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Ecomobilité : Ce que l’Europe prévoit pour décarboner les transports

Posté le 20 juin 2022
par La rédaction
dans Environnement

Fin février, les ministres des Transports des 27 se sont retrouvés durant trois jours au Bourget autour du plan européen Fit-for-55 et pour discuter d’une stratégie commune en faveur de la décarbonation des transports. Un enjeu primordial, mais plus que jamais incertain avec une double interrogation : qui paiera la facture de ce chantier titanesque et qui pour porter cette question au niveau gouvernemental ?

Le lieu était symbolique. Devant ses homologues européens le 21 février dernier, le ministre français délégué aux Transports d’alors, Jean-Baptiste Djebbari, n’avait pas manqué de le rappeler : « Nous ne sommes pas n’importe où. Entre ces murs, plus de deux siècles d’histoire de l’aéronautique nous entourent. À quelques mètres de nous seulement, il y a 95 ans, Charles Lindbergh était accueilli en héros par 200 000 personnes, sur les pistes de l’un des premiers aéroports du monde, après avoir traversé l’Atlantique. » La force du symbole, donc : celui de l’ambition et du progrès. En matière de décarbonation des transports du XXIe siècle, les Etats membres de l’Union européenne vont devoir s’appuyer sur les mêmes ressorts. Et ils n’ont plus une minute à perdre.

Développer au maximum les transports collectifs

« Notre première priorité, c’est la décarbonation, a insisté le représentant de la présidence française de l’UE. L’Union européenne s’est fixé des objectifs pour 2030. Des objectifs ambitieux. Nous devons nous donner les moyens de les atteindre. Car c’est la crédibilité de l’Europe qui est en jeu. Nous ne serons pas crédibles pour 2050 si nous ne tenons pas nos objectifs de 2030. » En juillet 2021, la Commission européenne annonçait en effet son plan Fit-for-55 et ses grandes mesures destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 55% d’ici 2030 : tous les secteurs d’activité sont concernés (industrie, transports, bâtiment, agriculture…).

Le chapitre « transports » n’est évidemment pas passé inaperçu, ce secteur représentant 30% des émissions de gaz à effet de serre en Europe. L’urgence pour les pouvoirs publics est donc de pousser ce secteur à favoriser le développement de solutions de mobilité durable. Cependant, le poste de ministre délégué aux Transports est toujours vacant et n’incite pas à l’optimisme au sujet d’une mise en œuvre rapide et efficace de solutions pérennes. Les idées sur la table ne manquent pourtant pas : la révision des règles de taxation, la généralisation des infrastructures pour carburants propres (électricité, biogaz, hydrogène), l’instauration au niveau européen d’un mécanisme pollueur-payeur ainsi que la mise en place d’un fonds social pour soutenir la transition. Qui pour vraiment porter ces questions entre la Première ministre Elisabeth Borne, la ministre de la Transition écologique Amélie de Montchalin (1), la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher ou encore le ministre délégué chargé des Collectivités territoriales Christophe Béchu(1) ?

Heureusement, le coup d’accélérateur principal se fera surtout au niveau des usages. Pour cela, la mobilité collective doit être maximisée, grâce à l’offre de transports et les infrastructures multimodales.

Première dans le viseur : la relance du train. « Atteindre la réduction de 55% des émissions de CO2 en Europe d’ici 2030 ne peut se faire sans un doublement des offres de services de transport public et ferroviaire, au mieux la voiture électrique les réduira de 20%, chiffre Laurent Mazille, directeur des Affaires publiques de Transdev. Mais il ne suffit pas d’interdire la voiture en ville ou les avions en France pour relancer le train, il ne doit pas être pris par défaut, il doit être attractif et compétitif intrinsèquement. » Mais voilà, la relance du train ne peut pas tout résoudre à elle seule.

Viennent ensuite le vélo pour les citadins, mais surtout les véhicules électriques et les transports collectifs et routiers. Tous nos modes de transports individuels vont devoir faire leur révolution. Un mot non galvaudé tant le changement doit être rapide. Il faut, en effet, baisser de plus de 50 % les émissions de gaz à effet de serre au d’ici à 2030. Dans sa dernière étude sur les transports bas carbone, l’Institut Montaigne soulignait deux choses importantes : 74% des Français utilisent leur voiture quotidiennement pour se rendre au travail, ce qui sous-tend un accompagnement de l’évolution des usages des citoyens. Et ce, sans provoquer de troubles sociaux comme cela a été le cas lors du mouvement des Bonnets rouges en 2013 et de celui des Gilets jaunes en 2018. Les pouvoirs publics en ont conscience : les transports durables vont devoir être inclusifs.

La route, le grand chantier de demain commence aujourd’hui

Parlons chiffres à présent. Selon le Rapport sur l’état de l’environnement du ministère de la Transition écologique (1), les transports seraient responsables de 31% des émissions de GES en France, 97% étant directement imputables à la combustion des carburants (essence et diesel). Sur ce total, 54% sont dus aux voitures particulières, 24% au transport routier. Le calcul est donc rapide à faire : le changement systémique attendu viendra principalement de la révolution de la route, de la généralisation des bornes de recharge électrique haut débit (plus de 150kW) et du développement d’autres énergies vertes pour les poids lourds. Avec – et c’est important de le souligner – un accompagnement en faveur des ménages les plus modestes grâce au Fonds social pour le climat de l’Union européenne, destiné à financer l’efficacité énergétique des bâtiments mais aussi destiné à rendre accessible les modes de mobilité durable à l’ensemble de la population européenne.

Si l’impulsion vient de Bruxelles, chaque Etat membre va devoir mettre en place ses propres solutions. En France, les pouvoirs publics se penchent sur la question depuis dix ans et l’apparition des premières voitures électriques. Les ventes de véhicule propre sont en train de décoller en France (+46,2% entre 2021 et 2020), il va donc falloir que les infrastructures dédiées suivent le même rythme, offre et demande devant se rencontrer sous peine de foncer dans le mur. « Il va être nécessaire de faire évoluer nos infrastructures, en particulier pour accueillir les véhicules électriques qui seront de plus en plus nombreux à effectuer des trajets interurbains, a déclaré Arnaud Quémard, président de l’Association des sociétés françaises d’autoroutes (ASFA), devant le Sénat en juin 2020. Les véhicules utilisant de l’hydrogène nécessiteront également des investissements considérables puisque le coût d’une borne de recharge est estimé à deux millions d’euros. » Partout en France, de nombreux projets sont sur la table. Au nord de Paris par exemple, de nouveaux aménagements sur l’autoroute A1 pourraient bientôt voir le jour, avec une voie réservée au covoiturage et les bus express comme cela se fait déjà depuis 2019 dans le sud-est de la France, grâce au partenariat entre la région PACA et Vinci Autoroute, avec l’aménagement de pôles multimodaux (réunissant gares routière et ferroviaire) et d’aires de services pour la recharge électrique.

Mais tout cela a un coût : rien que pour le territoire tricolore, la facture des nouveaux aménagements routiers s’élèvera à 60 milliards d’euros dans les dix prochaines années, selon une récente étude d’Altermind, qui souligne que nous allons « devoir désormais transformer l’infrastructure construite au XXe siècle pour l’adapter aux mutations du XXIe. Le prix de l’inaction serait bien plus élevé que celui de la décarbonation ». Reste donc l’épineuse question du financement d’une telle révolution. En France comme partout en Europe, les Etats seuls ne pourront pas mettre la main à la poche du contribuable pour financer des travaux d’une telle ampleur. Ils devront nécessairement avoir recours à la capacité de financement et d’investissement des acteurs du secteur privé pour relever le défi d’ici 2030. De Paris à Bruxelles en passant par Berlin, tous les décideurs le savent : il n’est plus temps de tergiverser.

Par Aurélie Simon

(1)  L’article a été écrit avant les élections législatives, en juin 2022


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