Interview

Des enveloppes bio-inspirées pour améliorer la performance environnementale des bâtiments

Posté le 11 août 2021
par Alexandra VÉPIERRE
dans Innovations sectorielles

Le pôle habitat du Ceebios a terminé une thèse de recherche appliquée dans laquelle biomimétisme et construction durable se rejoignent. Estelle Cruz, à l’origine de cette thèse sur les façades multi-régulantes, revient sur les bénéfices de s’inspirer du vivant pour améliorer la performance environnementale des bâtiments.
Estelle Cruz, cheffe de projet Habitat bio-inspiré au Ceebios.

Cheffe de projet Habitat bio-inspiré au Ceebios (Centre d’études et d’expertises en biomimétisme), Estelle Cruz a terminé la thèse « Caractérisation multicritère des enveloppes biologiques : Vers le développement d’enveloppes bio-inspirées » dans laquelle elle s’intéresse aux façades des immeubles. Cette thèse a été menée par le laboratoire MECADEV du Muséum d’Histoire Naturelles de Paris et le Ceebios en partenariat avec le groupe cimentier Vicat. Elle revient pour Techniques de l’Ingénieur sur les résultats de son étude.

Techniques de l’Ingénieur : Pourquoi réaliser une thèse qui lie bio-inspiration et façades des bâtiments ?

Estelle Cruz : Je me suis surtout intéressée à l’enveloppe. Au sens large, il s’agit de l’interface entre le milieu extérieur et le milieu intérieur, qui permet de réguler les flux d’énergie, d’information, de température… Chez les animaux, il s’agit par exemple des écailles, des poils, de la peau, des plumes etc. Dans le bâtiment, c’est le rôle de la façade et de la toiture. En lisant la littérature sur le sujet, j’ai constaté que la construction s’intéressait au vivant pour optimiser les bâtiments, mais que c’était souvent les mêmes modèles qui inspiraient les architectes : peau humaine, termitière et pomme de pin. Pourtant, le vivant est riche de propriétés de régulations thermiques, lumineuses, acoustiques, mécaniques… alors pourquoi toujours s’inspirer des mêmes modèles biologiques ? C’est le point de départ de notre recherche : proposer une revue des différentes enveloppes biologiques chez les animaux, plantes et champignons qui existent pour ensuite permettre aux architectes de s’en inspirer en transposant les principes biologiques identifiés.

Que révèle votre thèse ?

Nous sommes partis des typologies d’enveloppes classiques, à savoir peau, poils, plumes, écailles, surfaces végétales, et nous en avons choisi 10 au total. Ensuite, nous avons regardé leurs propriétés de régulation selon 6 paramètres, qui sont les facteurs que doit réguler l’enveloppe d’un bâtiment : air, eau, lumière, chaleur, acoustique et contraintes mécaniques. Nous avons classé les enveloppes en fonction de leur pertinence pour le bâtiment. Cette recherche a révélé qu’aucune d’entre elles ne régule simultanément les 6 facteurs qui nous intéressent pour le bâtiment. Par exemple, les plantes sont très intéressantes en termes de régulation lumineuse et thermique car les bâtiments font face à des contraintes similaires en étant aussi fixés dans le sol. En revanche, elles ne gardent pas constante leur température interne, contrairement aux mammifères. Aujourd’hui, parmi les 30 façades bio-inspirées qui existent, plus de 80 % s’inspirent uniquement d’un seul organisme biologique. Rares sont les architectes qui combinent les principes biologiques de différents organismes alors qu’il y aurait une richesse biologique évidente si on les assemblait !

Quels principes biologiques pourraient inspirer le bâtiment ?

Par exemple, la fourrure d’un mammifère est intéressante pour ses propriétés de régulation de la conductivité thermique suivant les saisons. Les mammifères vivent sous des climats à variations thermiques importantes et perdent leurs poils en été alors que leur fourrure s’épaissit en hiver. Dans un bâtiment, on a également besoin d’évacuer la chaleur l’été et la conserver l’hiver. Les concepteurs pourraient donc imaginer des matériaux à conductivité et épaisseur variables, qui se « gonflent » à certains moments et se « dégonflent » à d’autres. C’est déjà le cas de certains matériaux dits « respirants », type paille ou chanvre, dont les variations de propriétés thermiques pourraient être adaptées pour le bâtiment.

Comment évolue l’utilisation de matériaux bio-inspirés dans le bâtiment ?

Il y a plusieurs dizaines de projets de bâtiments bio-inspirés dans le monde, donc nous ne pouvons pas vraiment parler d’une massification de l’approche pour le moment. Il existe deux manières d’intégrer le biomimétisme au bâtiment. A très court terme, la bio-inspiration nous permet de modifier les pratiques dans la manière de construire. Il est possible de recombiner les systèmes constructifs existants, que le secteur de la construction maîtrise bien, mais de manière innovante. Il y a des exemples de bâtiments emblématiques, comme le Eastgate Center au Zimbabwe qui est inspiré des termitières. Pour cet immeuble, les techniques constructives ont été requestionnées afin de permettre la ventilation passive et ainsi réguler la température de l’immeuble.

Dans un deuxième temps, sur un plus long terme, il serait possible de développer de nouveaux matériaux qui seront réactifs, pourront s’ouvrir ou se fermer en façade etc. Mais tout cela nécessite encore plusieurs années de recherches.

Quels impacts la bio-inspiration peut avoir sur l’environnement ?

En travaillant sur les enveloppes, l’objectif est d’améliorer la performance technique, environnementale et énergétique de la façade pour lui permettre d’évacuer la chaleur ou la capter de manière plus efficace. Plus largement, il y a un objectif de performance environnementale pour limiter l’empreinte carbone des bâtiments. Aujourd’hui, les systèmes de chauffage et de refroidissement ont un coût énergétique important.

Cela étant, tout l’enjeu consiste à faire un aller-retour permanent entre amélioration technique d’un produit et analyse de sa performance globale. Si la performance d’une façade est améliorée mais qu’elle est construite avec des matériaux à haute empreinte environnementale et difficilement recyclable, le résultat ne sera pas satisfaisant. D’où la nécessité d’une analyse complémentaire dite écosystémique dans laquelle on questionne le cycle de vie de la façade et du bâtiment du point de vue du cycle de l’eau, du carbone etc.

Quelle suite voyez-vous à votre thèse ?

Cette thèse de recherche appliquée a permis le développement d’outils qui sont en train d’être mis en œuvre dans le cadre d’accompagnement de la maîtrise d’œuvre pour faciliter le développement de façades bio-inspirées. Une autre thèse de recherche appliquée est en cours au sein de Nobatek/INEF4 et l’I2M à Bordeaux et porte sur la construction d’un prototype bio-inspiré dont les phases de conception se sont appuyées sur l’utilisation des outils révélés dans ma thèse.


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