’œil nu, pour nettoyer les vitres. Entretien avec Jean-Philippe Polizzi, responsable programme au CEA-Leti.
Jean-Philippe Polizzi, responsable programme au CEA-Leti  /CEA

Aussi fins qu’un cheveu, les actionneurs piézoélectriques brevetés par Innovasonic, une start-up de la Silicon Valley, ont la particularité d’être invisibles à l’œil nu. Fixés sur des surfaces vitrées, ils permettent de les nettoyer grâce à une vaporisation des gouttelettes d’eau et au détachement des salissures. L’entreprise californienne a fait appel aux deux instituts du CEA, Leti et List, pour développer la fabrication de ce procédé. Le premier possède une expertise dans le domaine des microsystèmes électromécaniques, encore appelés MEMS (Micro electro mechanical systems). Quant au second, il est en charge de l’étude de la propagation des ondes sur les surfaces vitrées. Aux côtés de Charles Hudin et Fabrice Casset, tous deux chercheurs au CEA, Jean-Philippe Polizzi travaille sur ce projet depuis près d’un an. Techniques de l’Ingénieur s’est entretenu avec ce responsable programme au CEA-Leti.

Techniques de l’Ingénieur : Comment fonctionne cette technologie ?

Jean-Philippe Polizzi : Nous utilisons des matériaux piézoélectriques dont la particularité est de se déformer lorsqu’ils sont soumis à une tension électrique. Ces actionneurs piézoélectriques, entourés de deux électrodes, sont fixés sur une plaque de verre. Leur déformation va provoquer des vibrations et donc des ondes acoustiques qui vont entraîner une vaporisation des gouttelettes d’eau présentes sur le verre et le détachement des salissures. Cette technologie est déjà utilisée pour nettoyer les verrières de certains avions de chasse. Par contre, les actionneurs utilisés, fixés sur les rebords de la verrière, présentent l’inconvénient d’être de grande taille et manquent de discrétion.  Nous travaillons sur un réseau d’actionneurs fins comme des cheveux mesurant moins de 100 micromètres. Nous les répartissons un peu partout sur la verrière avec l’objectif de ne pas perdre plus de 10 % de la transparence du verre.

En quoi consiste le travail du CEA ?

Nous devons démontrer la faisabilité du concept en définissant des procédés de fabrication. Par exemple, le prototype développé par Innovasonic présentait un problème de circulation du courant électrique lié à la finesse des actionneurs. La start-up avait opté pour le PZT (Titano-Zirconate de Plomb), un matériau présentant une bonne capacité d’actionnement mais demandant une consommation électrique importante. Nous avons changé le comportement électro-mécanique en choisissant l’AIN (Nitrure d’aluminium), un matériau beaucoup moins gourmand en énergie. La forme, la dimension des électrodes et des actionneurs ainsi que leur nombre ont aussi été redéfinis.

Photo au microscope d’actionneurs piézoélectriques, fins comme des cheveux, entourés de deux électrodes /CEA

Le type d’onde employée va être également précisé. A priori, nous nous orientons vers des ondes de flexions qui font vibrer toute l’épaisseur du verre par opposition aux ondes de surface qui font vibrer seulement la surface. Concernant la fréquence, sans exclure une utilisation très large de toute la bande des MHz, nous pensons descendre dans la gamme, de 50 à 100 kHz, afin d’obtenir plus d’amplitude tout en réduisant la consommation énergétique. Le CEA List est également associé au projet et doit concevoir les logiciels et les algorithmes qui piloteront les actionneurs.

Quelle est l’efficacité de cette technologie ?

Ce procédé est efficace pour retirer les gouttelettes d’eau et les salissures diverses très fines. Ensuite, nous aimerions l’utiliser pour dégivrer les pare-brises des voitures. Cette technologie serait beaucoup moins gourmande que les systèmes thermiques actuellement utilisés et consisterait à fissurer la glace pour qu’elle se détache. A plus long terme, nous aimerions nettoyer des éléments plus visqueux comme des mouches ou de la boue. Pour être efficace, la matière doit être couplée à de l’eau et ne pas être uniquement constituée de matière sèche. Nous ne connaissons pas encore exactement les limites de cette technologie et jusqu’où pourra aller le degré de nettoyage.

Quels sont les marchés ciblés ?

Tous les marchés de nettoyage en général, mais le plus prometteur aujourd’hui est celui des surfaces des capteurs optiques tels que les Lidars présents sur les véhicules autonomes. Ces équipements sont trop petits pour être équipés d’essuie-glace, mais doivent rester propres en permanence pour fonctionner correctement. Les optiques de phares sont également un débouché potentiel tout comme les panneaux photovoltaïques, souvent installés dans des zones exposées au vent et à la poussière. À moyen terme, l’équipement des pare-brises et des vitres latérales des voitures pourrait être envisagé même si, pour l’instant, cette technologie n’est pas suffisamment compétitive en matière de coût comparé aux essuie-glaces qui par ailleurs fonctionnent bien. À plus long terme, nous aimerions être capables de nettoyer les grandes surfaces vitrées des tours abritant des bureaux. Cela permettrait d’éviter à des personnes de descendre dans des nacelles pour les nettoyer.

Quand se termine ce projet ?

La première phase de faisabilité du concept doit se terminer à la fin de l’année. Une deuxième phase devrait permettre ensuite d’optimiser cette technologie en générant ces ondes avec le maximum d’efficacité et le minimum d’énergie. Elle devrait durer entre 2 à 3 ans.

Crédits photos : CEA


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