Décryptage

« La réduction du coût énergétique du dessalement est le challenge à relever »

Posté le 28 juin 2011
par La rédaction
dans Environnement

Philippe Bréant est Directeur du Programme de recherche Eau Potable au sein de Veolia Environnement Recherche et Innovation. Il s'occupe notamment du dessalement, l’une des méthodes de production d’eau potable.

Techniques de l’Ingénieur : quel est votre rôle et quels sont vos missions au sein de Veolia Environnement ?

Je fais partie de la direction Recherche et Innovation de Veolia Environnement. Cette entité est découpée en 7 programmes de recherche, dont un est consacré à l’eau potable. Je suis directeur de ce programme depuis 6 ans. Mon rôle est de définir, organiser, suivre tous les programmes de R&D qui sont en lien avec le métier de la production et de la distribution d’eau potable de Veolia.  Cela comprend aussi une activité plus spécialement dédiée au dessalement, qui est l’une des méthodes de production d’eau potable à partir d’eau de mer.

En quoi consiste le dessalement de l’eau ?

Aujourd’hui, deux grandes techniques permettent de dessaler l’eau. La première est le dessalement thermique. Schématiquement, on fait bouillir de l’eau, on récupère la vapeur, on recondense la vapeur, et on obtient ainsi de l’eau débarrassée de ses sels. C’est une technique ancienne, qui s’est perfectionnée depuis maintenant 40-50 ans, avec notamment les techniques multiples effets type MSF ou MED.

La deuxième grande famille de techniques concerne le dessalement par membranes, de type « osmose inverse ». Ce sont des membranes très fines, semi-perméables, au travers desquelles l’eau a naturellement tendance à passer avec un phénomène d’osmose lié à la différence de salinité. L’eau douce traverse la membrane et vient diluer la partie salée. En appliquant une pression sur la partie salée pour repousser l’eau douce de l’autre côté de la membrane, on contrarie le phénomène d’osmose naturelle en faisant de l’osmose inverse.

En quoi sont constituées les membranes ?

Principalement à base de matériau polymère issu de la chimie du pétrole.

Quels sont les avantages et les inconvénients de ces techniques ?

Le dessalement par membranes date d’il y a 40 ans. Ces dernières années, il s’est fortement développé alors que le dessalement thermique a plutôt lui ralenti. Aujourd’hui, on observe une très forte croissance du nombre d’installations qui sont construites selon le procédé d’osmose inverse.

Ce qui a fait la différence dans le temps, c’est la performance de consommation énergétique des membranes. Au départ, elles consommaient beaucoup, entre 10 et 15 kWh par m3 d’eau dessalée. En 20 ou 25 ans, nous avons réussi à descendre à 3,5 kWh par m3.

Quand l’unique besoin est de produire de l’eau sur un endroit donné, le procédé osmose inverse est plus économique, car c’est une technique qui coûte moins cher en énergie.

Par contre, s’agissant de projets où les besoins sont à la fois de produire de l’électricité et de l’eau douce, le procédé thermique peut être plus approprié car l’usine de dessalement thermique est associée à une usine de production d’énergie. Mais aujourd’hui, de moins en moins d’usines fonctionnent comme cela, bien qu’il s’enconstruise encore d’importantes, notamment en Arabie Saoudite. [suite page 2]

Quels sont les pays où la production de dessalement d’eau est importante ?

Les pays du Golfe, l’Australie. Ce sont les deux marchés les plus matures. On travaille aussi un peu en Espagne, aux États-Unis et en Chine où cela commence à se développer beaucoup, principalement pour le marché industriel. Il faut rappeler qu’en Chine, les eaux douces sont réservées en priorité à la production d’eau potable. Les entreprises situées en zone cotière et qui ont des besoins d’eau supplémentaire doivent avoir recours au dessalement.

Quels sont les critères pour mesurer la potabilité d’une eau ?

En Europe, les critères sont régis par la directive européenne de 1980 qui définit la qualité minimale de l’eau. Même si certains pays dans le monde y font quelques entorses, la plupart sont alignés sur ces standards européens assez proches de ceux de l’OMS.

De quelle nature sont ces standards ?

Il y a des critères physico-chimiques et des critères microbiologiques (on cherche à retirer les micropolluants, les nitrates, toutes les sources de contamination, les bactéries, les virus, etc.)

Dans le dessalement de l’eau de mer, le principal élément à retirer est le sel. Même si l’eau de mer est beaucoup moins polluée que l’eau des rivières, il y a quand même besoin de procéder à un prétraitement avant d’envoyer l’eau sur les membranes, afin que l’installation fonctionne correctement.

Sur quels projets travaillez-vous actuellement ?

En R&D, nous travaillons sur les meilleures techniques pour prétraiter l’eau de mer, avant de l’envoyer sur les membranes. Cela permet d’allonger la durée de vie des membranes et de réduire la consommation d’énergie. Le deuxième axe de recherche concerne le développement de procédés les moins énergivores possibles. Enfin, le troisième sujet de recherche a trait aux procédés ayant le moins d’impact environnemental possible, tant au niveau des rejets en mer (l’eau rejetée étant plus salée que celle extraite) que des gaz à effet de serre liée à la consommation d’énergie utilisée pour les usines de dessalement.

Pourriez-vous nous parler d’une avancée récente réalisée par vos équipes ?

Actuellement, nous sommes en train de mettre sur le marché de nouvelles membranes développées en collaboration avec une start-up californienne, NanoH2O, et qui permettent d’avoir des flux plus importants pour une consommation énergétique plus réduite.

Qui sont vos partenaires ?

Nous collaborons avec des fabricants de membranes, les plus grands étant les américains et les japonais. Nous nouons aussi des collaborations avec des starts-up qui sortent des procédés innovants et qui nous demandent de les aider à les développer et à les industrialiser. Il peut s’agir par exemple de membranes ou de procédés de dessalement hybrides, à mi-chemin entre le dessalement thermique et le dessalement membranaire.

Par ailleurs, nous collaborons aussi avec des universités renommées. Pour bien connaitre la qualité des eaux de mers, nous travaillons notamment avec l’Observatoire océanologique de Banyuls, rattaché à l’Université de Paris-La Sorbonne. Nous travaillons aussi avec l’Ifremer et des universités étrangères comme l’université du Queensland en Australie ou le KAUST, une grande université nouvellement créée en Arabie Saoudite qui réfléchit entre autres au dessalement de demain, et de laquelle nous sommes partenaires.

Quels sont les différents objectifs auxquels répond le dessalement  de l’eau ?

Aujourd’hui encore, le dessalement coûte cher. Mais c’est parfois l’unique solution pour amener de l’eau à des populations vivant dans des zones où les ressources en eau douce sont insuffisantes. D’un autre côté, le dessalement se développe plus facilement dans des zones plus riches, car c’est une technologie coûteuse.

Une de nos problématiques actuelles : comment faire du dessalement à partir d’énergies renouvelables ? Cela pourrait être ainsi la solution pour dessaler de l’eau dans les pays à faible revenu. Nous travaillons en ce moment sur le développement d’unités de dessalement solaire.

Quel est le besoin des pays riches en dessalement ?

Si l’on regarde le développement des Émirats Arabes Unis, on s’aperçoit que le développement des villes importantes est totalement lié au développement des capacités de production en eau. Là où il n’y a pas d’eau, vous ne pouvez pas développer de vie. Et si des villes comme Dubaï ou Abu Dhabi se sont étendues ces vingt dernières années, c’est en raison de la construction d’importantes usines de dessalement.

Ce qui freine le développement dans d’autres pays, c’est le coût de l’énergie, et c’est pourquoi notre principal axe de travail porte sur la réduction du coût énergétique du dessalement. C’est le challenge à relever si l’on veut pouvoir alimenter en eau potable des millions de personnes demain, qui vivent dans des zones à déficit hydrique.

Actuellement, nous assistons  à un phénomène de déplacement progressif  des populations vers les côtes. 60 % de la population mondiale habite à moins de 60 km du littoral. Pour alimenter demain toutes ces populations en eau potable, le dessalement représente vraiment l’une des solutions, à combiner bien sûr avec le recyclage des eaux usées.

Dans quelques pays du monde, en Australie et aux États Unis par exemple, des détracteurs du dessalement reprochent à cette technologie d’engendrer beaucoup de pollution. Mais ce qu’il faut bien savoir, c’est que quand les collectivités décident de procéder au dessalement de l’eau, c’est parce que c’est la solution d’ultime recours. Dans les périodes d’intense sécheresse, comme en Australie, ou dans les zones qui sont chroniquement en déficit d’eau, il n’y a bien souvent plus d’alternative possible à part dessaler.

 

Propos recueillis par Carole Hamon