Tribune

Le solaire PV génère-t-il vraiment davantage d’emplois que le nouveau nucléaire EPR ?

Posté le 12 mai 2016
par Pierre Thouverez
dans Énergie

Quel projet génère le plus d’emploi ? Le projet d’EPR d’Hinckley Point C en Grande-Bretagne à 14 cents/kWh (on parle ici de cents US) ou celui de parc solaire PV à Dubaï à entre 3 et 4,5 cents/kWh ? La thématique emploi et énergie est sensible et fait l’objet de lourdes manipulations par les lobbies et les partis politiques. Mise au point.

« Le soleil n’envoie pas de facture ». Tel est le slogan du prospectiviste américain Jeremy Rifkin, formule propagée par les lobbyistes du solaire dans le monde entier. En toute logique il n’envoie donc pas de bulletins de salaire. Une vérité qui dérange ?

Selon une étude de PricewaterhouseCoopers Advisory pour Areva datant de mai 2011, la filière  nucléaire en France pèse 125 000 emplois directs et 285 000 emplois indirects (y compris les emplois induits par les revenus), soit un total correspondant à 2% de l’emploi total en France. Ceci pour un parc de 63 GW, soit 6,5 emplois par MW installé. Le capital de ce parc électro-nucléaire est déjà amorti, le coût de production actuel du kWh du nucléaire dit « historique » (environ 6 c€/kWh) et les emplois correspondants sont donc principalement liés au volet Opération et Maintenance (O&M).

Dans un rapport datant de 2008 et reposant sur des données encore plus anciennes, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) soulignait que « les énergies renouvelables créent davantage d’emplois par dollar investi, par unité de capacité installée et par unité d’électricité générée que les centrales électriques conventionnelles ».

C’était vrai avant 2008, autrement dit durant la pré-histoire des EnR.  Mais dans un rapport de 2013 (http://www.irena.org/rejobs.pdf, page 44) l’Agence Internationale des Energies Renouvelables (IRENA) fait écho d’une étude réalisée par Greenpeace International et l’EPIA (devenue depuis «SolarPower Europe») où la question de l’emploi est traitée avec un angle différent : « Les années récentes ont connu une grande progression de la productivité » écrivent les co-auteurs. « Les estimations initiales de 50 emplois par MW en 2006 ont été revues à la baisse à 43 emplois en 2007, 38 en 2008 et 30 en 2011. »

L’évolution du nombre d’emplois par unité de puissance installée est corrélée au coût de production (LCOE, Levelized Cost Of Electricity) du kWh, ce dernier constitue ainsi un intéressant proxy.  Le LCOE du PV s’étant massivement et spectaculairement effondré entre 2011 et aujourd’hui, on peut alors extrapoler une baisse tout aussi massive du nombre d’emplois par MW. Il est possible que le solaire PV génère aujourd’hui moins de 10 emplois par MW nouvellement installé. Une mise à jour régulière des données est nécessaire pour que le débat énergétique soit rigoureux.

«  Le prix de la techno PV baisse selon la loi de Moore, tandis que  la filière aval (conception, installation, finance) est emploi intensive » estime de son côté Richard Loyen, président d’ENERPLAN, le syndicat des professionnels du solaire. Confirmant ainsi une baisse massive des emplois au niveau de la partie amont de la chaîne de valeur.  Mais même en aval des progrès en matière de réduction de la charge salariale sont réalisés. Par exemple les robots Krinner (voir la vidéo) utilisés lors de la construction de la plus grande centrale solaire d’Europe en Gironde ont permis de réduire la main d’oeuvre, et ainsi d’améliorer la compétitivité. Il est fort probable que des progrès soient également réalisés au niveau de la conception (bureaux d’étude) et du montage financier.

D’après les experts la tendance à la baisse des coûts du PV (ainsi que du stockage batterie associé) va se poursuivre et même atteindre un niveau proche de zéro. La société du coût marginal zéro, selon la formule du prospectiviste américain Jeremy Rifkin, est une société très efficiente, à très haute productivité. « Le prix de l’électricité solaire sera « presque » nul dans une dizaine d’années » estime l’ingénieur André Joffre dans un entretien publié le 9 mai 2016 dans l’édition catalane du quotidien L’Indépendant.

Plusieurs analystes partagent cette vision d’un coût du solaire tendant vers zéro, comme par exemple le professeur de Stanford University Tony Seba (auteur du livre « Clean Disruption of energy and transportation »), l’informaticien et futurologue Ramez Naam auteur du livre The Infinite Resource: The Power of Ideas on a Finite Planet (How Cheap Can Solar Get? Very Cheap Indeed), le directeur de l’ingéniérie chez Google Ray Kurzweil (Solar Will Power the World in 16 Years), le fondateur de Green Power Academy Nadim Chaudhry (The Solar Tsunami: it’s starting in the sun belt and it will spread towards the poles) ou encore Tam Hunt, fondateur de Community Renewable Solutions LLC, auteur du livre « Solar: Why Our Energy Future Is So Bright » et à l’origine du concept de « Solar Singularity ».

L’idéal serait de parvenir à mettre au point des capteurs solaires à durée de vie quasi-infinie et à très faibles besoins en maintenance permettant ainsi d’atteindre le Saint Graal. Une électricité presque gratuite. Et donc presque zéro emploi. A noter dès à présent que le volet O&M du solaire PV ne générait il y a 6 ans qu’environ 0,2 emploi par MW aux USA selon une étude du National Renewable Energy Laboratory (NREL) publiée en 2010 et citée par l’IRENA. Soit beaucoup moins que le nucléaire français. Pas de combustible à extraire et à transformer, pas d’installations complexes à gérer et à surveiller, pas de déchets à traiter. Le solaire PV, une fois le capital amorti, consomme très peu d’heures de travail humain.

Adopter une approche holistique

La quasi-gratuité de l’écosystème reposant sur l’énergie de flux solaire sera bien entendu catastrophique pour l’emploi dans le secteur de l’énergie mais en revanche très positive pour le reste de l’économie. Elle permettra en effet de baisser les coûts de production de l’ensemble des industries (comme par exemple la sidérurgie et l’automobile), les rendant ainsi plus compétitives et donc potentiellement créatrices de nouveaux emplois. Mais aussi de réduire les dépenses des familles pour se chauffer, s’éclairer et se déplacer en véhicule électrique. La facture « carburant » sera alors proche de zéro. L’argent économisé pouvant alors être dépensé ailleurs et ainsi stimuler d’autres secteurs tels que l’industrie textile, la restauration ou le tourisme.

En outre une énergie devenue gratuite correspond à un EROI (taux de retour énergétique) devenu très élevé, ce qui est très positif sur le plan environnemental.  Il convient donc d’appréhender la problématique énergie / emploi de manière holistique, dans une perspective d’intérêt général, et non pas à travers le prisme restreint de l’intérêt particulier de telle ou telle industrie.

« Je n’aime pas les approches « pro-emploi » » a affirmé  début 2016 Michael Liebreich, Chairman de Bloomberg New Energy Finance (BNEF) dans le cadre d’un entretien avec Zachary Zahan, fondateur du site Cleantechnica. Les politiques dont la finalité est de créer de l’emploi dans le secteur de l’énergie, et bien elles créent de l’emploi, mais au final bien moins que les politiques construites dans une perspective d’efficience. On peut créer des emplois consistant à ce que les employés creusent un trou toute la journée dans la terre, puis le rebouchent le soir, puis recommencer le lendemain. Certains fonctionnaires considérés comme « planqués » tombent dans cette catégorie. On ne peut ni nier que cela crée effectivement de l’emploi, ni nier que c’est absurde et au final destructeur pour l’économie d’un pays si ce genre de politiques est généralisée.

 « Le manque de culture économique est très coûteux pour notre nation » explique le prix Nobel d’économie français Jean Tirole dans un entretien publié par le magazine Challenges le 7 décembre 2014. « Beaucoup de nos concitoyens (et les médias avec eux) se focalisent sur le drame (réel !) de victimes identifiables d’un licenciement collectif en oubliant celui d’un nombre bien supérieur de chômeurs, anonymes ceux-là, qui sont victimes de la non-création d’emplois, et donc du système. »

Un manque de culture économique, mais aussi le fruit d’une démagogie électoraliste de certains responsables politiques.  Il est en effet fréquent d’entendre en France des personnalités, comme par exemple Nicolas Sarkozy (Les Républicains) et Emmanuel Macron (Parti Socialiste), mettre en avant un coût selon eux très bas de l’électricité nucléaire, tout en indiquant que c’est une industrie très pourvoyeuse en emplois. Ce n’est pas cohérent. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.

« J’ai fait un rêve »

La même approche, intellectuellement bancale, est utilisée par certains promoteurs du solaire. C’est par exemple le cas de Gregory Lamotte dans une courte tribune publiée sur le blog Tecsol le 7 mai 2016. D’un côté cet entrepreneur reproche à juste titre aux politiques de ne pas mettre à jour  leurs données sur le coût du solaire PV et rappelle que « les Anglais vont acheter par contrat pendant 35 ans l’énergie Nucléaire de EPR a 120 €/MWh alors que partout en Europe et dans le mode, l’énergie Eolienne et Solaire est achetée 70 €/MWh maximum. » Mais d’un autre côté  le patron de la start-up Comwatt dénonce le dogme selon lequel nucléaire serait bon pour l’emploi : « Autre exemple, quel est l’autre préoccupation centrale des Français ? L’emploi. Une idée aussi bien ancrée nous annonce que le nucléaire, c’est bon pour l’emploi. Une étude de l’OCDE nous indique que pour produire la même quantité d’énergie, le solaire nécessite 6 fois plus de main d’œuvre locale. »

Il n’est pas cohérent d’affirmer que le solaire coûte aujourd’hui presque deux fois moins cher que le nouveau nucléaire et en même temps que ce dernier génère 6 fois moins d’emplois que le premier. Facteur 12. Il y a un hic dans le potage.

« Nos politiques disposent souvent de données anciennes et comme les énergies renouvelables évoluent très vite, nous prenons souvent des décisions à contre sens » constate avec justesse Gregory Lamotte. «  J’ai fait un rêve, qu’il était possible de mettre à jour nos politiques comme on met à jour les applications des téléphones, afin de les aider à prendre les bonnes décisions. »  Alors prenons garde de charger une appli élaborée de façon tout aussi rigoureuse en matière de coût que d’emplois générés.

«  Pourquoi subventionner le nucléaire si c’est pour observer les coûts augmenter à chaque nouvelle génération ? » interroge ce spécialiste en optimisation de l’autoconsommation photovoltaïque. Si l’on veut vraiment créer artificiellement de l’emploi dans le secteur de l’énergie (en asphyxiant le reste de l’économie), subventionner le nucléaire est cohérent.  « Si l’on souhaite privilégier l’emploi des Français, les renouvelables s’imposent » ajoute l’entrepreneur. C’est vrai, car les filières EnR efficientes seront une source de prospérité à l’échelle de l’économie globale, et commencent dès à présent à l’être dans certaines régions du monde, du fait que ce sont des filières qui vont devenir de moins en moins consommatrices en heures de travail. Soit exactement le contraire du contenu de la leçon donnée par Gregory Lamotte.

Un paradoxe apparent à expliquer avec pédagogie

Le 13 janvier 2016 Pascal Tebibel, le directeur de la prospective et des relations institutionnelles du Groupe Colas, a envoyé à GreenPeace International un message mettant en avant la création d’emplois grâce au projet de route solaire Wattway développé par cette filiale du groupe Bouygues. Appelant ainsi implicitement cette grande ONG internationale à soutenir leur innovation au nom de l’emploi. La Ministre de l’écologie Ségolène Royal a également mis en avant le même argument pour promouvoir cette nouvelle filière, faisant totalement l’impasse sur une approche coûts-bénéfices.

Cette route solaire, étant extrêmement  coûteuse, créé en effet davantage d’emplois par unité de puissance installée que le solaire standard au sol. Elle n’en demeure pas moins intrinsèquement inefficiente et donc contre-productive sur les plans écologique, économique et donc social.

Il est essentiel de comprendre ce paradoxe apparent pour prendre les bonnes décisions que Gregory Lamotte appelle de ses vœux : moins d’emplois dans le secteur de l’énergie, et donc une énergie moins coûteuse, cela permet de générer de manière indirecte d’autres emplois ailleurs dans l’économie.

Brasser le bon vent

Voici enfin un second tabou qu’il convient aussi de briser : bien séparer le bon grain de l’ivraie en matière de filières EnR. Toutes les EnR ne sont pas à mettre dans le même panier, certaines filières constituent des aberrations tant sur le plan de l’EROI (et donc au niveau du bilan écologique)  que du coût, les deux étant d’ailleurs liés.

Si l’hydroélectricité, le grand solaire au sol et l’éolien terrestre dans les régions bien ventées sont des filières aujourd’hui vraiment très pertinentes, formant ensembles le trio symbiotique Wind Water Sun prôné par Mark Jacobson de Stanford University, ce n’est ni le cas de la route solaire prônée par Ségolène Royal,  ni de la « SmartFlower » d’EDF, ni du très coûteux hydrolien, ni enfin de l’arbre à vent NewWind  prôné par Arnaud Montebourg.

L’ancien ministre du « redressement productif », par ailleurs très pro-nucléaire,  se fait l’avocat de cette forme de micro-éolien particulièrement coûteuse, depuis la COP21 jusqu’à la conférence intitulée « Slow is powerfull » : rupture technologique et modèle économique disruptif dans l’éolien et l’hydrolien » qu’il donnera le 31 mai 2016 à l’occasion du «  Smart Energy Summit Paris » parrainé par ERDF et RTE (François Brottes).  Au programme de cette conférence dont le titre est manifestement inspiré du concept « Small is beautifull » (1973) de l’économiste Ernt Friedrich Shumacher et dont la formulation marketing vise semble-t-il à séduire les personnes appréciant les approches d’autonomie énergétique et de décentralisation : « Miser sur les écoulements lents comme source de puissance » et « Changer de paradygme (sic) avec des gisements d’énergie diffuse quasi illimités ».

Il ne suffit pas d’afficher des mots et des formules a priori sexy et modernes pour rendre une technologie économiquement et écologiquement pertinente. Comme le rêve Gregory Lamotte, chargeons la bonne appli. Les lois de la physique ne peuvent pas être changées par Arnaud Montebourg, et ceci en dépit de son talent d’orateur et de son charisme : la production électrique d’une éolienne varie à la puissance trois de la vitesse du vent et cette dernière est bien plus faible  au niveau du sol qu’à 100 mètres d’altitude. A fortiori en milieu urbain. En outre l’architecture du très romantique arbre à vent conduit à un ratio énergie produite / matière consommée (métal, câblages) médiocre comparativement aux micro-éoliennes standards, ces dernières étant pourtant déjà bien moins performantes que les grandes éoliennes.

La France, engoncée dans la filière atomique, a déjà perdu énormément de temps en matière de compétitivité EnR, n’aggravons pas ce retard avec de lourdes erreurs d’aiguillage et avec des pseudos-solutions et autres bling-blingueries servant à tenter de camoufler ce retard…Ou plutôt à tenter de freiner (« écoulement lent ») l’émergence des vraies solutions EnR qui font de l’ombre aux rentiers des vaches à lait nucléaires en place et qui veulent rester « source de puissance » le plus longtemps possible.

Le temps, c’est de l’argent.

Olivier Daniélo 


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