Interview

PowerUp, la greentech qui veille sur les batteries au lithium

Posté le 20 juillet 2022
par Benoît CRÉPIN
dans Innovations sectorielles

Née en avril 2017, PowerUp conçoit et commercialise des solutions de gestion et de supervision de batteries au lithium utilisées pour des installations de stockage d’énergies renouvelables, des flottes de véhicules électriques, ou encore des data centers. Sa technologie MAP (mesurer, agir, prédire) permet de mesurer l’état de santé des batteries, d’optimiser leur charge, mais aussi de prédire leur durée de vie.

S’appuyant sur près d’une décennie de recherche et une dizaine de brevets, PowerUp a développé des modèles d’endurance couvrant l’intégralité des technologies de batteries au lithium. Basés sur des algorithmes d’apprentissage (machine Learning), ces modèles permettent notamment d’optimiser la charge des batteries, augmentant ainsi de facto leur durée de vie. Les solutions développées par l’entreprise permettent également de suivre l’état de santé des batteries, de minimiser le risque d’emballement thermique, ou encore de prédire la fin de vie des batteries, permettant ainsi à leur exploitant d’optimiser la maintenance de son parc. Des solutions qui se déclinent sous la forme d’un boîtier intelligent, baptisé Skipper, d’un logiciel embarqué, Skipper Lib, ainsi que d’une plateforme cloud nommée Battery Insight, qui permet la collecte, le traitement et l’interprétation des données d’usage des batteries à distance, comme nous l’explique Abdelkrim Benamar, actuel PDG de PowerUp.

Techniques de l’Ingénieur : Comment PowerUp a-t-elle vu le jour ?

Abdelkrim Benamar, PDG de PowerUp. © PowerUp

Abdelkrim Benamar : L’entreprise est issue d’un essaimage du CEA Liten[1] et résulte de la rencontre de deux structures. Deux des cofondateurs travaillaient au CEA, dont un, Arnaud Delaille, en tant que responsable d’un labo, expert en électrochimie. Il a commencé à monter une structure avec la volonté de valoriser les travaux de recherche du CEA sur la compréhension des mécanismes de vieillissement des batteries au lithium. Il a rencontré un autre entrepreneur, Josselin Priour, mon prédécesseur en tant que président, qui dirigeait une structure qui existe toujours, Lumila, spécialisée dans l’éclairage industriel. Il était confronté à des problématiques de performances de batteries au lithium dans le cadre de son travail. Il a entendu parler des travaux du CEA, a rencontré Arnaud Delaille et ils ont décidé de monter une structure ensemble. C’est ainsi qu’est née PowerUp, en 2017.

Quelles solutions avez-vous développées ? Quelles sont leurs principales caractéristiques et quels sont leurs intérêts majeurs ?

Le fond de notre activité consiste à estimer un certain nombre de paramètres clés sur les batteries au lithium. Nous couvrons l’ensemble des types de chimie de ces batteries : NMC[2], LFP[3]… Nous couvrons l’ensemble du spectre. Plus concrètement, ce que nous faisons consiste à récupérer des données de terrain, liées à l’usage en opération des batteries, par exemple dans le cadre d’installations de stockage liées aux énergies renouvelables, ou aux flottes de véhicules électriques, voire aux data centers. Nous avons besoin, pour chaque module de batterie, d’avoir des remontées d’informations sur le courant, la tension et la température. À partir de là, nous sommes capables avec une algorithmie très particulière et en nous basant sur l’évolution de ces paramètres – nous avons besoin de données sur plusieurs heures ou plusieurs jours – d’identifier des cycles de charge et de décharge. Cela nous permet de calculer un certain nombre de paramètres extrêmement importants.

Nous avons, en plus des données de terrain, des modèles semi-empiriques de comportement de batteries. Nous sommes capables de reproduire en accéléré le processus de vieillissement des batteries, avec un protocole qui est un véritable savoir-faire. Cela nous permet de modéliser le comportement de chaque type de batterie.

À partir de toutes ces données, nous avons développé une technologie basée en grande partie sur la propriété intellectuelle du CEA au moment de la création de PowerUp, mais également de la propriété intellectuelle que nous avons-nous mêmes développée. Cette technologie s’appelle MAP, pour « mesurer, agir, prédire ». Cela permet de mesurer l’état de santé de la batterie avec un niveau de précision extrêmement important. Sa dégradation est en effet très liée à l’usage, et à l’environnement dans lequel cet usage se fait. Il est donc extrêmement important d’avoir une mesure très fine et nous avons un niveau de précision de plus ou moins 2 %. Ce chiffre est comparable avec ce qui est obtenu grâce à des tests capacitifs, ce qui est habituellement réalisé. Les systèmes de gestion des batteries, les BMS[4], n’ont pas un niveau de précision aussi important : ils se situent plutôt autour de 8 à 10 %. Et surtout, cette estimation se dégrade au fil de l’usage.

Nos modèles de vieillissement permettent de prédire le comportement à long terme de la batterie et d’estimer sa durée de vie restante, jusqu’à un seuil de 70 %, considéré comme la limite de première vie d’une batterie.

Au-delà de ces parties « mesurer » et « prédire », nous sommes aussi capables de définir le point de charge optimal pour accroître la durée de vie des batteries, par rapport à l’usage qui en est fait et son état de santé. Il s’agit donc de la partie « agir » de notre technologie MAP.

Nous avons également développé assez récemment un nouvel indicateur, dont nous avons breveté les algorithmes, qui est une sorte de système d’alarme permettant d’identifier les signes avant-coureurs des causes qui aboutissent à l’emballement thermique et donc à l’incendie. C’est ce que l’on appelle l’état de sécurité de la batterie.

Les modèles que nous construisons l’ont été pour les modèles les plus courants, mais évidemment, on peut tout à fait se trouver dans des situations qui impliquent des batteries un peu différentes, ou dont l’usage est un peu différent. Nous partons donc de nos algorithmes en librairie, que nous recalibrons en apprenant au fur et à mesure de l’usage de cette batterie spécifique. C’est là où interviennent des algorithmes d’apprentissage.

À quels marchés ces solutions se destinent-elles ?

Ce type de technologies peut s’adapter à l’ensemble des cas d’usages de batteries au lithium. Et il y en a de plus en plus…

Historiquement, nous nous sommes positionnés sur des problématiques d’alimentation secourue : typiquement ce que l’on trouve dans des systèmes d’alarme, ou dans des télérupteurs présents sur le réseau électrique, qui permettent d’aiguiller le courant en cas de panne d’alimentation. On peut également citer les data centers, où l’on trouve des onduleurs qui comportent forcément des batteries. C’est le cas aussi sur les sites de télécommunication, là où l’on trouve des antennes.

La spécificité de toutes ces configurations réside dans le fait que ces systèmes sont peu sollicités, puisqu’ils ne s’activent qu’en cas de défaillance de fourniture d’énergie. Le cyclage est faible. Nous avons donc une technologie adaptée à ces cas de figure.

Nous nous adressons aussi à d’autres types de marchés, notamment celui des systèmes de stockage d’énergie appelés BESS : battery energy storage system. On les utilise notamment dans le cadre de la production d’énergies renouvelables, mais on les retrouve aussi dans les systèmes de gestion des microgrids[5] et pour le stockage résidentiel. Tous ces usages impliquent des cyclages plus importants : on peut charger et décharger plusieurs fois les batteries sur une courte période.

Le troisième marché que nous visons est celui de la gestion de flottes. Plutôt, dans un premier temps, celui des flottes commerciales et industrielles, mais notre technologie est aussi adaptée à la gestion de parcs de véhicules grand public. Le pôle batterie représente un coût important pour les acteurs de ce marché. Il est donc important pour eux de gérer au mieux cet actif, de façon intelligente, afin d’accroître sa durée de vie et de maintenir sa performance, mais aussi prévenir des cas potentiels d’emballement thermique.

Annoncée en mai dernier, la solution cloud Battery Insight sera commercialisée dès cet été. © PowerUp

Quelle stratégie, quelle trajectoire avez-vous adoptées pour développer votre offre sur ces différents marchés ?

Nous sommes avant tout une entreprise deeptech, dans le domaine de la greentech… Cela implique donc un cycle long d’adaptation de notre force de recherche, qui se trouvait plutôt dans un cadre académique, celui du CEA. Les trois premières années d’existence de l’entreprise ont ainsi été consacrées à des travaux de recherche complémentaires. Nous avons eu une phase exploratoire, voire expérimentale, pour finir, en 2020, par lancer des campagnes de prototypage et de preuves de concept. Nos partenaires dans ces projets sont devenus de facto nos premiers clients, puisque nous sommes désormais en phase de prédéploiement et d’industrialisation sur une partie des technologies.

Notre avons déjà lancé officiellement, en 2021, Skipper : un produit qui embarque nos algorithmes permettant de mesurer l’état de santé et piloter la charge de batteries. Cette solution s’adresse typiquement à des marchés comme le retrofit, notamment le remplacement par des batteries lithium de batteries de backup au plomb destinées à alimenter des télérupteurs en cas de défaillance du réseau. Cela permet d’accroître la durée de vie des installations : 8 à 12 ans pour les batteries lithium contre 3 ans pour leurs devancières au plomb. Skipper a donc été le premier produit que nous avons lancé.

Ensuite, nous nous sommes dit que notre véritable savoir-faire et notre véritable expertise résidaient dans le logiciel embarqué. Pour nos nouvelles générations de solutions, nous avons eu l’idée d’extraire ces logiciels contenant notre algorithmie pour les proposer sous forme de bibliothèques pouvant être portées sur d’autres types d’équipements.

Nous avons également choisi de développer un autre axe, celui de la solution cloud, qui est adaptée à des traitements distants pour des systèmes de stockage d’énergie ou de gestion de flottes par exemple. L’offre cloud permet une mise à l’échelle, avec son côté scalable. Elle nous permet en effet l’accès à des ressources de calcul, de mémoire ou de stockage qui peuvent suivre une croissance importante d’un projet, contrairement à des équipements discrets positionnés en local, dont la puissance de calcul est forcément limitée.

Nous avons annoncé cette plateforme Battery Insight en mai dernier, pour une commercialisation à partir de l’été.

Pour en revenir à la trajectoire de l’entreprise, après nos trois premières années plutôt exploratoires, les années 2021 et début 2022 ont donc été consacrées à du prototypage et des preuves de concept avec des clients comme Enedis, le Crédit Agricole, la SNCF, ou encore la Direction générale de l’armement. Nous commençons à recevoir des commandes de prédéploiement, et nous sommes rentrés dans une phase d’industrialisation. J’ai pour ma part pris la présidence de l’entreprise fin novembre, pour piloter cette phase ainsi que le développement de notre offre cloud, je viens en effet du monde des télécoms et du traitement de données. On pourrait d’ailleurs définir PowerUp en tant que Battery data scientist… Nous avons une vraie expertise d’interprétation des données, une véritable propriété intellectuelle en matière d’algorithmie. Nous combinons cela avec des techniques modernes de traitement de données et d’apprentissage, pour en faire ressortir ce que l’on appelle en anglais les « insights », c’est-à-dire des enseignements, qui deviennent des informations utiles.

La période 2022 – 2023 sera donc consacrée au déploiement de l’ensemble de notre portefeuille, en allant chercher les nouveaux segments de marchés, pour accélérer notre croissance à partir de 2023. L’idée est de dépasser, si tout va bien, les 20 M€ de chiffre d’affaires à l’horizon 2025. Notre objectif est d’aller vite, en nous positionnant d’emblée sur des marchés à l’étranger, notamment pour la partie cloud, pour laquelle nous pouvons tout de suite viser des pays tels que les USA, la Chine, l’Inde et l’Australie, les marchés les plus porteurs selon les analystes. Des acteurs émergent aux États-Unis, en Allemagne ou en Israël, mais nous sommes à ma connaissance la seule entreprise française à faire cela. Nous avons donc un vrai intérêt à nous positionner très vite sur le marché international.

Prévoyez-vous éventuellement, pour atteindre ces objectifs, de renforcer votre capital ?

Nous avons, à l’heure actuelle, levé 7 M€ en deux fois. Un des sujets sur lequel je vais travailler pour la fin de l’année et le début de l’année prochaine est, effectivement, la préparation d’une nouvelle levée de fonds, destinée à alimenter notre capacité à croître rapidement.

En parallèle du développement de son offre commerciale, PowerUp poursuit activement ses travaux de R&D. ©PowerUp

Comptez-vous accorder une place toujours aussi importante à la R&D dans cette phase de croissance ?

Une grande majorité de nos collaborateurs, environ 17 personnes, se consacrent à la R&D. C’est l’ADN de l’entreprise. Dans ce domaine naissant, nous nous devons d’innover continuellement. Cette innovation va passer par des collaborations avec nos partenaires technologiques comme le CEA, dans le but de comprendre de manière encore plus fine les mécanismes de vieillissement ou d’emballement thermique. Le deuxième sujet est celui de l’IA et de l’apprentissage. C’est un axe très fort de notre développement, qui va nous permettre d’être les plus réactifs possible et de nous adapter aux évolutions des technologies de batteries.

On parle beaucoup en ce moment, dans les grandes écoles d’ingénieurs et de commerce, d’une prise de conscience de l’importance de la transition écologique, du caractère fini des ressources… Ce que je peux dire est que l’entreprise, telle qu’elle existe actuellement – certes petite, puisque nous sommes 25 pour l’instant – devrait être valorisée autant que possible auprès des jeunes qui ont envie de combiner des techniques modernes à un projet qui a du sens pour la planète. Nous avons à cœur de contribuer à un cercle vertueux pour la planète, cela fait partie de l’ADN de PowerUp.


[1] Laboratoire d’Innovation pour les Technologies des Énergies Nouvelles et les nanomatériaux (Liten), premier centre de recherche européen entièrement dédié à la transition énergétique.

[2] Nickel Manganèse Cobalt

[3] Lithium Fer Phosphate

[4] Battery management system

[5] Micro-réseau : réseau électrique local pouvant fonctionner « en îlot ».


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