Interview

Des composites à base de cuir et de textiles recyclés pour l’industrie du luxe

Posté le 23 mars 2022
par Arnaud Moign
dans Chimie et Biotech

API’UP, une entreprise solidaire française dont le slogan est « du déchet au design », conçoit et fabrique des mobiliers neufs à partir de matières récupérées comme le bois, le cuir ou les textiles synthétiques. Nous avons interviewé Valérie Fernani, la directrice de cette entreprise solidaire résolument tournée vers l’économie circulaire.

API’UP est une entreprise solidaire créée en 2012 qui s’occupe de la gestion globale des déchets d’entreprises, depuis la collecte jusqu’à une valorisation écoresponsable. Elle applique le principe d’upcycling industriel au développement de nouveaux matériaux composites à partir de rebuts de production, de bois, de textiles et de cuir.

Techniques de l’Ingénieur : API’UP est spécialisé dans l’upcycling. Quand avez-vous commencé à travailler avec le cuir ?

Valérie Fernani est directrice d’API’UP. (Crédit : API’UP)

Valérie Fernani : À l’origine, notre process d’upcycling industriel était essentiellement mis en œuvre sur le bois. Nous traitons les chutes industrielles de cuir et de textiles depuis 2016. En 2018, nous avons démarré un projet d’innovation appelé MATERIA 4.0, avec comme objectif d’étendre le savoir-faire sur l’upcycling industriel des bois vers de nouveaux savoir-faire appliqués à de nouvelles matières composites écologiques(1).

Cela s’est donc traduit par la valorisation de gisements locaux de déchets industriels de textiles et de cuir et par le lancement d’un premier produit appelé GRANISPHER. Cette matière est produite par thermocompression, à partir de chutes de cuir que nous collectons. Celles-ci sont préalablement mélangées, de la manière la plus homogène possible, puis moulées, compressées et séchées.

Fin 2021, nous avons lancé OSPHER, une marque de mobilier écoresponsable, avec une première collection qui intègre du GRANISPHER.

Comment les déchets industriels de cuir sont-ils habituellement valorisés ?

Il faut distinguer 2 types de rebuts de cuir. Il y a d’un côté les déchets de tannerie avec par exemple les déchets au stade du wet blue(2). Ce sont des produits gorgés d’eau, dont certains sont valorisés, par exemple pour la fabrication d’engrais, mais qui n’ont pas d’intérêt esthétique direct.

Les déchets qui nous intéressent sont les chutes de cuir issues de la fabrication, car les pistes de valorisation sont multiples et leur valorisation est encore actuellement très faible. Ainsi, selon leur dimension et leur qualité, ces chutes sont acheminées vers différentes filières. Les chutes d’une taille supérieure à A4 sont habituellement réutilisées par des porteurs de projet, des entreprises ou des artisans, par exemple pour créer des produits de maroquinerie.

Mais en dessous de cette taille, la valorisation s’avère compliquée, faute de filière et de débouchés.

Quels types de chutes de cuir valorisez-vous ?

Le process que nous avons développé et breveté nous permet d’utiliser des chutes issues de l’industrie, de taille A5, voire plus petites, mais nous avons une condition : que le tri par couleurs soit possible.

En effet, comme ce procédé implique un broyage de la matière, les chutes de cuir multicolores ont tendance à produire des matériaux grisâtres, peu esthétiques. Comme nous sommes sur le secteur de l’upcycling haut de gamme, nous avons donc mis en place un suivi couleur rigoureux.

La première étape est la collecte, toutes les chutes de cuir étant acceptées. Un tri est effectué afin de séparer les matières qui seront upcyclées de celles qui partiront en réemploi (le réemploi étant toujours privilégié en économie circulaire).

Les critères de tri sont assez stricts : les matières destinées au réemploi doivent être qualitatives et dimensionnées. Si le gisement destiné à l’upcycling n’a pas besoin d’être dimensionné, il doit pouvoir être triable par matière et par couleur. Le tri par matière ne présente pas de difficulté, car il est fait en partie à la source, par l’origine du cuir. En revanche le tri par couleur a nécessité que nous mettions en place un protocole de groupement des couleurs et de suivi des teintures utilisées par les fabricants, afin de ne pas être impactés par les changements de collection.

Enfin, nous cherchons toujours à optimiser le tri, qui est fait manuellement, c’est pourquoi nous travaillons actuellement au référencement des couleurs en nous appuyant sur des équipements de mesure optique.

Quels sont les autres projets d’upcycling sur lesquels vous travaillez ?

Nous avons plusieurs autres applications en cours de développement, notamment la fabrication pour l’industrie du luxe de composites rigides à partir de cuir, qui se rapprochent des panneaux de fibre de bois(3).

Si aujourd’hui c’est le cuir qui est à l’honneur, nous présenterons également de nouveaux composites à base de textile dans le courant de l’année 2022. Ces matières seront conçues à partir de textiles d’ameublement synthétique (PE et PP) recyclés. Le choix de ces deux matériaux, PE et PP, n’est pas anodin, ces 2 matières étant facilement recyclables dans notre process en fin de vie, l’idée pour nous étant toujours de rester en accord avec nos valeurs de développement durable en recherchant des process qui soient vertueux.


(1) Projet cofinancé par le Fonds social européen dans le cadre du programme opérationnel national « emploi et inclusion » 2014-2020.

(2) Terme anglais utilisé en tannerie pour désigner le cuir en bleu, immédiatement obtenu après le tannage et avant les opérations de teinture et de nourriture.

(3) Panneaux basse densité (LDF), densité moyenne (MDF) et haute densité (HDF).


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