Interview

Le nettoyage des tasses à la vapeur sèche, une alternative aux gobelets de café jetables

Posté le 12 juin 2025
par Arnaud Moign
dans Innovations sectorielles

L’arrêt de la production et de la vente de gobelets en plastique à usage unique imposé par la loi AGEC a contraint les entreprises à se tourner vers des alternatives, notamment les gobelets en carton. Mais ces gobelets en carton, parce qu’ils sont jetables, ne sont pas forcément plus vertueux que leurs prédécesseurs en plastique ! Avec une moyenne de trois boissons par jour et par personne, une entreprise de cent collaborateurs jette ainsi plus de 66 000 gobelets par an. Comment en finir avec les gobelets jetables ? La jeune entreprise auum pense avoir la solution : miser sur la réutilisation, grâce au nettoyage des tasses à la vapeur sèche. Nous avons demandé à Clément Houllier, son cofondateur, de nous parler de cette technologie.
Clément Houllier, cofondateur et CEO d’auum (Crédit : auum)

auum est l’acronyme du slogan de cette jeune entreprise engagée dans la lutte contre le plastique à usage unique : « Arrêtons l’Usage Unique Maintenant ».

L’histoire d’auum (à prononcer [Om]) a débuté en 2018, à la suite d’un constat : en France, nous consommons encore plus de 5 milliards de gobelets jetables par an.

Trois ans de R&D auront été nécessaires pour développer la technologie permettant à son lave-verre professionnel à vapeur sèche de voir le jour.

Cette petite machine, qui porte le nom d’auum-S, est capable d’éliminer 99,9 % des bactéries sans aucun produit chimique, en utilisant seulement 10 cl d’eau par cycle.

Après une première levée de fonds de 1 million d’euros en 2020, suivie d’un deuxième tour de table de 7 millions d’euros en 2022, auum vient d’annoncer une nouvelle levée de 15 millions d’euros, qui permettra à l’entreprise de poursuivre son développement et de déployer 10 000 machines, contre 1 500 actuellement.

Techniques de l’ingénieur : Qu’est-ce qui vous a amené à développer cette technologie de nettoyage à la vapeur sèche ?

Clément Houllier : Nous sommes partis d’un constat : le secteur du nettoyage innove assez peu, contrairement à des secteurs comme l’aéronautique, le spatial, les télécoms ou la microélectronique qui ont connu des avancées technologiques importantes durant ces 30 dernières années.

Nous en avons conclu qu’il y avait énormément à faire, sur le volet réutilisation et technologies propres, économes en ressources. On s’est donc orienté vers la vapeur sèche, afin d’apporter un nouvel angle à ce secteur du nettoyage.

Quels sont les points forts de la vapeur sèche ?

C’est une vapeur qui est surchauffée autour de 136°C et composée de molécules d’eau à l’état gazeux. Elle possède ainsi des propriétés dégraissantes et désinfectantes qu’on n’obtient pas avec la vapeur dite humide, qui contient encore beaucoup d’eau à l’état liquide.

Nous avons commencé par développer une technologie autour de la vapeur sèche, pendant 6 à 12 mois et on s’est vite aperçu qu’il y avait de nombreux cas d’usage potentiels, notamment le nettoyage des boîtes alimentaires, des gourdes, des contenants cosmétiques, des tasses, etc.

On a donc choisi de se concentrer sur un secteur particulièrement porteur, avec une vraie profondeur de marché : celui du remplacement des gobelets plastiques jetables, en entreprise, par des tasses réutilisables.

La machine auum-S (source : auum)

Après avoir lancé la R&D de la machine, nous avons déployé notre propre usine de production, à Châtillon. En septembre 2021, nous avons entamé la commercialisation des premières machines et nous développons le business, depuis cette période, en France, mais aussi au Benelux, en Suisse et bientôt dans les pays nordiques.

Le marché est énorme : entreprises, concessionnaires, cliniques, résidences seniors, aires d’autoroute, bref, tous les endroits où on consomme du café.

Comment fonctionne cette machine ?

Du point de vue technologique, c’est assez complexe. On parle de vapeur, mais en réalité nous sommes sur trois phases : de l’eau liquide pour retirer les particules sur les contenants (de lait notamment), ensuite de la vapeur surchauffée pour la désinfection et enfin de l’air pour refroidir et sécher, tout ça dans un volume restreint.

auum a déposé trois brevets, sur le fonctionnement de la machine, sur la manière dont on utilise la vapeur et sur le nettoyage du verre. Il y a eu beaucoup de R&D et nous continuons à en faire, grâce à une équipe qui continue de s’étoffer et à des subventions France 2030.

D’autres brevets seront donc probablement déposés à l’avenir, si des nœuds technologiques sont identifiés et débloqués.

Quels sont les atouts du point de vue environnemental ?

Il y en a plusieurs. Le premier est la consommation d’eau, car le lavage à la main d’une tasse va consommer plus d’eau que notre machine et bien plus encore que la fabrication d’un gobelet en carton. Tout ceci a été quantifié par une étude d’analyse de cycle de vie (ACV) comparative, réalisée avec l’agence d’écoconception Coopérative Mu.

D’après l’ACV, la solution auum a un impact sur l’épuisement des ressources en eau trois fois moins élevé que celui des mugs nettoyés au lave-vaisselle.

Par ailleurs, l’impact carbone de la solution auum est deux fois moins élevé que celui d’un gobelet jetable en carton !

Gobelets, mugs, eco-cups Vs solution auum : quel impact sur l’environnement ? (Extrait de l’étude ACV comparative coopérative Mu et auum)

Et qu’en est-il du point de vue économique ?

Quand on développe un tel produit, l’objectif est d’être à iso-prix par rapport au produit remplacé, c’est-à-dire l’utilisation de gobelets jetables. Nous estimons que la machine est rentable pour les entreprises à partir de 50 employés, un chiffre rapidement atteint, donc c’est un bon point.

Il y a aussi d’autres points importants : la praticité, la simplicité d’usage et le plaisir du consommateur. Car notre but est que la machine remplace le gobelet et améliore aussi l’expérience du consommateur. On boit rarement du bon café dans un gobelet, de même qu’on ne boit pas de bon vin dans un gobelet. Pourtant, le monde de l’entreprise s’est habitué à utiliser ces gobelets, avec une expérience un peu désastreuse. Nous voulons changer cette perception !

Vous venez d’annoncer une nouvelle levée de fonds de 15 millions d’euros. Quelles sont vos ambitions ?

L’objectif est de poursuivre notre développement en Europe, afin d’étendre notre présence sur le marché. Nous travaillons avec des partenaires de distribution comme Sélecta ou JDE et nous les accompagnons dans le remplacement des gobelets jetables. Ce business model indirect nous permet d’accélérer notre déploiement en Europe, mais il nécessite une structuration de toute la partie commerciale.

Ces fonds serviront aussi à développer la partie industrielle, à améliorer la qualité et la stabilité, tout en réduisant les coûts, mais aussi à poursuivre nos efforts de R&D et à explorer les autres applications.

Pouvez-vous nous parler de ces autres applications potentielles ?

Nous travaillons activement sur deux autres verticales, notamment le nettoyage de contenants cosmétiques en verre ou inox pour faire du remplissage en boutique. Nous obtenons des résultats prometteurs sur les encrassements cosmétiques, huiles, sérums, shampoings, gels douche, etc.

L’autre marché qui nous intéresse est très différent, puisqu’il concerne le nettoyage de panneaux solaires encrassés par des champignons, lichens, fientes d’oiseaux, etc. Si la technologie employée est la même que pour le nettoyage de contenants, un brossage mécanique est par ailleurs nécessaire, compte tenu des niveaux d’encrassement élevés.

Notre prototype a d’ores et déjà donné des résultats assez bluffants, sur de petites surfaces de panneaux, mais l’objectif est d’industrialiser cette technologie pour permettre le nettoyage de parcs solaires d’envergure (plus de 500 000 m²).


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