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Anticiper les tsunamis grâce aux signaux gravitationnels et à l’IA

Posté le 2 juin 2022
par Nicolas LOUIS
dans Informatique et Numérique

Des scientifiques ont développé un algorithme d'IA capable d'estimer en temps réel la magnitude des grands séismes à partir des signaux gravitationnels enregistrés par les sismomètres. Ce nouvel outil numérique pourrait permettre, à terme, la mise en place de systèmes d’alerte des tsunamis plus fiables et plus rapides.

Au cours des trente dernières années, les tremblements de terre ainsi que les tsunamis qu’ils génèrent ont provoqué la mort de près d’un million de personnes. Les systèmes d’alerte mis en place reposent sur l’analyse des ondes sismiques, mais sont inopérants lors de très grands séismes. Le signal mesuré a en effet tendance à saturer dès que la magnitude dépasse le seuil d’environ 7,5. Cette difficulté peut avoir de lourdes conséquences, comme à Fukushima en 2011. Les systèmes japonais n’ont pas permis d’anticiper le tsunami à venir, car ils avaient estimé une magnitude du séisme de 8 au lieu de 9, et donc des vagues de 3 mètres alors qu’elles ont dépassé les 15 mètres de haut. Une équipe de recherche internationale, regroupant des chercheurs de l’IRD (Institut de recherche pour le développement) et du Los Alamos National Observatory (un laboratoire aux États-Unis), a développé un nouvel outil numérique permettant d’estimer instantanément la magnitude des grands séismes. Leurs travaux viennent d’être publiés dans Nature.

À l’origine de ce travail de recherche, la découverte en 2016 de signaux nommés les PEGS (Prompt Elasto-Gravity Signal) grâce à un instrument de mesure appelé un gravimètre superconducteur. Ces PEGS sont des signaux gravitationnels générés par le mouvement d’une immense masse de roche lié à la survenue d’un séisme de grande ampleur. « Lors du séisme de Fukushima, une masse représentant une surface de 500 km de long sur 200 km de large s’est déplacée sur plusieurs mètres en quelques secondes, explique Quentin Bletery, chargé de recherche à l’IRD. Cette masse en mouvement a perturbé le champ de gravité terrestre. Cette perturbation se propage, comme une onde gravitationnelle, à la vitesse de la lumière. Les PEGS présentent donc un très fort intérêt en termes d’alerte, car ils se propagent beaucoup plus vite que les ondes sismiques. »

En 2017, des travaux de recherche ont mis en évidence qu’il est possible de mesurer ce signal à partir d’un sismomètre, puisque cet appareil a pour fonction d’enregistrer l’accélération du sol, et que la gravité est une accélération. Sauf que le signal est très faible, environ un million de fois plus petit que celui d’une onde sismique. Les chercheurs de cette étude ont développé un algorithme d’intelligence artificielle capable d’estimer la magnitude d’un grand séisme en cours à partir des PEGS.

Plus précisément, les scientifiques ont entraîné un algorithme de type deep learning sur des données synthétiques, c’est-à-dire de « faux séismes », car les données relatives aux grands séismes passés ne sont pas assez nombreuses. « Nous avons entraîné notre modèle sur des centaines de milliers de séismes synthétiques, localisés partout dans le monde, détaille le chercheur. Nous avons fait varier leur magnitude, et nous avons calculé pour chaque séisme, les PEGS attendus sur tout le réseau de stations sismiques. Par-dessus le signal, nous avons rajouté du « bruit », car la Terre bouge en permanence et au lieu d’observer un signal plat, de petites oscillations sont tout le temps présentes. À partir de ce travail virtuel, nous avons entraîné l’algorithme à estimer toutes les secondes la magnitude et la localisation des très grands séismes. »

Une estimation fiable des séismes dont la magnitude est supérieure à 8,2

Ce nouveau modèle a ensuite été testé sur des données passées, notamment celles obtenues lors du séisme de Fukushima. Résultat : il a été capable d’estimer sa magnitude exacte, en l’occurrence 9,0, en deux minutes, c’est-à-dire le temps qu’a mis le séisme pour atteindre sa magnitude maximale. La seule limite de l’algorithme est qu’il est incapable d’estimer la magnitude d’un séisme en dessous de 8,2, car le signal devient alors trop faible à mesurer. « Pour l’alerte tsunami, ce n’est pas un problème, car les séismes de magnitude inférieure à 8,2 sont peu susceptibles de générer des tsunamis conséquents », précise Quentin Bletery.

Les chercheurs veulent à présent mettre en place ce système au Pérou, et ils aimeraient aussi l’installer au Japon. Parmi les pistes de développement à venir, ils ont l’intention de tenter de « débruiter » les signaux, en développant un autre algorithme. L’objectif de ce travail étant de parvenir à extraire les PEGS des petites oscillations enregistrées de manières permanentes par les instruments, et ainsi être en mesure d’estimer les séismes dont la magnitude est inférieure à 8,2.

Une autre voie de recherche consisterait à étendre ce système à l’échelle mondiale. « Avec les ondes sismiques, cela n’avait pas d’intérêt, puisque le temps qu’elles atteignent l’autre côté de la planète, un tsunami se serait déjà produit, alors qu’avec les ondes gravitationnelles, c’est en théorie possible. Grâce à l’utilisation de toutes les stations sismiques dans le monde, nous aurions également plus de données à analyser et il serait alors peut-être possible de détecter des magnitudes inférieures à 8,2. L’autre avantage serait de mettre en place un système d’alerte opérationnel dans des régions du monde qui n’ont pas les moyens d’en développer actuellement », conclut le chercheur.


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