Interview

ALG-AD : produire des micro-algues à partir des sous-produits d’élevage, pour l’alimentation piscicole

Posté le 3 février 2022
par Arnaud Moign
dans Matériaux

Actuellement, 20% de la pêche mondiale est détournée de l’alimentation humaine pour produire des farines et huiles de poisson (on parle alors de pêche minotière) destinées essentiellement à l’alimentation piscicole. Pour que cesse cette aberration, il est urgent de trouver d’autres sources d’alimentation animale locales, durables et qui ne seraient pas issues de la pêche.

Exploiter les effluents liquides issus des élevages agricoles pour cultiver des microalgues riches en nutriments est une solution pleine de potentiel. C’est le thème d’ALG-AD, un projet européen profondément orienté vers l’économie circulaire, qui a démontré que substituer les 800 000 tonnes d’huiles de poisson consommées chaque année est quelque chose de réalisable.

Philippe Soudant et Denis de la Broise, coordinateurs du projet, ont accepté de répondre à nos questions au sujet de ce projet.

 

Philippe SOUDANT (à gauche) est directeur de recherche CNRS et Denis DE LA BROISE (à droite) est maître de conférences à l’UBO. Ils font partie du LEMAR et sont coordinateurs du projet ALG-AD (crédit photo : LEMAR).

ALG-AD est un projet européen, financé par Interreg North-West Europe à hauteur de 3,7 M€ sur un total de 6,2 M€. Il réunit 11 partenaires français, britanniques, belges et allemands issus de l’industrie et du monde de la recherche.

L’Institut Universitaire Européen de la Mer (IUEM) est un organisme pluridisciplinaire qui regroupe 7 laboratoires multi-tutelles, dont le LEMAR.

Le LEMAR est une unité mixte de recherche (UMR 6539) qui relève du CNRS, de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO), d’IFREMER et de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD).

 

Techniques de l’Ingénieur : Quels sont les enjeux du projet ALG-AD ?

Denis de la Broise : Le projet ALG-AD a pour but de produire de la biomasse, à partir des effluents issus de l’agriculture pour permettre la croissance de microalgues. 

Il répond à plusieurs besoins liés au développement durable. D’une part, trouver une voie de valorisation pour les déchets agricoles en réduisant les risques de pollution et d’autre part réduire notre dépendance à l’importation de matières premières pour la nutrition animale.

ALG-AD combine la culture de microalgues au processus de digestion anaérobique déjà utilisé sur 2000 sites d’Europe du Nord-ouest (ENO). Il a conduit à l’implantation de pilotes industriels sur 3 sites distincts, afin de refléter l’hétérogénéité de la région ENO.

Le projet ALG-AD devait se terminer en mars 2021. Pourquoi a-t-il été prolongé ?

Philippe Soudant : Initialement, le périmètre du projet concernait principalement la production de biomasse à destination de l’alimentation du bétail, et notamment des porcelets. Les résultats obtenus étant encourageants, les partenaires ont répondu à l’appel à “capitalisation” de l’ENO, dans le but de valoriser les avancées du projet.

Ceci a conduit à la prolongation du projet ALG-AD. Un complément de financement nous a ainsi permis de poursuivre nos expérimentations en explorant un nouveau modèle : l’alimentation piscicole.

En quoi l’alimentation piscicole est-elle une application intéressante ?

P. S. : La matière noble que nous produisons via notre procédé est riche en acide gras polyinsaturé (notamment en acide docosahexaénoïque, ou DHA). Si ce composé est intéressant en nutrition porcine, il est indispensable en aquaculture, principalement pour nourrir les espèces carnivores comme les truites, les bars, les dorades ou les saumons.

D. dl. B. : Actuellement, le DHA utilisé en aquaculture provient de la pêche minotière et les enjeux en termes de tonnage sont énormes. Il faut savoir que 20 % de la pêche mondiale est tout de même utilisée pour la production de farines et d’huiles de poisson, au lieu de servir directement à l’alimentation humaine.

Or, cette pêche minotière est associée à de nombreux enjeux socio-économiques et l’impact environnemental est important. Si la ressource est plus ou moins stable actuellement, pour que l’aquaculture mondiale continue de se développer, il est urgent de trouver d’autres solutions, surtout que des produits comme les huiles de poisson coûtent cher – environ 2000 dollars la tonne.

Avez-vous obtenu des résultats satisfaisants ?

D. dl. B. : Dans nos derniers essais, nous avons démontré que l’ajout de 15% de biomasse microalgale dans un aliment classique pour poisson permettait de remplacer la totalité des huiles de poisson, en couvrant les besoins en DHA.

Si notre ingrédient permet aussi de remplacer une partie des farines de poisson, l’enjeu pour nous est d’arriver à couvrir les besoins en acides aminés essentiels en même temps que ceux en acides gras polyinsaturés oméga 3. Or, il s’avère justement que le profil en acides aminés essentiels de notre ingrédient est très similaire à celui des farines des poissons.

Nous travaillons également à la fabrication d’un produit partiellement hydraté, sous forme de pâte et qui pourrait aussi couvrir une partie des apports en eau. L’avantage d’un tel produit est que l’absence de séchage ne détériore pas les nutriments, ce qui augmente sa qualité.

Quelle sera la suite du projet ?

P. S. : Nous savons que le marché existe, car des produits de nutrition utilisant des souches de microalgues du même genre Schizochytrium sont déjà commercialisés. Mais notre produit n’a pas qu’un intérêt nutritionnel : il permet aussi de résoudre un certain nombre de problèmes environnementaux et d’aller vers des modèles de production agricoles et aquacoles plus durables.

La faisabilité technique est démontrée et nous avons réussi à produire une trentaine de kilogrammes de matière concentrée sèche. Nous cherchons maintenant à attirer des partenaires industriels sensibilisés aux questions d’économie circulaire, pour lancer des productions à grande échelle et continuer le développement de cette solution. 

Pour en savoir plus au sujet du projet ALG-AD et découvrir les détails du procédé, nous vous invitons à visionner la vidéo du projet européen ALG-AD (Crédit : Laboratoire LEMAR), ci-dessous :


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