La mise en place de ce dispositif répond aux enseignements de la crise des marchés de l’énergie entre 2021 et 2023, période durant laquelle certains fournisseurs ont vu leur modèle fragilisé par l’explosion des prix sur les marchés de gros. À l’issue de cette crise, la CRE a estimé nécessaire d’instaurer une régulation prudentielle pour encadrer les stratégies de couverture et de gestion des risques. L’objectif est d’éviter que des engagements de fourniture passés auprès des consommateurs ne se retrouvent pas correctement couverts en amont.
Le guichet à blanc proposé par la CRE est une phase de test en conditions réelles. Il s’adresse aux fournisseurs titulaires d’une autorisation de revente d’électricité ou de fourniture de gaz naturel, qui desservent au moins un consommateur final, et qui comptent plus de 100 000 clients dans une même zone locale de distribution. Ces fournisseurs ont jusqu’au 30 janvier 2026 pour soumettre à la CRE l’ensemble des documents requis, constituant une sorte de déclaration de conformité. Le guichet étant ouvert en amont du cadre légal définitif, aucun résultat individuel ni sanction ne sera communiqué à l’issue de cette première phase (energynews.pro).
L’objectif est d’éprouver les procédures de conformité, de tester comment les fournisseurs peuvent organiser leurs stratégies de couverture et de gestion des risques, et d’anticiper les potentielles difficultés avant la mise en place d’un cadre contraignant.
Trois axes de contrôle : volume, solidité financière, organisation interne
Le dispositif s’articule autour de trois grands principes. Le premier consiste en un « critère en couverture », c’est-à-dire la vérification que les volumes d’énergie engagés auprès des clients sont bien couverts par des contrats d’achat ou des positions adéquates sur les marchés d’approvisionnement. Les fournisseurs qui ne respectent pas ce critère pourront être exclus du dispositif quantitatif.
Le deuxième principe prévoit un test financier pour les acteurs non conformes. En fonction de leur notation financière, la CRE évaluera leur solvabilité et leur liquidité. Si des risques sont identifiés, le fournisseur devra mettre en place un plan de remise en conformité.
Le troisième volet porte sur la formalisation d’une stratégie de gestion des risques avec la mise en place de procédures internes et d’une organisation ad hoc. La CRE demande aux fournisseurs de fournir une cartographie des risques et de documenter les processus internes associés, une démarche que l’autorité entend rendre obligatoire une fois la régulation définitivement instaurée.
Pourquoi ce mécanisme a-t-il été instauré ?
La crise énergétique récente a mis en lumière la vulnérabilité de certains fournisseurs face à la volatilité des prix sur les marchés de gros. Certains avaient pris des engagements à long terme envers leurs clients sans disposer des couvertures nécessaires, ce qui a conduit à des défauts, des faillites, voire des retraits d’offres, avec potentiellement des clients laissés pour compte. La CRE a jugé qu’il était indispensable de renforcer la régulation pour garantir la solidité financière des acteurs et la fiabilité de leurs offres.
Ce dispositif transitoire donne aux fournisseurs le temps de s’adapter et à la CRE l’occasion de tester les nouvelles règles sans recourir immédiatement à des sanctions. Il s’inscrit dans une démarche de restauration de la confiance des consommateurs et de stabilisation du marché de détail, tout en préparant l’application d’une régulation plus pérenne et stricte.
Bénéfices attendus et limites
En renforçant la couverture des engagements et la solidité financière des fournisseurs, le dispositif augmente la sécurité pour les consommateurs, particuliers comme entreprises, qui pourront souscrire des offres en ayant une meilleure garantie sur la tenue des engagements. Il rend le marché plus transparent, plus stable, moins sujet aux faillites en cascade et aux retraits d’offres. Il incite les fournisseurs à adopter des pratiques de gestion des risques responsables et à structurer professionnellement leur activité.
Cependant certains bémols sont à noter. Le dispositif ne s’appliquant pour l’instant qu’aux fournisseurs ayant plus de 100 000 clients dans une zone donnée, il exclut de facto les petits fournisseurs, parfois plus fragiles, mais aussi plus nombreux. On peut craindre que ces petits acteurs continuent d’opérer dans un cadre moins contrôlé, ce qui pourrait créer une distorsion de concurrence ou des risques accumulés hors contrôle.
De plus, comme il s’agit d’une phase de test sans sanction, l’efficacité réelle dépend de la bonne volonté des fournisseurs. Rien n’empêche a priori qu’un fournisseur validé mais mal structuré échoue après la période transitoire. Enfin, si le cadre définitif tarde à être transposé, notamment pour le gaz naturel qui nécessite une loi complémentaire, le marché pourrait rester dans une zone de flou pendant une période prolongée.
Vers un cadre réglementaire permanent
Ce dispositif transitoire constitue un pont vers un cadre réglementaire plus contraignant, notamment en lien avec l’article 18bis de la directive européenne sur le design du marché de l’électricité (EMD). Une fois la directive transposée, la CRE pourra imposer des obligations pérennes, telles que couverture effective des engagements, procédures de gestion des risques, transparence renforcée. Pour le gaz naturel, une loi complémentaire sera nécessaire avant de pouvoir appliquer un régime similaire.
La mise en place annuelle de guichets, avec des échéances en 2026 au 1ᵉʳ mai pour le gaz et au 30 septembre pour l’électricité, est prévue jusqu’à l’application complète du nouveau cadre.
En définitive, cette initiative marque une volonté forte de professionnalisation et de sécurisation du marché de l’énergie en France. Elle vise à prévenir les dérives observées récemment et à construire un marché de détail plus stable, transparent et respectueux des engagements contractuels pris envers les consommateurs. Son succès dépendra de la rigueur avec laquelle la CRE l’appliquera, et de la capacité des fournisseurs, petits ou grands, à s’y conformer sur le long terme.
Une nouvelle régulation qui redistribue les équilibres
Le futur régime prudentiel destiné à devenir obligatoire devrait transformer en profondeur l’organisation du marché de détail. Il imposera aux fournisseurs des exigences renforcées en matière de couverture des volumes engagés, de solidité financière et de gestion formalisée des risques. Cette évolution répond à la nécessité de sécuriser les engagements pris envers les consommateurs et de prévenir les fragilités révélées lors de la récente crise des marchés de gros. Elle favorisera les acteurs qui disposent déjà d’équipes dédiées à la gestion des risques, tandis que les structures plus petites devront absorber des obligations nouvelles qui pourraient les conduire à réduire leur présence sur certains segments. Les consommateurs devraient bénéficier d’une plus grande stabilité des offres ainsi que d’une diminution du risque de défaut d’un fournisseur, même si la concurrence sur les tarifs les plus dynamiques pourrait s’en trouver limitée.
Les réactions des fournisseurs témoignent d’une acceptation prudente de ce nouveau cadre. Les grands acteurs affirment être prêts à intégrer ces obligations qui s’inscrivent dans des pratiques déjà en vigueur dans leurs organisations. Les fournisseurs alternatifs expriment davantage d’inquiétudes, notamment en ce qui concerne la charge réglementaire et le risque de déséquilibre entre acteurs de tailles très différentes. Tous soulignent l’importance d’une mise en œuvre claire et progressive et reconnaissent que la phase transitoire ouverte par la CRE constitue une occasion d’ajuster les règles afin de garantir un dispositif à la fois protecteur et proportionné.
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