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Vers un nouveau marché de l’électricité ?

Posté le 17 mars 2023
par Stéphane SIGNORET
dans Énergie

Sur proposition de la Commission européenne, une réforme du marché de l’électricité est en vue. L’objectif affiché est d’éviter une trop grande volatilité des prix à l’avenir, mais les solutions proposées seront-elles à la hauteur ? Ce n'est pas certain…

La forte hausse des prix de l’électricité en 2021 et surtout en 2022 a durablement marqué les esprits. Ceux des consommateurs – particuliers et entreprises – qui sont touchés de plein fouet, tout comme ceux des législateurs, tant à la maille nationale qu’européenne. Gouvernements des États membres et élus européens avaient donc appelé l’an dernier à revoir l’organisation du marché de l’électricité, fortement encensé par les plus libéraux pendant des années, mais désormais vu à juste titre comme mal adapté à la sécurisation des prix et des investissements sur le long terme. La Commission européenne a présenté son projet de réforme le 14 mars 2023 « afin d’accélérer l’essor des énergies renouvelables et l’abandon progressif du gaz, de réduire la dépendance des factures des consommateurs par rapport à la volatilité des prix des combustibles fossiles, de mieux protéger les consommateurs contre les futures flambées de prix et les manipulations du marché et de rendre l’industrie de l’UE propre et plus compétitive ».

Les objectifs sont donc nombreux et il s’agit de réviser plusieurs actes législatifs de l’Union européenne. Clairement, la logique de marché n’est pas remise en cause. La fixation des prix de l’électricité par le recours aux centrales de production selon leur « merit-order » – c’est-à-dire en les appelant par ordre de coût marginal croissant – reste la norme pour gérer l’équilibre sur les marchés de court terme. À vrai dire, ce système fonctionne bien, mais il a conduit à de fortes hausses de prix ces derniers mois car les dernières centrales appelées, celle qui fixent le prix spot, sont des centrales à gaz dont le coût avait beaucoup augmenté. Pour limiter cet effet, l’intention de la Commission est d’augmenter le recours aux moyens de production décarbonés ayant des coûts marginaux faibles.

Booster les contrats à prix fixe

Concrètement, il s’agit d’inciter les États membres à favoriser deux types de contrats donnant une visibilité de long terme. Le premier est celui des contrats de droit privé entre producteurs et grands consommateurs, les fameux PPA (Power Purchase Agreement) qui ont déjà le vent en poupe : ils permettent à des entreprises de sécuriser leur approvisionnement d’électricité en l’achetant directement auprès d’exploitants de parcs éolien ou solaire, sur plusieurs années et à un coût compétitif. Le second concerne des contrats entre la puissance publique et des producteurs, de même nature que ceux ayant permis le soutien aux énergies renouvelables depuis quelques années en France. Appelés « Contracts for Difference » (CfD) en anglais, ils reposent sur le fait que le producteur revend son électricité sur le marché, mais en fixant avec les pouvoirs publics une référence de prix : si le prix de marché est inférieur à cette référence, l’État met la main à la poche pour compléter ; si le prix de marché est supérieur à la référence, le producteur doit reverser la différence à l’État. Ces contrats avec complément de rémunération n’ont longtemps fonctionné que dans un seul sens, où l’État subventionnait les énergies renouvelables, permettant ainsi la baisse de leurs coûts. La situation s’est inversée lorsque les prix de marché ont atteint des sommets l’an dernier, et ce sont plus de 25 milliards d’euros que les seules filières éolienne et solaire vont réinjecter dans les finances publiques françaises en 2022 et 2023 (estimation de la CRE en novembre 2022).

Booster l’utilisation des PPA et des CfD fait partie des recommandations d’un groupe d’experts académiques, publiées dans un récent rapport par la Commission de régulation de l’énergie. Le texte de la Commission prévoit qu’une même centrale de production d’électricité puisse cumuler un PPA et un CfD, ce que la loi française permet déjà d’ailleurs. Surtout, il rend éligibles toutes les sources d’énergies décarbonées, tant pour les centrales futures que les actuelles si elles font l’objet d’investissements pour leur mise à niveau. Les énergies renouvelables sont visées, mais, sous couvert de cette neutralité technologique très fortement soutenue par la France, les centrales nucléaires vont l’être aussi.

Par le biais de ces contrats fixant des prix en relation avec les coûts d’exploitation, la Commission espère réduire la volatilité des marchés et sécuriser les prix sur le long terme pour protéger les consommateurs. D’autres mesures viennent compléter la panoplie : plus d’information sur les contrats de fourniture, désignation d’un fournisseur de dernier recours pour les particuliers, utilisation de tarifs régulés en cas de crise, exigence d’une meilleure couverture de long terme des fournisseurs pour éviter qu’ils soient uniquement dépendants des marchés spot, identification des besoins de flexibilité (stockage, effacement de la demande, etc.), meilleure intégration des énergies renouvelables par les gestionnaires de réseau, renforcement de la surveillance des marchés.

Mais tout cela suffira-t-il ? Si la direction semble la bonne, il est encore trop tôt pour en tirer un satisfecit. En effet, le texte de la Commission doit encore être négocié par le Parlement et le Conseil européens et ne sera décliné dans les États membres peut-être que l’année prochaine. Si les parcs éoliens et solaires vont continuer de se développer sans aucun doute, il est peu probable de voir de nouvelles centrales nucléaires se mettre en marche d’ici 15 ans, hormis celles déjà en construction. Les centrales gaz ont donc encore de beaux jours devant elles, et leur coût marginal va encore s’imposer comme la référence sur les marchés. S’il doit encore y avoir crise, par exemple l’hiver prochain, les mesures d’urgence comme les boucliers tarifaires ou la captation de la rente infra-marginale risquent bien d’être les seules solutions…


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