Dans un contexte de réchauffement accéléré et d’essoufflement des politiques climatiques, l’idée de manipuler le climat gagne du terrain. Un rapport de l’Académie des sciences dresse un état des lieux scientifique sur la géo-ingénierie, cette discipline qui regroupe les techniques visant à modifier intentionnellement le climat de la Terre dans le but de limiter le réchauffement global. Le document met en garde contre un glissement dangereux qui consisterait à transférer la responsabilité politique et économique vers la promesse de technologies encore largement spéculatives.
Les techniques dites de modification du rayonnement solaire, communément appelées SRM pour Solar Radiation Modification, constituent la branche la plus spectaculaire et la plus controversée de la géo-ingénierie. Elles visent à réfléchir une partie de la lumière solaire pour refroidir artificiellement la Terre, par exemple en injectant des aérosols dans la stratosphère, à l’image des effets temporaires d’une éruption volcanique. Le refroidissement observé après l’éruption du mont Pinatubo aux Philippines en 1991, de l’ordre de 0,3 degré, nourrit depuis trente ans l’imaginaire d’un « bouton climatique ».
Le rapport démonte cette illusion. Les modèles climatiques montrent qu’un déploiement massif de SRM devrait être maintenu sur des siècles, sous peine de provoquer un « choc terminal ». En clair, si les injections s’arrêtaient brusquement alors que les gaz à effet de serre resteraient élevés, la température grimperait en quelques années de façon explosive, jusqu’à quinze fois plus vite qu’un réchauffement progressif sans intervention. Ce scénario, qualifié de « chaos climatique », rendrait toute adaptation impossible.
À ce risque s’ajoutent d’autres incertitudes telles que des perturbations régionales des régimes de pluie, une altération de la couche d’ozone, des effets sur la production solaire, ou encore des menaces pour la santé humaine. Mais au-delà de la science, le SRM pose une question politique vertigineuse : qui déciderait du thermostat planétaire ? L’Académie évoque la tentation d’un usage unilatéral par un État ou un acteur privé, transformant la géo-ingénierie en instrument de pouvoir. D’où une recommandation claire : interdire tout déploiement, public ou privé, de ces technologies.
Pas de solution technologique unique face au réchauffement global
À côté de ces scénarios à haut risque, le rapport examine les méthodes d’élimination et de stockage du CO₂, encore appelées CDR pour Carbon Dioxide Removal. Fondées sur le renforcement des puits naturels ou sur des procédés géochimiques, elles apparaissent nécessaires pour atteindre la neutralité carbone, à l’image de la restauration des forêts ou de l’enrichissement des sols en matière organique. Les académiciens estiment qu’elles constituent des pistes crédibles, mais leur potentiel reste limité face à l’ampleur des émissions actuelles. Même généralisées, ces pratiques ne compenseraient qu’une fraction du carbone relâché chaque année.
Certaines techniques plus expérimentales, comme l’altération accélérée des roches ou l’alcalinisation des océans, soulèvent encore de grandes incertitudes quant à leur efficacité, leur coût et leurs effets collatéraux. La première consiste à broyer puis à épandre des minéraux capables de réagir chimiquement avec le CO₂ atmosphérique pour le piéger sous forme stable. La seconde vise à ajouter des minéraux basiques dans l’océan afin d’inverser le processus d’acidification et d’augmenter les capacités d’absorption du CO₂. L’Académie plaide pour une recherche rigoureuse, fondée sur la compréhension des mécanismes biogéochimiques, et non sur la quête d’un instrument magique de refroidissement global.
Enfin, les technologies dites de CCUS (Carbon Capture, Utilization and Storage, pour captage, stockage et valorisation du carbone), qu’il s’agisse de piéger le CO₂ à la source ou de le stocker dans des formations géologiques, occupent une place à part. Selon les académiciens, elles relèvent davantage de la transition industrielle que de la géo-ingénierie stricto sensu. Le rapport souligne leur intérêt pour les secteurs difficiles à décarboner autrement, notamment les cimenteries, mais rappelle leurs limites : coût élevé, contraintes géophysiques, risques de fuite et besoin d’énergie décarbonée pour fonctionner. Elles constituent un levier d’atténuation, pas une solution climatique globale.
Au terme de son analyse, l’Académie invite à renoncer à l’illusion d’un contrôle technologique du climat. La véritable ingénierie du climat, conclut-elle, ne se joue pas dans les laboratoires, mais dans la transformation urgente de nos modes de production et de consommation.
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