Alors qu’une version révisée de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) doit être entérinée dans les semaines à venir, la nouvelle feuille de route stratégique de la politique énergétique française à l’horizon 2035 continue de susciter d’importantes critiques. Censée traduire l’ambition nationale de sortie des énergies fossiles tout en assurant la sécurité d’approvisionnement, cette nouvelle mouture est vivement désapprouvée par l’Académie des sciences, qui vient de publier son avis.
L’institution regrette d’emblée qu’elle tienne si peu compte des contributions citoyennes et scientifiques. « La version révisée reste, pour l’essentiel, identique à la version initiale », déplore-t-elle. Seules quelques corrections mineures, notamment une légère baisse des objectifs en solaire et en hydrogène vert, ont été intégrées. Surtout, de graves incohérences chiffrées persistent dans le document, puisque d’un côté, il est écrit que la consommation finale d’énergie sera de 1 100 TWh en 2035, alors qu’une autre section indique 1 302 TWh pour la même année. La consommation électrique, elle, oscille entre 429, 508 et 600 TWh selon les pages.
L’Académie dénonce également des prévisions de consommation déconnectées du réel. Le projet de PPE prévoit en effet une forte augmentation de la production d’électricité – jusqu’à 708 TWh en 2035 – alors même que la consommation est en baisse depuis 2017, passant de 480 TWh à 449 TWh en 2024. Cette diminution s’expliquerait par plusieurs facteurs, tels que la sobriété accrue des ménages, l’optimisation industrielle, la désindustrialisation et des obstacles techniques à l’électrification de secteurs comme les transports ou le chauffage.
Une surproduction d’électricité coûteuse et instable
Dans ce contexte, « une accélération rapide et forte de l’électrification des usages apparaît peu probable », écrit l’Académie, qui en conclut que les objectifs de production sont largement surestimés. Pire encore, cette montée en puissance s’appuie massivement sur des énergies intermittentes (éolien et solaire), dont la production atteindrait 274 TWh en 2035 contre 73 TWh en 2023. Or l’institution scientifique alerte sur les conséquences d’une telle stratégie, qui pourrait conduire à une surproduction coûteuse et instable.
En l’absence de solutions de stockage d’électricité massives, toujours indisponibles à court terme, la part croissante d’énergies non pilotables (proche de 40 %) pourrait en effet engendrer des déséquilibres majeurs. Parmi ceux-ci : une « volatilité accrue des prix de l’électricité », une sous-utilisation du parc nucléaire et « des tensions sur les réseaux », avec des coûts d’adaptation importants. L’Académie rappelle que la priorité au solaire et à l’éolien sur le réseau électrique pourrait même nuire à l’exploitation optimale du nucléaire, en forçant sa modulation fréquente, une opération coûteuse et risquée pour les réacteurs.
Favorable à une électricité « presque totalement décarbonée » comme c’est déjà le cas aujourd’hui, l’Académie réaffirme son soutien à une production nucléaire « substantielle » (360-400 TWh). Elle appelle à maintenir les objectifs de construction de nouveaux EPR, nécessaires pour remplacer les réacteurs anciens et éviter un « effet falaise ». Autre demande majeure : la réalisation d’une analyse approfondie des coûts complets du système électrique français, incluant les scénarios alternatifs, car aucun chiffrage global n’accompagne cette nouvelle PPE.
L’Académie recommande de réviser les objectifs de production des énergies renouvelables intermittentes en les ajustant aux besoins réels et aux capacités du système. Elle s’appuie notamment sur les enseignements du rapport conjoint de RTE et de l’AIE de 2021, qui insiste sur trois conditions : une puissance pilotable suffisante à tout moment, un renforcement des réseaux et un stockage disponible à toutes les échelles de temps. Enfin, l’institution plaide pour une synchronisation rigoureuse entre l’évolution du mix électrique et celle de la demande. Il ne s’agit pas de produire toujours plus, mais de produire mieux, au rythme de l’électrification réelle des usages.
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