Interview

HE2HP : une supercar vertueuse née de l’union des savoir-faire de TechnoMAP et iDCONCEPTS

Posté le 7 juillet 2023
par Benoît CRÉPIN
dans Innovations sectorielles

Mené en l’espace d’un an seulement, le projet HE2HP («Hybridation Électrique Éthanol Haute Performance») a abouti à la naissance d’un véhicule hors-norme. Sur la base d’une Alpine A110 de série, les PME TechnoMAP et iDCONCEPTS ont en effet développé une sportive de pas moins de 600 ch pour 800 Nm de couple… Une supercar qui n’en demeure pas moins vertueuse : carburant à l’éthanol, son moteur thermique est couplé à une motorisation électrique. Le pôle de compétitivité NextMove a ainsi décerné à la sportive hybride son Trophée 2023 dans la catégorie «Motorisation & Électrification».

Pour TechnoMAP et iDCONCEPTS, le projet HE2HP visait avant tout le développement d’une vitrine technologique de leurs savoir-faire. Les deux PME implantées en Normandie ont donc uni leurs forces pour transformer en profondeur le véhicule de série qui a servi de base à leur travail. Outre un changement de cartographie moteur, visant à augmenter sa puissance, mais aussi à lui permettre de carburer à l’éthanol E85, les partenaires ont revu de nombreux éléments : admission et échappement, système d’injection ou encore boîte de vitesses. Le coffre du véhicule, son berceau, ses longerons ainsi que ses trains roulants ont quant à eux tout simplement disparu, remplacés par des éléments sur mesure. TechnoMAP et iDCONCEPTS ont également développé un train avant entièrement nouveau, doté notamment d’un moteur électrique transformant la sportive propulsion en un véhicule quatre roues motrices. Testé et approuvé par des pilotes professionnels, ce démonstrateur a notamment été mis en avant l’an dernier par NextMove sur son stand lors du salon SIA Powertrain & Energy, comme s’en réjouit Jean-Christophe Grousset, président du groupe iDCONCEPTS.

Techniques de l’Ingénieur : Vous dirigez iDCONCEPTS et sa filiale iDSERVICES. Quelles sont les activités respectives de ces deux entreprises ?

À la tête d’iDCONCEPTS depuis 2001, Jean-Christophe Grousset a donné naissance à sa filiale iDSERVICES en 2019. © NextMove

Jean-Christophe Grousset : iDCONCEPTS et iDSERVICES sont deux sociétés du monde de l’ingénierie et de la tech, qui interviennent essentiellement sur des activités amont, des produits, des technologies, ou des services en devenir. Notre objectif global consiste avant tout à sécuriser l’innovation de nos clients, que ce soit pour des grands groupes ou des start-up.

iDCONCEPTS est le pôle produits de notre groupe, alors qu’iDSERVICES est considéré comme notre pôle technologique. Nous intervenons à la fois sur des fonctions et sur des produits dans leur intégralité chez iDCONCEPTS, qui se concentre par ailleurs sur les aspects liés à l’ingénierie et les architectures électriques. Dans le cadre des activités d’iDSERVICES nous intervenons en revanche plutôt sur des problématiques technologiques dans le monde de l’ingénierie mécanique : systèmes connectés, robotisés… Plutôt dans le monde de la mécatronique, donc.

Comment en êtes-vous arrivés à nouer ce partenariat avec TechnoMAP et à vous lancer aux côtés de la PME normande dans ce projet HE2HP ?

Nous côtoyons régulièrement l’entreprise TechnoMAP dans le cadre de projets axés sur la mobilité et l’automobile, réalisés pour le compte de grands constructeurs. Notre constat de base était le suivant : nous travaillons certes sur de magnifiques sujets, mais pour des raisons de confidentialité, ces projets restent souvent dans l’ombre. L’expertise de nos équipes demeure donc souvent cachée. Pendant la période de pandémie, nous avons vu naître en nous la volonté de mettre en avant nos sociétés et leurs savoir-faire. Pour ce faire, nous avons donc imaginé ensemble créer notre propre vitrine technologique, qui nous permette de montrer à la fois les compétences de nos équipes, mais aussi nos capacités à réaliser, sur un temps court, un projet en mode collaboratif. C’est ainsi qu’est né le projet HE2HP. Au sein de notre groupe, iDCONCEPTS était tête de pont sur ce projet, mais iDSERVICES a également travaillé sur le sujet.

En compagnie de TechnoMAP, nous avons donc commencé par définir des objectifs techniques et technologiques précis, mais aussi un timing ambitieux, de seulement un an… Ceci afin d’illustrer nos capacités en matière d’agilité et de réactivité.

Quels étaient justement ces objectifs, très concrètement ? Sur cette base de travail, quels ont été les rôles de chacun d’entre vous ?

Globalement, chaque entité a mis à profit les domaines de compétences qui lui sont propres. TechnoMAP est aujourd’hui un spécialiste de l’architecture électrique, là où iDCONCEPTS et iDSERVICES sont plutôt expertes de l’architecture mécanique des véhicules, ce que l’on appelle la « caisse en blanc », la CEB, ou BIW en anglais[1]. Il s’agissait de transformer un véhicule déjà très contraint, aux performances de départ importantes, en quelque chose d’encore plus contraint, avec des performances accrues. Nous sommes partis d’un véhicule sportif de série, pour arriver à un véhicule aux performances hors-norme : la puissance du moteur 4 cylindres turbo est passée de 252 à 400 chevaux… Le couple du moteur thermique culmine désormais à 400 Nm… ! Le véhicule bénéficie également d’un moteur électrique complémentaire et propose ainsi un mode hybride qui exploite quant à lui un total de 600 ch et de 800 Nm, une puissance et un couple répartis sur les quatre roues, alors que l’A110 de série est une simple propulsion.

Le coffre avant de l’Alpine A110 a disparu, au profit d’éléments techniques sur mesure. (DR)

Pourquoi ce choix de l’Alpine A110 comme base de travail ? Quel travail avez-vous réalisé pour le transformer en cette vitrine de vos savoir-faire, que vous décrivez ?

L’Alpine A110 est produite à Dieppe… TechnoMAP, iDSERVICES et iDCONCEPTS sont toutes trois implantées en Normandie, nous avons ainsi imaginé faire de notre projet une initiative 100 % normande… C’est donc tout naturellement que nous nous sommes tournés vers ce véhicule. La Région Normandie a d’ailleurs soutenu financièrement le projet.

Nous avons transformé cette Alpine de série en véhicule hybride hautes-performances. Pour cela, nous avons réalisé un travail considérable. La cartographie moteur a tout d’abord été intégralement revue pour permettre à la motorisation de fonctionner à l’éthanol E85, mais également pour augmenter de façon significative sa puissance. Admission et échappement ont aussi été modifiés pour laisser « respirer » le moteur. La boîte à air a été déplacée dans le coffre, ainsi que la batterie 12 volts. Tout le système d’injection a également été repensé. Si le moteur a été conservé en position avant, sa puissance est néanmoins envoyée aux roues arrière via une boîte de vitesses séquentielle issue de la compétition. Cette dernière a nécessité l’ajout d’un embrayage et d’une pédale dédiée…

En ce qui concerne la partie avant du véhicule, l’ensemble des éléments a tout simplement été changé : le coffre a disparu, de même que le berceau et les longerons d’origine ainsi que les trains roulants. Le tout a été remplacé par des éléments sur mesure. Le train avant est par ailleurs entièrement nouveau : il a été équipé d’un moteur électrique développant 200 ch et 400 Nm de couple, accompagné de son réducteur. Cela a donc impliqué une transformation de la caisse en blanc – avec toutes les difficultés que cela implique sur un véhicule déjà très optimisé – et nous a permis, comme je l’évoquais, de transformer ce modèle propulsion en véhicule quatre roues motrices. Une partie informatique embarquée permet également de coupler la puissance des deux moteurs – thermique et électrique – et d’optimiser l’apport de puissance de chacun d’eux, lorsque l’on en a besoin.

La suspension est d’autre part devenue « inboard »[2] et a été placée à l’horizontale. Cela permet à la fois une meilleure tenue de route et un gain de place non négligeable.

À l’intérieur enfin, les deux sièges ont dû être écartés chacun de 15 mm vers l’extérieur de la caisse afin de pouvoir positionner la batterie alimentant le moteur électrique sous la console d’origine. L’ensemble de la chaîne de traction, y compris, donc, cette batterie, est entièrement refroidi par le même fluide circulant autour de chacun des éléments qui la constitue.

Toutes ces transformations, certes complexes, n’ont pas été réalisées au détriment de la masse du véhicule, qui reste un « poids plume ». On a en outre très peu d’écart entre la position du centre de gravité d’origine et celle obtenue sur notre véhicule démonstrateur. L’ADN du véhicule a donc été conservé.

Vous avez présenté ce véhicule pour la première fois en mars 2022… Quel usage en avez-vous fait depuis ? A-t-il par exemple roulé sur circuit ? Quel sera son devenir ? Pourrait-il éventuellement servir d’inspiration pour les équipes d’Alpine… ?

Ce démonstrateur a déjà roulé sur le circuit de Montlhéry, mais aussi au Mans. Des pilotes professionnels sont intervenus pour mettre au point et régler le véhicule et ont ensuite pu l’essayer. Tous ont jugé que son comportement se révélait tout bonnement extraordinaire, tant en matière de qualités routières, de tenue de route, que de puissance transmise à travers les deux trains. Les objectifs ont donc été pleinement remplis pour les deux équipes… !

Ce véhicule est d’abord et avant tout un destiné à un usage interne. Nous avons certes tenu informées les équipes d’Alpine des étapes de transformation que nous avons réalisées, mais nous n’étions pas là pour créer un véhicule qui serait ensuite repris du côté d’Alpine, ou qui alimenterait une réflexion chez le constructeur. Il s’agit vraiment d’une démarche interne, visant à développer un démonstrateur de nos compétences. Des compétences historiques de nos sociétés respectives, certes, mais aussi des compétences nouvelles : nos équipes ont beaucoup appris de ce projet. L’aventure a été aussi forte sur le plan technologique qu’humain…

Cela va ainsi servir la stratégie de diversification de nos activités. Le monde de l’automobile et de la mobilité plus largement est en pleine mutation. Nous allons devoir répondre aux enjeux liés à des usages nouveaux, aux nouvelles mobilités ; ce sont des sujets sur lesquels nous travaillons depuis 2018… Ce démonstrateur est aussi important pour nous en matière de communication : il va nous permettre de toucher un panel assez large d’acteurs de la mobilité.

PDG de HYVIA, David Holderbach a remis le 22 juin dernier le Trophée NextMove 2023 dans la catégorie « Motorisation & Électrification » aux porteurs du projet HE2HP, TechnoMAP et iDCONCEPTS. © Julien Tragin

Quels ont été les apports de NextMove dans ce projet ? Quelles perspectives ce Trophée que vous avez reçu le 22 juin dernier pourrait-il vous ouvrir ?

À l’occasion de la dernière édition du salon international SIA[3] Powertrain, NextMove a accordé une place privilégiée sur son stand à un petit nombre d’acteurs, dont nous avons eu la chance de faire partie. En nous accueillant ainsi, NextMove nous a offert une vitrine exceptionnelle, qui nous a permis de dévoiler notre démonstrateur à l’ensemble de la profession. Cet évènement a été une occasion unique de faire valoir les compétences et les savoir-faire de nos équipes.

Ce prix que nous venons par ailleurs de recevoir a une double valeur : il va nous permettre de continuer à communiquer autour du projet et des compétences que nous avons mises en œuvre pour le réaliser, mais il constitue aussi une forme de reconnaissance, à la fois de la performance des équipes et de la qualité du travail accompli. Travail que nous serons capables de réaliser à nouveau pour des acteurs de l’automobile et des nouvelles mobilités au sens large.

Nous avons par ailleurs de nombreuses idées pour faire évoluer ce démonstrateur. Nous disposons désormais d’une plateforme fantastique, qui peut encore être le siège de nouvelles réflexions, l’incubateur du développement de nouvelles compétences tournées vers les mobilités au sens large : sur terre, mais aussi, pourquoi pas, dans les airs… !


[1] Body in white

[2] Littéralement « intérieure ». Suspension embarquée, à plat, dans le compartiment moteur, à l’intérieur de la caisse en blanc (contrairement aux systèmes conventionnels de suspension, qui sont quant à eux situés directement à l’aplomb des roues, à la verticale, en dehors de la caisse).

[3] Société des ingénieurs de l’automobile


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