Décryptage

Comment mesurer la valeur de la vie humaine ?

Posté le 25 février 2016
par Pierre Thouverez
dans Innovations sectorielles

Les méthodes de mesure de la valeur de la vie humaine retenues par les pouvoirs publics ont évolué au cours des dernières décennies, en lien avec l'évolution du consensus universitaire sur le sujet. Initialement fondée sur la mesure du capital humain perdu par la société lors d'un décès, la valeur de la vie humaine s'appuie désormais sur le consentement à payer des individus pour éviter un accroissement de risque. La mesure du consentement à payer reste cependant sujette à controverses, conduisant à des variations importantes dans la valeur de la vie humaine.

Les méthodes historiques fondées sur le capital humain

Jusqu’aux années 1980, les valeurs de la vie humaine retenues par les pouvoirs publics s’appuyaient sur une mesure de la perte pour la société entraînée par la mort d’un individu, i.e. la perte d’un capital humain. Cette famille de méthodes repose fondamentalement sur la mesure de la contribution de l’individu au PIB : le capital humain est mesuré par la somme des salaires futurs perdus suite au décès. A cette somme actualisée des revenus futurs sont parfois ajoutés certains facteurs indirects (ex. coûts des dégâts lors d’un accident) et d’éléments non marchands (préjudices affectifs subis par les proches) .

Cette approche a le mérite de reposer fondamentalement sur une mesure monétaire et tangible : la somme de la production future de l’individu. Elle reste à la base de la détermination de la valeur de la vie dans le contexte judiciaire, comme le montre par exemple les indemnités accordées aux familles des victimes des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis : les indemnités ont varié en fonction des salaires espérés, de 300.000$ pour un individu de 65 ans qui gagnait 10.000$/an, à 4,35 millions de dollars pour un trentenaire gagnant 175.000$/an .

Si la méthode du capital humain est simple à comprendre et se place résolument du point de vue de la société, elle souffre de :

Les méthodes actuelles fondées sur le consentement à payer

Dépassant les inconvénients du capital humain, les méthodes inspirées de l’économie comportementale vont devenir prépondérantes à partir des années 1990 pour évaluer le prix de la vie humaine. En observant que la sécurité est un bien achetable, les économistes ont cherché à mesurer le consentement à payer des individus pour améliorer leur propre sécurité, définissant ainsi un arbitrage sécurité/richesse qui peut être moyenné et étendu à l’ensemble de la société.

Concrètement, la valeur de la vie humaine est construite à partir de la mesure du consentement à payer pour la réduction d’un risque faible : si par exemple un équipement de sécurité coûte 300 euros et qu’il supprime un risque de mort de 1/10.000, alors on peut déduire de son achat que, pour le consommateur, la valeur de la vie est supérieure à 300×10.000 = 3 millions d’euros .

L’intérêt de ces méthodes fondée sur le consentement à payer est de traduire les arbitrages des individus quant aux moyens à allouer à la sécurité dans une vue, qui est d’une part a priori fidèle à leurs préférences réelles, et d’autre part globale c’est-à-dire incluant les éléments non marchands.

Préférences déclarées ou préférences révélées

Si l’emploi du consentement à payer fait aujourd’hui consensus comme fondement de la valeur de la vie humaine, la mesure de ce consentement fait l’objet d’une controverse entre la méthode des préférences déclarées et celle des préférences révélées :

Chaque méthode a ses avantages et inconvénients : le problème de l’enquête étant le caractère hypothétique des réponses des interviewés, alors que l’analyse des salaires se heurte à la difficulté d’isoler le coût du risque dans les choix d’emploi.

Globalement, les valeurs de la vie humaine retenues par les autorités publiques en Europe s’appuient sur les méthodes de préférences déclarées, alors qu’en Amérique du Nord les agences de régulation utilisent des valeurs issues d’études de préférences révélées , qui sont plus élevées :

Par Emmanuel Grand


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