Reportage

Les enjeux géopolitiques du référendum kurde

Posté le 6 octobre 2017
par Pierre Thouverez
dans Entreprises et marchés

Le référendum qui s’est tenu le 25 septembre dernier au Kurdistan irakien a accouché d’une très large majorité (90%) en faveur de l’indépendance. Cette consultation, jugée illégale par Bagdad, relance les tensions entre la région nord de l’Irak et le reste du pays. La communauté internationale est prudente tant la problématique kurde est complexe et potentiellement mortifère pour le fragile Etat irakien.

Alors que les médias européens avaient les yeux braqués sur Barcelone, un autre référendum se tenait quelques jours auparavant au Kurdistan irakien. A l’instar de la Catalogne, le Kurdistan irakien a organisé lui aussi une consultation populaire jugée illégale par le pouvoir. Cette région nord de l’Irak est également un poumon économique de l’Irak, dont une partie importante de sa population souhaite s’affranchir. Le parallèle s’arrête cependant là, tant les enjeux géopolitiques du Kurdistan dépassent les seules frontières irakiennes.

Une lutte ancienne

La minorité kurde d’Irak a régulièrement pris les armes durant le XXème siècle (et encore au XXIe) pour faire valoir ses droits face au pouvoir central de Bagdad. Une première autonomie est obtenue de haute lutte en 1991 suite à la défaite de Saddam Hussain lors de la guerre du Golfe, mais très vite une guerre civile éclate entre Kurdes irakiens. Une nouvelle étape est franchie en 2005 avec l’adoption d’une nouvelle constitution irakienne (suite à l’intervention américaine en 2003) prévoyant une certaine autonomie du Kurdistan dans le cadre d’un nouveau système fédéral. Une autonomie somme toute assez relative car les décisions du Parlement irakien s’impose à celui du Kurdistan dont le rôle est davantage consultatif. Par ailleurs, la région ne peut retirer elle-même les bénéfices de l’exportation du pétrole de son sous-sol, contrôlé par Bagdad. En contrepartie, la capitale s’est engagée à reverser 20% des revenus pétroliers au Kurdistan irakien.

La lutte contre Daech, et notamment la reprise de Mossoul cette année, principale ville du Kurdistan irakien, a donné l’occasion aux combattants kurdes, les Peshmergas, de faire parler d’eux. Les Peshmergas sont certes des combattants, mais aussi un formidable moyen de communication pour les dirigeants kurdes. On ne compte plus les reportages les montrant, notamment leurs bataillons de femmes soldats, lutter aux côtés de la coalition internationale contre Daech, participant à la renommée des combattant(e)s kurdes.

Vers une négociation ?

Si le péril Daech n’est pas encore totalement écarté – des combattants islamistes sont encore actifs le long de l’Euphrate et de la frontière syrienne – le rôle des Peshmergas est aujourd’hui davantage lié à la sécurisation des territoires repris. De fait, la politique a repris peu à peu sa place et le référendum organisé par Massoud Barzani, président du Kurdistan irakien, en est le symbole. Avec près de 80% de participation et 90% en faveur de l’indépendance, cette consultation a été naturellement très mal accueillie par Bagdad qui a pris des mesures : «Un embargo a été mis en place pour empêcher les avions d’atterrir au Kurdistan. Même les vols humanitaires éprouvent des difficultés à se poser», explique Benjamin Toubol, chercheur à l’Institut Français de Géopolitique. Une réaction forte mais qui ne présage pas forcément d’un envenimement de la situation. Présent à Paris le 5 octobre dernier dans le cadre d’une visite diplomatique, le Premier ministre irakien, Haïder Al-Abadi, n’a pas fermé la porte à la médiation que Ján Kubiš, émissaire de l’ONU en Irak, souhaite engager entre les parties.

La France, par la voie de son président, Emmanuel Macron, a indiqué vouloir « maintenir l’intégrité et l’unité de l’Irak tout en reconnaissant les droits des Kurdes ». Une position qui a vocation à ne froisser aucun des deux camps.

La Russie place ses pions

Face à une Union européenne inaudible, des Etats-Unis qui regardent davantage en Asie et une ONU impuissante, la Russie joue sa partition. «La nature a horreur du vide. Vladimir Poutine applique cette loi au cas kurde et avance ses pions», indique Benjamin Toubol. En juin dernier, la compagnie pétrolière russe Rosneft a ainsi signé, lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg, un accord de coopération énergétique avec le Kurdistan. Le but étant de permettre au territoire kurde d’Irak d’exporter directement son pétrole sans passer par Bagdad. Quelque 500 000 barils par jour transitent déjà par le biais d’un oléoduc qui traverse le sud-est de la Turquie jusqu’au terminal de Ceyhan sur la Méditerranée.

Recept Erdogan, président de la Turquie, cultive également de bonnes relations avec le clan Barzani. Ce dernier a autorisé des opérations militaires turques dans le nord de la province pour chasser les combattants révolutionnaires kurdes du Rojava et de l’Anatolie du Sud-Est, honnis par Ankara. Une situation complexe résumée par le chercheur français : «Le Kurdistan d’Irak rencontre un paradoxe lié à l’histoire kurde de la région. Soit devenir un Etat et privilégier l’unité de tous les Kurdes au risque de froisser ses partenaires turcs et iraniens, ou devenir un État kurde, dont les enjeux et les représentations différeraient de ceux des Kurdes de Syrie et de Turquie, mués par un idéal révolutionnaire marxiste».

De fait, la Turquie et la Russie ont davantage intérêt à maintenir le statu quo, ce que semblent désormais refuser les dirigeants kurdes. Bagdad n’ayant pas les moyens de contenir les velléités indépendantistes du Kurdistan, il y a fort à parier que la résolution de ce dossier se jouera au niveau international. A suivre donc.

Romain Chicheportiche


Pour aller plus loin

Dans les ressources documentaires