À Djeddah, sur les rives de la mer Rouge, un chantier hors normes défie l’imagination et les lois de la physique. Après des années d’interruption, la Jeddah Tower, appelée à devenir la plus haute tour du monde, reprend son ascension. Avec ses mille mètres de hauteur annoncés, elle entend dépasser de plus de 170 mètres le Burj Khalifa de Dubaï et s’imposer comme un symbole éclatant de l’ambition saoudienne.
Le projet a été initié au début des années 2010 sous le nom de Kingdom Tower. Il avait vu sa construction suspendue en 2018, alors qu’un tiers de l’édifice était déjà sorti de terre. Difficultés financières, politiques et contraintes techniques avaient alors figé les grues et réduit à néant l’élan initial. Mais depuis le début de l’année 2025, les travaux ont repris à un rythme soutenu. Selon les dernières observations, la structure atteint désormais environ soixante-dix étages, avec une progression qui avoisine un niveau supplémentaire tous les quatre jours.
L’édifice, qui présente une silhouette effilée et asymétrique, a été pensé pour résister aux vents violents qui balayent la côte. Pour soutenir cette masse colossale, les ingénieurs ont opté pour des fondations exceptionnelles : une dalle de cinq mètres d’épaisseur, reposant sur 270 pieux enfoncés jusqu’à 105 mètres dans le sol. La structure mobilisera au total plus de 500 000 mètres cubes de béton et 80 000 tonnes d’acier, soit un volume et un poids qui suffiraient à bâtir plusieurs gratte-ciel conventionnels.
À l’intérieur, la Jeddah Tower accueillera des espaces variés. Des appartements et des bureaux occuperont la majeure partie des étages, tandis qu’un hôtel s’installera dans les niveaux intermédiaires. Plus haut encore, un observatoire panoramique offrira aux visiteurs une vue inédite sur la mer Rouge depuis plus de 640 mètres de hauteur, établissant un record mondial. Avec 157 étages prévus au total, la tour promet de devenir une ville verticale, conçue pour accueillir des milliers de personnes dans un environnement climatisé.
Les émissions de CO₂ ont déjà dépassé les 200 000 tonnes
Si la prouesse architecturale suscite l’admiration, elle soulève aussi de vives critiques. Les associations environnementales pointent du doigt un chantier dont l’empreinte carbone dépasse déjà les 200 000 tonnes de CO₂, avant même son achèvement. La proximité du site avec le littoral alimente également les inquiétudes : montée des eaux, pollution et impact sur les écosystèmes marins sont autant de risques que les promoteurs devront assumer. Dans un contexte mondial où la réduction des émissions de gaz à effet de serre est devenue une priorité, la construction d’un édifice de cette ampleur apparaît pour certains comme une provocation, davantage tournée vers le prestige que vers la durabilité.
Pour ses défenseurs, au contraire, la Jeddah Tower incarne l’audace et l’innovation. Elle s’inscrit dans le cadre de la Vision 2030, un programme de diversification économique du royaume qui cherche à réduire sa dépendance au pétrole en investissant massivement dans le tourisme, la finance et l’immobilier de prestige. L’édifice n’est pas seulement un gratte-ciel, il est pensé comme le cœur d’un vaste projet urbain, baptisé Jeddah Economic City, une cité nouvelle qui ambitionne d’attirer investisseurs et visiteurs du monde entier.
Le calendrier officiel prévoit une inauguration en 2028, si les délais sont respectés et si le chantier ne rencontre pas de nouveaux obstacles. Les défis restent nombreux : la mise au point d’ascenseurs capables de parcourir un kilomètre, la gestion des charges structurelles, la sécurité en cas d’incendie ou de séisme. Autant de contraintes techniques qui obligent les ingénieurs à repousser sans cesse les limites connues de l’architecture.
Si la Jeddah Tower est menée à son terme, elle deviendra une référence mondiale en matière de conception de gratte-ciel. Mais elle illustre aussi les limites d’un modèle de développement fondé sur des réalisations spectaculaires, impliquant une consommation massive de ressources, une empreinte carbone élevée et une adaptation incertaine aux évolutions climatiques régionales. Ce projet pourrait servir de cas d’étude pour interroger les conditions de faisabilité et de durabilité des futures mégastructures dans un contexte mondial de transition énergétique et écologique.
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