Interview

Des structures biomimétiques pour ressusciter les fonds marins

Posté le 26 mai 2021
par Intissar EL HAJJ MOHAMED
dans Environnement

L’entreprise française Seaboost conçoit des dispositifs biomimétiques destinés à restaurer la biodiversité marine. La calanque de Cortiou fait partie des sites où elle a opéré. Pour en apprendre plus sur les diverses actions de cette start-up innovante, nous avons interviewé Julien Dalle, chef de projet ingénierie écologie.

Dans la calanque de Cortiou, le déversement d’eaux usées avait endommagé l’écosystème. Avec le projet REXCOR, l’entreprise Seaboost a pu démontrer qu’il est possible d’y ramener la vie. Mais les opérations réalisées par Seaboost ne se résument pas à cela ! La société a déjà une trentaine de projets à son registre. Objectif : restaurer l’équilibre dans des écosystèmes menacés grâce à des dispositifs inspirés de la nature. Et les résultats sont au rendez-vous.

Les récifs artificiels figurent parmi les dispositifs biomimétiques proposés par Seaboost. Quatre types distincts sont immergés dans la calanque de Cortiou :

Dans ce même site, un dispositif de plus a également été installé : une roselière, qui mime l’herbier de posidonies, et en reproduit ainsi la nurserie en accueillant les juvéniles et post-larves qui viennent s’y nourrir et s’y mettre à l’abri.

Le projet REXCOR a fait l’objet d’une vidéo de la série Nature = Futur, dont nous sommes partenaires :

 

Chef de projet ingénierie écologie chez Seaboost, Julien Dalle nous a accordé cette interview.

Techniques de l’Ingénieur : Dans la calanque de Cortiou, le projet REXCOR a démarré en 2015. Où en est-il aujourd’hui ?

Julien Dalle : Le projet est toujours en cours : plus précisément, nous poursuivons les suivis, mais les travaux sont finis depuis 2018. Tandis qu’au début du projet nous étions confrontés à un vrai désert écologique, nous avons observé le retour de 64 espèces. Nous retrouvons ces espèces à tous les niveaux trophiques et à tous les stades de vie. Parmi les espèces revenues, nous avons identifié des espèces emblématiques : mérou brun, mérou gris, gorgones, poulpe, langouste…

Les espèces sont de retour même à l’endroit le plus abîmé, celui qui est le plus proche de la sortie de la canalisation, à 100 mètres de distance. Alors que l’eau rejetée était aux normes depuis quelque temps, ce sont les substrats donc le sol – auxquels se fixent la faune et la flore – qui ont été le plus exposés à la pollution. Il faudra un peu de temps pour évacuer tous ces contaminants. Et grâce aux habitats sains que nous avons apportés, nous avons pu permettre un retour à la vie. Les grandes fonctionnalités écologiques ont été restaurées : habitat, frayère, nurserie, substrat, alimentation… Le taux de recouvrement – ou colonisation – des matériaux poreux par la faune et la flore a même atteint 100 % à certains endroits.

Le fait que les espèces soient présentes à tous leurs stades de vie (œufs, larves, juvéniles, adultes…) signifie que les sites n’ont pas une simple fonction d’abri transitoire. Les espèces présentent une forte sédentarité : elles pondent, naissent, grandissent et se reproduisent dans cette zone qui est par conséquent un écosystème équilibré qui crée de la biodiversité. Ce n’est pas simplement un transfert de biomasse. Et le fait que tous les niveaux trophiques soient représentés prouve qu’un écosystème complet s’installe et est donc la garantie d’un équilibre écologique.

Combien de dispositifs avez-vous installés dans la calanque de Cortiou ?

Nous avons mis en place 4 villages de 6 récifs chacun (soit 3 récifs à ragues et 3 récifs fractals), ainsi que 12 récifs connectivités, et un récif 3D.

En quels matériaux sont fabriqués les récifs artificiels de Seaboost ?

Ils sont fabriqués en béton poreux et en béton 3D. Ils présentent une forte micro-complexité et un design biomimétique. La micro-complexité de nos dispositifs a un ordre de grandeur millimétrique à centimétrique. Ces structures ont des formes qui miment celles dans la nature : les trous, les promontoires, les déclivités, les pentes… Et l’impression 3D permet de reproduire cela en créant une diversité de formes inaccessibles autrement. Cela est bien différent des rebuts de chantier parfois immergés dans l’idée qu’ils formeraient des habitats pour la faune et la flore marine… Or, ces objets n’ont aucune micro-complexité et donc le résultat n’est pas toujours satisfaisant ! Certains projets d’immersion d’épaves non décontaminées ou de déchet peuvent même altérer le milieu et relarguer des contaminants, et on est parfois amenés à les enlever.

Vous avez réalisé une trentaine de projets, dont une vingtaine sont en cours, à divers endroits à travers le monde. Pouvez-vous nous en dire plus sur les autres dispositifs biomimétiques déployés ?

Parmi ces dispositifs, nous pouvons citer ROOT qui mime la racine de mangrove et reproduit la géométrie et le contexte de la mangrove afin de permettre son retour dans les zones où elle a été dégradée. On peut aussi évoquer l’Oursin qui, comme son nom l’indique, mime un oursin. Parlons aussi de Qatareef qui est un projet très complexe de récifs artificiels à peu près sphériques installés au Qatar et ayant une immense diversité de formes, avec des rainurages par exemple, et dont le but est d’optimiser la reproduction corallienne. En effet, sur les coraux, quand on a 10 000 larves qui naissent, c’est une seule qui arrive à l’âge adulte. C’est donc un taux de succès d’1 sur 10 000. Avec Qatareef, nous souhaitons améliorer ce taux de succès de 2 ou 3 sur 10 000 : on double ou triple ainsi le chiffre initial, ce n’est pas anodin. Nous avons aussi installé dans le PNMBA (Parc National Marin du Bassin d’Arcachon), un herbier artificiel qui peut remplacer une brèche qui s’est formée dans un herbier suite au passage d’une ancre, ou autre source de dégradation. Quand un trou se forme dans un herbier, cela le pousse à régresser. Avec notre herbier artificiel, nous cicatrisons en quelque sorte cette plaie : le dispositif reproduit l’herbier naturel qui se met à se redévelopper là où il régressait pour enfin remplacer l’herbier artificiel. Ce dernier se désintègre, ou alors on  retire, ou on le déplace, selon le contexte.

Qu’en est-il des projets PEGASE et 3DCOMPLEX, en cours en France ?

PEGASE est un projet mené à Agde. L’idée est de lutter contre l’érosion de la plage avec une solution alternative aux méthodes conventionnelles. Cet ouvrage s’inspire de la mangrove, il remplace la digue ou le brise-lame. Il est moins lourd. Il est modulable aussi. Le projet 3DCOMPLEX est à Valras. Il vise à rendre à des récifs artificiels anciens, qui ne jouent pas ou plus pleinement leur rôle, la capacité à supporter des fonctionnalités écologiques nécessaires aux petits fonds méditerranéens.

Quels projets préparez-vous en ce moment ?

Nous préparons un projet pour la restauration des mangroves en Afrique de l’Ouest et en Asie du sud-est, et un autre pour la restauration des coraux en Polynésie française. N’oublions pas que l’on estime que 2 % de la mangrove disparaissent chaque année, et que 80 % des coraux pourraient disparaître d’ici 2030 ! Or, ce sont environ un milliard d’habitants dont la survie dépend de ces écosystèmes et serait donc menacée.

Qui sont les partenaires de Seaboost ?

Nous avons des partenaires universitaires, comme l’institut GLADYS, l’Université de Bretagne Sud ou l’Université de Nouméa. Des clusters comme le Pôle Mer Méditerranée, le CEEBIOS et Biomimexpo. Et des centres de recherche comme l’Ifremer, le CRIOBE et l’IRD.

Image de une : domaine public // Creative Commons


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