Décryptage

Le plan Hydrogène peut-il sauver le Ministre Nicolas Hulot ? Patrick Pouyanné (Total) est sceptique

Posté le 5 juin 2018
par Pierre Thouverez
dans Énergie

L'article ci-dessous a été publié en juin, avant la démission de Nicolas Hulot annoncée au micro de France Inter le 28 août 2018
Cela fuse de partout. Il y a vraiment le feu au lac écolo pour l’ancien animateur de l’émission Ushuaïa sur TF1. Sera-t-il possible de l’éteindre avec de l’hydrogène ou ce dernier aura-t-il l’effet d’une bombe médiatique tant espérée par le Ministre ?

Le « en même temps » aurait-il fait place au « au détriment de » ? Avec Macron et Hulot, « nous sommes entrés dans une ère de régression » de la politique d’environnement s’est indignée Corinne Lepage, dans une tribune publiée le 1 juin dans le Nouveau Magazine Littéraire, c’est-à-dire le jour même de l’annonce en grandes pompes du « plan hydrogène » au Ministère de l’écologie. Pourtant cette ancienne Ministre de l’environnement avait soutenu Macron lors de la campagne présidentielle. « Je ne l’avais pas fait en raison de ses convictions écologistes mais parce que je pensais sincèrement que son intelligence lui avait permis de percevoir la gravité des défis auxquels nous sommes ». Mais « malheureusement, je me suis trompée » reconnaît Lepage.

Ségolène Royal, ancienne ministre de l’environnement, y est elle aussi allé de son couplet le 18 mai 2018 quand Hulot a autorisé au géant pétrolier Total d’utiliser un tiers de million de tonnes d’huile de palme dans sa bioraffinerie de la Mède, ex raffinerie de Provence: « Pourquoi tous ces reculs ? Malgré les pressions j’avais dit NON à l’importation d’huile de palme en raison des ravages écologiques et du bilan carbone désastreux, contraire à l’accord de Paris sur le climat ». Pourtant en février 2017 Ségolène Royal s’était emportée face à des militants anti-huile de palme déguisés en orangs-outans : « ils vont pas nous emmerder ! » (sic) avait lancé la socialiste, ajoutant d’un air ironique : « nous aussi on aime les animaux ! ».

L’immixtion de Ségolène Royal dans la politique gouvernementale actuelle a fait réagir Brune Poirson, collègue de Nicolas Hulot, qui a déclaré publiquement: « Ségolène Royal a une mission très importante. La situation est préoccupante en Arctique et en Antarctique et je ne doute pas qu’elle va mettre toute son énergie exclusivement dans ces régions du monde ». A l’assemblée nationale, visiblement perturbée, Poirson a aussi tenté de retoquer un député socialiste le 29 mai 2018, en argumentant que c’est à cause de l’action des socialistes dans le passé que le gouvernement est aujourd’hui contraint de prendre des décisions anti-écologiques.

Pour Jean-François Julliard, le directeur de Greenpeace France, le projet de Total est emblématique de l’hypocrisie du gouvernement français : « on a le sentiment que malgré de nombreux discours et promesses sur la lutte contre le réchauffement climatique, les actes manquent (…) même le minimum du minimum n’est pas fait. »

Une invitation au voyage

La Députée européenne écologiste Michèle Rivasi a partagé un conseil à Nicolas Hulot: « si tu tiens à ta crédibilité, quitte le gouvernement » ! L’interdiction du glyphosate d’ici 2021 en France ne figure pas dans le projet de loi « agriculture et alimentation ». Là aussi Michèle Rivasi dénonce un renoncement sous le poids des lobbys.  Le député EELV Yannick Jadot estime que l’action d’Hulot au gouvernement constitue : « un formidable gâchis». « La France parle haut et agit bas: Il y a de grandes annonces qui se traduisent par des décisions a minima  » constate l’eurodéputé socialiste français Éric Andrieu, président de la commission PEST (pesticides) du Parlement européen.

« On a épuisé toutes les facettes de la métaphore du vivarium (les couleuvres et autres reptiles de la famille des squamates) ingurgités. Nicolas Hulot est-il utile à la cause qu’il défend ? » interroge France-Inter dans un édito signé Thomas Legrand. « A mon sens et s’il est cohérent avec lui même Nicolas Hulot devrait se poser la question de son maintien dans un tel gouvernement qui renie des engagements élémentaires » estime Corinne Lepage. « Macron, ce sont des grands discours et à la fin, ce sont les lobbies qui gagnent. Hulot est asphyxié, il est totalement impuissant. Quel est l’intérêt pour lui de rester au gouvernement et de servir de caution au pire ? » complète Yannick Jadot dans le JDD. Isabelle Saporta, journaliste spécialisée environnement est plus directe: « Les questions environnementales, Macron, il n’en a rien à foutre. Macron voit ces questions comme une contrainte qui empêche le business model (…) Ce n’est même plus des couleuvres qu’avale Nicolas Hulot, ce sont des boas constrictor. On peut pas dire qu’on est écolo et signer tous les trucs les plus dégueulasses qui soient. »

Make our planet great again ? « Voilà, ça fait un an. Une année entière de duperies, de renoncements, de reculs : climat, nucléaire, biodiversité, pollution de l’air, agriculture, alimentation, condition animale, huile de palme, et tant d’autres… Une année d’inaction, une année de perdue » a regretté, également le premier juin, l’équipe de communication d’EELV.

Et il y a aussi le dossier d’un incinérateur en Corse qui fait polémique. « Nicolas Hulot affirme que les incinérateurs sont désormais moins polluants qu’auparavant et demande qu’on refasse un point sur les critères de dangerosité et d’approvisionnement » a rapporté la radio France Bleu. Et d’ajouter :« Le collectif de défense de l’environnement « Zero Frazu – Zéro déchet », s’interroge sur cette position affichée par le ministre. Est-elle neutre, au regard les liens entre sa fondation et certains industriels et grands groupes, notamment de l’énergie et des déchets ? »

Le plan d’Hulot : entrer dans « une nouvelle ère »

C’est dans ce contexte pour le moins tendu et erratique que Nicolas Hulot a lancé le 1 juin son fameux « plan hydrogène ». Le Ministre voit déjà la France devenir « leader mondial » de cette technologie et, l’air de rien, est même allé jusqu’à considérer que « nous sommes entrés dans une nouvelle ère. »  Il n’y a pourtant aujourd’hui que 260 voitures à hydrogène immatriculées en France (alimentées par de l’hydrogène qui est à 95% d’origine fossile en France) et le « plan hydrogène » n’en prévoit que 5000 pour 2023, soit 120 fois moins que le nombre de voitures à batterie qui circuleront probablement dans l’hexagone à cette date d’après les projections disponibles. Le parc automobile français compte 40 millions de véhicules.

Ce plan n’a pas seulement laissé sceptique Matthieu Pechberty, Grand reporter à BFM Business, qui a souligné dans une émission intitulée « Hydrogène : un coup d’épée dans l’eau ? » que « Nicolas Hulot est dans un moment politique où il n’est pas bien, il se prend des revers dans le domaine énergétique à cause du nucléaire, il a besoin de montrer qu’il s’agite un peu sur son terrain de jeu ». En effet le numéro un français de l’énergie, Total, a lui aussi partagé ostensiblement son scepticisme. La voiture à hydrogène ? « C’est encore très cher ».  Cette déclaration du PDG de Total lors de son Assemblée Générale des actionnaires au Palais des Congrès à Paris le 1er juin 2018 n’a pas échappé à l’équipe du média Bloomberg qui a titré : « Total pas convaincu par les voitures à hydrogène alors que le gouvernement annonce des subventions », article diffusé notamment par le Jakarta Post en Indonésie. Le journal économique Les Echos souligne qu’« à une question sur le développement de l’hydrogène, Patrick Pouyanné a dit que l’infrastructure pour cette énergie était très coûteuse et que cette technologie mettrait du temps avant de s’imposer. » A l’occasion d’une interview pour le quotidien Ouest-France (édition du 1er juin) Patrick Pouyanné a complété son propos:  « Quand on fait les calculs économiques et que l’on regarde la filière hydrogène, on a du mal a se convaincre qu’elle a un horizon à 10 ans. Cela coûte encore très cher. La batterie électrique a aujourd’hui un temps d’avance. Toyota, qui était complètement allé sur l’hydrogène, est d’ailleurs revenu sur l’électrique. » Le PDG de Total a aussi déclaré:  « Je pense que les gouvernements n’ont pas à décider des solutions technologiques. Et je trouve, qu’en ce moment, ils en font un peu trop à notre place. Ce qu’ils doivent faire, c’est fixer des limites d’émission, à nous de choisir l’innovation, la solution technologique.»

Dans la ville de Pau, dont François Bayrou, un proche d’Emmanuel Macron, est Maire, l’investissement dans 8 Bus à hydrogène et une station de charge coûte 13,5 M€. Comme l’a remarqué la chaîne LCI c’est deux fois plus cher que les Bus à batterie. Pour être viable le projet a donc été copieusement gavé de subventions européennes et régionales : 7 M€ d’aides publiques, soit 52% du montant du projet et presque 1 M€ par bus…Pour Micheal Liebreich, fondateur de l’agence Bloomberg New Energy Finance, « les voitures à hydrogène sont une solution inférieure à la recherche d’un problème ! Leur attractivité pour les décideurs ignorants, heureux de gaspiller l’argent des contribuables, ne cesse de m’étonner. Mais l’inefficacité chimique inhérente n’est pas quelque chose que la réduction des coûts pourra jamais résoudre. »

Planète Ushuaïa

L’ingénieur polytechnicien Loïk Le Floch-Prigent, ancien dirigeant de Gaz de France (GDF)  souligne dans une tribune ( « Plan hydrogène : les étranges choix de Nicolas Hulot » ) publiée le 2 juin 2018 sur le site Atlantico.fr que « l’H2 vert, c’est-à-dire issu d’énergie renouvelable produisant de l’électricité puis fournissant de l’H2 par électrolyse n’est qu’anecdotique. Tous les rendements successifs sont affreux et conduisent à un prix de la « verdeur » inacceptable ». Un véhicule à hydrogène consomme en effet deux à trois fois plus d’électricité qu’un véhicule à batterie équivalent. « A un moment, il faut revenir sur notre planète avec ses caractéristiques physiques et ses lois » ajoute Le Floch-Prigent.  « Chaque changement d’état conduit à des pertes, et donc multiplier les changements d’état multiplie les pertes et pas plus Monsieur Hulot que moi ne pourrons rien y changer… mais peut-être sur une autre planète. Moi, je préfère la notre pour l’instant. »

Julien Bayou, porte-parole d’EELV, a de son côté refusé d’être mené en bateau : « Grand plan d’investissement ? Les choses en grand ? Avis aux journalistes : opération enfumage. 100 millions d’€ c’est le coût d’environ deux lycées. Ce n’est pas avec ça que l’on prépare la prochaine révolution industrielle… ». Selon Florence Lambert, directrice du CEA-Liten, dans une tribune publiée le 1er juin sur le site officiel du CEA, « un stockage électrique inter-saisonnier à base d’hydrogène ne serait nécessaire qu’à partir de 60% d’énergies renouvelables dans la production totale… ce dont nous sommes encore loin. »

« La France est un petit pays » rappelle Matthieu Pechberty de BFM, et les 0,1 milliard d’euros annoncés par Hulot sont vraiment une goutte d’eau. Pour provoquer un effet d’échelle et ainsi parvenir à baisser les coûts de la filière hydrogène, il faudrait investir des milliards, voire des dizaines de milliards d’euros dans de gigantesques usines d’électrolyse alimentées elles-mêmes par d’énormes centrales solaires et/ou éoliennes. Si le coût de l’hydrogène issu de l’électrolyse ne parvient pas à baisser massivement alors l’hydrogène restera majoritairement produit à partir d’hydrocarbures en émettant 13 kilos de CO2 par kilo d’hydrogène. En outre les 100 millions d’euros annoncés par Nicolas Hulot (dont la moitié pour subventionner les voitures à hydrogène) reposent sur une base qui semble fragile. Dans un article intitulé « Hydrogène : le plan ambitieux mais sans-le-sou de Hulot » Le Parisien a en effet rapporté que « pire, selon nos informations, Bercy, qui tient les cordons de la bourse, n’aurait absolument pas donné son accord définitif sur la partie financière du plan. « Nous ne l’avons pas validé car nous n’en avons pas eu connaissance en détail », justifie-t-on au ministère de l’Economie. « Les réunions interministérielles qui ont été organisées autour de cette thématique ont en effet été loin d’être concluantes », confirme une source proche du dossier. »

L’hydrogène ? Une nouvelle « religion »

« Sur l’hydrogène, ma religion est faîte » a déclaré Hulot le 1er juin, manifestement emberlucoqué et à quelques mètres d’une maquette d’Energy Observer, le premier navire à prolongateur Hydrogène . « Oui ! L’hydrogène vert est l’une des solutions d’avenir pour la transition énergétique ! » a renchérit sur Twitter Mathieu Orphelin ex-directeur de la Fondation Nicolas Hulot et devenu Député étiqueté En Marche. Le Journal de l’Environnement lui a répondu : « Et elle le restera encore longtemps ». En effet, il y a 20 ans, l’hydrogène était déjà présenté comme une solution du futur. On peut même remonter à Jules Verne. L’espoir fait vivre.  La France, technologiquement larguée dans le domaine des batteries lithium face à l’Asie et l’Amérique, tente de s’accrocher aux branches de l’hydrogène.

« 100M€ sur l’hydrogène alors que c’est une impasse technologique coûteuse. Par contre pour la solution vélo on entend pas grand chose. S’il n’y a pas un Plan Vélo sincère et financé, ce sera une nouvelle victoire des lobbies contre la société civile  » s’est exclamé le 1er juin Charles Maguin, président de l’association cycliste Paris en Selle.

« Mi-mai, un proche du ministre confiait qu’il était « déprimé » et « n’y [croyait] plus » rappelle le JDD. Selon elle Hulot avait voulu présenter sa démission fin avril, avant d’en être dissuadé par Emmanuel Macron. Il ne devrait « plus rester très longtemps » explique le JDD. Une thérapie sous masque à hydrogène suffira-t-elle ? Le 1er juin Patrick Pouyanné a un peu coupé le tuyau qui alimente ce masque.

« Qu’il parte ou non, les amarres sont rompues entre Nicolas Hulot et le gouvernement. La semaine qui s’est achevée laissera des traces indélébiles, et pas seulement pour lui-même et pour l’environnement. C’est l’ensemble du quinquennat que son échec éclabousse » estime Hubert Huestas de Médiapart dans un édito du 4 juin 2018 intitulé « Le naufrage emblématique de Nicolas Hulot« .

Terre de feu

La présidente de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) va peut-être aider Hulot à accélérer sa prise de décision. « La goutte d’huile qui a fait déborder le vase » : Christine Lambert a annoncé le blocage de la totalité des raffineries françaises à partir du 10 juin afin d’interdir l’alimentation de la bioraffinerie de la Mède avec de l’huile de palme importée. Elle s’est déclarée indignée que les agriculteurs français, qui produisent des huiles végétales, soient ainsi sacrifiés sur l’autel de la vente d’avions militaires Rafale à la Malaisie. Parvenir à unir à la fois la FNSEA et les écologistes contre soi, c’est incontestablement une prouesse remarquable. La palme. Et là ce n’est pas un mirage.

Jean-Gabriel Marie


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