Décryptage

Les robots partent à la conquête des entrepôts

Posté le 28 septembre 2016
par Matthieu Combe
dans Innovations sectorielles

Selon le cabinet de conseil Roland Berger, les robots vont rapidement conquérir les entrepôts logistiques. Sans mesures adéquates, cette technologie de rupture pourrait engendrer la destruction de 1,5 million d'emplois directs en Europe, dont 225.000 en France.

Le distributeur américain Walmart teste depuis juin des drones dans ses entrepôts pour effectuer ses inventaires. Ces travailleurs sont indétronables : ils réalisent l’équivalent de deux mois de travail en une journée. Equipés d’un scanner, ils inventorient des cartons et palettes entreposées afin de mettre à jour les stocks. Le groupe français Hardis Group  a lancé le drone Eyesee, un drone similaire pour les inventaires et le contrôle des stocks, sans intervention humaine. En aval des entrepôts, le 23 septembre, UPS a annoncé tester l’utilisation de drones pour effectuer des livraisons commerciales dans des endroits éloignés ou difficiles d’accès. Ces annonces ne sont que l’une des nombreuses illustrations de l’impact de la robotique dans la logistique. La course à la robotisation a récemment été lancée par Amazon et les autres géants américains du e-commerce. La fièvre atteindra rapidement l’Europe.

L’étude « Des robots et des hommes – Pour une vision confiante de la logistique 2025 », réalisée par le cabinet de conseil Roland Berger, début 2016, est catégorique. Si les logisticiens ne préparent pas la transition robotique, 1,5 million d’emplois seraient détruits en zone euro dans la filière, soit plus d’un emploi sur deux. En France, les destructions d’emplois feraient aussi rage. Le pays compte près de 522.000 emplois de manutentionnaires peu qualifiés : 166.000 dans le commerce, 113.000 dans l’industrie manufacturière, 92.000 dans le transport et l’entreposage, 49.000 dans la construction et 101.000 dans les autres secteurs. Sur cet ensemble, 225.000 emploies seraient menacés et presque autant de postes indirects dans les dix prochaines années.

Malgré cette épée de Damoclès, les logisticiens européens n’ont pas encore pris la mesure du danger. Le cabinet relève que « le sujet reste  pour l’instant confidentiel sur le terrain ». En effet, si 10% des entreprises opérant des entrepôts aux Etats-Unis auraient déjà déployé ou testé ce type de solutions, moins de 2% l’auraient fait en France.  « Veille, pilotes de chariots automatisés, robots de surveillance, drones d’inventaire, les initiatives se multiplient avant tout dans une logique de médiatisation des marques », note néanmoins le cabinet. Mais plus qu’un effet de mode, les professionnels doivent rapidement prendre conscience de l’ampleur du phénomène « si l’on veut que les pertes d’emplois soient compensées au niveau macro-économique, et si l’on veut rester un logisticien compétitif », alerte le cabinet. Ces nouveaux types de robotisation collaborative peuvent s’intégrer dans les infrastructures existantes en bonne collaboration avec les opérateurs humains.

A quand la généralisation des robots dans les entrepôts?

« La question n’est plus de savoir si les robots feront leur entrée en masse dans les entrepôts mais quand! », questionne le cabinet. Et il propose une réponse :  le seuil de bascule en faveur des solutions robotisées se situerait autour d’un coût complet de 100 à 110.000 euros par unité en France. « Ce seuil correspond à un investissement générant un retour sur investissement en 3 ans, grâce à un gain de productivité de 20 à 30% dans les pays matures », précise l’étude. Dès lors, pour le même temps de travail, le coût horaire complet du robot se situe autour de 18 à 20 €, à comparer à un coût moyen humain horaire de 14 à 15 € dans la zone euro, mais déjà de 17 à 18 € en France. Cet horizon n’est plus très loin. Aujourd’hui, le coût complet par unité dépasse encore le plus souvent les 120.000 € par unité. Mais entre 1990 et 2010, le coût moyen d’une unité robotisée en logistique a été divisé par deux, et a subi une baisse identique entre 2010 et 2015.

Ce calcul serait encore plus favorable aux robots s’il prenait en compte le fait que l’activité des robots n’est pas limitée par les heures de travail légales. A moyen terme, « l’augmentation de la productivité, l’allongement de la durée de vie des solutions robo-tiques ou la baisse des prix de l’équipement seront favorables à la robotisation, alors que le coût de la main-d’œuvre humaine poursuivra structurellement son inflation », prévient l’étude.

Comment préparer la transition?

Les services logistiques sont locaux et la perte d’emplois ne pourra donc pas directement être compensée par l’export. L’amélioration de la qualité de service ne suffira pas non plus. Au final, pour compenser en partie les destructions d’emplois « l’amélioration de la compétitivité logistique à l’échelle internationale est l’issue la plus tangible », estime Roland Berger. Car pour développer de nouvelles parts de marché et contrer la destruction des postes de manutentionnaires, « les logisticiens européens devront réussir à attirer sur leur sol national les centres de distribution pour toute ou partie de l’Europe », analysent les auteurs.

« C’est en gagnant en compétitivité, grâce à la robotisation notamment, que la logistique française réussira à gagner des parts de marché sur la logistique de ses voisins » et à créer sur  le territoire national des hub logistiques européens. Le seul espoir pour que  « le mal » devienne « son propre remède ». Mais un remède qui ne sera accessible qu’aux plus compétitifs.

Par Matthieu Combe, journaliste scientifique


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