Les mers se vident lentement de leur vie microscopique. C’est le constat d’une étude publiée dans Science Advances qui révèle qu’entre 2001 et 2023, la concentration en chlorophylle a, un indicateur clé de la biomasse du phytoplancton, a reculé dans les océans tropicaux et tempérés. Ce phénomène se traduit par une disparition progressive de la teinte verte de ces bassins marins, signe d’un appauvrissement du phytoplancton. Un signal clair d’un affaiblissement global de la productivité biologique des océans, directement lié au réchauffement climatique.
Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont mobilisé l’intelligence artificielle. Leur modèle, baptisé OCNET (Ocean Chl-a reconstruction Neural Ensemble Network), intègre des observations satellitaires à des mesures in situ issues des flotteurs BGC-Argo (Biogeochemical-Argo) et à des données environnementales comme la température ou la profondeur de mélange. Ce croisement a permis de reconstituer jour après jour l’évolution du phytoplancton sur plus de deux décennies.
Dans le détail, les scientifiques ont calculé que la concentration moyenne en chlorophylle diminue globalement à un rythme de 0,35 microgramme par mètre cube chaque année, et presque deux fois plus vite sur les marges côtières. Quelques régions, nourries par les apports fluviaux, résistent ponctuellement, mais la tendance mondiale reste nettement à la baisse. La production primaire marine décroît en moyenne de 0,088 % par an, et jusqu’à 0,145 % dans les zones côtières tropicales et subtropicales.
Au cœur de ce phénomène, le réchauffement de la surface des mers. En chauffant les couches supérieures, le climat renforce la stratification océanique : les eaux chaudes, plus légères, se superposent aux couches plus froides et riches en nutriments, empêchant le brassage vertical. Cette séparation freine la remontée des nutriments, appelée l’upwelling, indispensable à la croissance du phytoplancton.
Une menace à terme pour la sécurité alimentaire mondiale
Les chercheurs observent cette corrélation : plus la mer se réchauffe, plus les épisodes de forte chlorophylle, ces blooms planctoniques saisonniers, deviennent rares. Ces flambées de vie microscopique, qui nourrissent le zooplancton, les poissons et les grands prédateurs marins, s’espacent ou s’atténuent. Dans 75 % des grandes zones côtières étudiées, la fréquence de ces blooms décroît à mesure que la température augmente.
Le phytoplancton est la base de la pyramide biologique océanique. Sa raréfaction provoque des réactions en chaîne avec moins de nourriture pour le zooplancton et donc moins d’énergie pour les poissons ainsi que les mammifères marins. Selon le Plymouth Marine Laboratory, une diminution de 16 % à 26 % du phytoplancton pourrait entraîner une baisse de 38 % à 55 % de la capacité de soutien des populations de poissons. Ce mécanisme appelé « amplification trophique » constitue une menace à terme pour la sécurité alimentaire mondiale, particulièrement dans les régions côtières dépendantes de la pêche.
Cette vie biologique joue également un rôle central dans le cycle du carbone. Grâce à la photosynthèse, le phytoplancton absorbe le CO₂ dissous dans l’eau et, en mourant, en transfère une partie vers les profondeurs. Ce processus, connu sous le nom de pompe biologique, contribue au stockage durable du carbone et permet à l’océan d’absorber environ un quart des émissions humaines annuelles de CO₂. Selon des travaux menés par la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), la baisse de cette productivité biologique pourrait même inverser le rôle du puits de carbone océanique dans certaines régions. Dans l’océan Austral, par exemple, une réduction de 30 % du carbone fixé pourrait transformer cette zone d’absorption en source nette de CO₂.
La baisse du phytoplancton affecte aussi sa composition. Certaines espèces plus petites ou moins nutritives dominent désormais, réduisant la qualité énergétique des réseaux trophiques. Si le réchauffement se poursuit, les conséquences pourraient être profondes avec des déséquilibres durables dans les grands écosystèmes marins, la raréfaction des ressources halieutiques et l’affaiblissement du puits de carbone.
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