Décryptage

S’inspirer des diatomées pour fabriquer du verre à température ambiante

Posté le 24 mai 2021
par Intissar EL HAJJ MOHAMED
dans Chimie et Biotech

Peuplés de poissons aveugles, de créatures bioluminescentes et envahis d’une obscurité pesante, les fonds marins fascinent et terrifient à la fois... Mais en mer, il suffit parfois de mesurer moins d’1 mm pour se retrouver sous le feu des projecteurs ! C’est le cas des diatomées, des microalgues qui ont inspiré la fabrication du verre à température ambiante.

Les diatomées sont des microalgues unicellulaires. Malgré leur taille infime, comprise entre 2 μm et 1 mm, l’apparence de ces organismes suscite la curiosité des chercheurs : « Pour se protéger, la diatomée se construit une petite carcasse, nous explique Jacques Livage, chimiste et professeur honoraire au Collège de France. Cette sorte de carapace solide doit toutefois être transparente, pour laisser passer la lumière et permettre ainsi à la diatomée de poursuivre la photosynthèse. Alors, au lieu de fabriquer une enveloppe en carbonate de calcium comme les huîtres, celle de la diatomée est en verre ! La diatomée la fabrique en récupérant du silice contenu dans l’eau de mer. » En effet, l’enveloppe de la diatomée, nommée frustule, n’est autre qu’un squelette (externe, évidemment) à base de silice tout comme le verre. Une particularité qui a trouvé preneur dans le domaine de la bioinspiration.

Jacques Livage travaille depuis « au moins 30 ans » sur la production de verre inspirée des diatomées. Une technique qui se démarque bien du schéma classique, puisqu’elle se pratique à température ambiante ! Cela présente deux principaux intérêts, détaille l’expert : « D’une part, c’est un gain d’énergie, car il n’y a pas besoin de chauffer à plus de 1000 degrés. La mise en œuvre est très facile et fait appel à un procédé sol-gel ; d’autre part, il y a un intérêt technologique : avec le procédé sol-gel, on peut produire des films minces, des vitrages, des dépôts, des couches anti-réfléchissantes… ». Mais en quoi consiste ce procédé sol-gel ?

Voici ce qu’en dit notre ressource documentaire dédiée à ce procédé : « Autrefois appelée « chimie douce », la polymérisation sol-gel a tout d’abord été décrite avec la conversion de l’acide silicique en verre solide, avant d’être utilisée beaucoup plus tard comme procédé pour fabriquer des récipients en verre. Le procédé sol-gel inclut une succession d’étapes hydrolytiques, avant la polymérisation, dans le but de préparer des réseaux d’oxydes. Ces derniers sont transformés en alcoxydes métalliques, retenus pour leur réactivité modérée et leur grande modularité. »

Inadapté pour la fabrication de bouteilles

« Réaliser un procédé sol-gel signifie partir d’abord d’une solution pour arriver finalement à un produit solide, en passant au milieu par une matière plus ou moins visqueuse comparable à de la peinture », décrit Jacques Livage. On n’obtient donc pas tout de suite un produit solide mais un « mélange d’eau et de particules de silice amorphe » : « C’est de la silice hydratée qui, lorsque séchée, donne de la poudre, pas du verre massif, donc pas question de faire des bouteilles ou des flacons avec le procédé sol-gel ! L’application première à ce procédé est la fabrication de films minces, et l’avantage ici est que quand on débarrasse l’eau du mélange, cela ne crée pas de trous. Le gel est un mélange homogène d’eau, d’alcool et de silice, et il faut donc en éliminer l’eau ».

Du verre support aux cellules vivantes

Selon Jacques Livage, le procédé gel-sol étant de la chimie douce, il est compatible avec la culture de cellules vivantes : « Je me suis récemment orienté vers la biologie et la possibilité de conserver des cellules vivantes dans une matrice de verre, de silice donc, poreuse, et essayer d’utiliser cela comme outil pour dépolluer l’eau par exemple, ou encore comme moyen thérapeutique… On pourrait par exemple imaginer la création de nanoparticules qui libéreraient des agents anticancéreux ». Ces recherches sont en cours. L’idée de cultiver des cellules sur des matrices en verre nous rappelle les organes-sur-puces, sur lesquels nous avons publié un article, ici.

Les travaux de Jacques Livage ont fait l’objet d’une vidéo de la série Nature = Futur, dont nous sommes partenaires :


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