Interview

Localiser avec une précision nanométrique les molécules en 3D

Posté le 17 mai 2021
par Séverine Fontaine
dans Chimie et Biotech

Des équipes de recherche françaises ont mis au point une nouvelle technique de microscopie optique super-résolution pour la caractérisation plus précise de molécules en 3D. Interview de Sandrine Lévêque-Fort, directrice de recherche à l’Institut des sciences moléculaires d’Orsay

Une nouvelle technique de microscopie optique de super-résolution a été mise au point par des équipes de l’Institut des sciences moléculaires d’Orsay et de l’Institut Langevin. Sa particularité ? Elle atteint une précision nanométrique uniforme dans les trois dimensions et en profondeur. Ce qui n’est, selon Sandrine Lévêque-Fort, directrice de recherche à l’Institut des sciences moléculaires d’Orsay, pas permis par les techniques actuelles. Baptisée ModLoc, pour Modulated Localization, elle permet de révéler la position en 3D de molécules, quelle que soit la profondeur de l’échantillon biologique.

Techniques de l’Ingénieur : Qu’est-ce que ModLoc ?

Sandrine Lévêque-Fort : ModLoc est une technique de microscopie de super-résolution pour positionner précisément une molécule en 3D dans un échantillon biologique. Au lieu d’avoir un éclairage homogène, on éclaire avec des interférences directement créées par les faisceaux laser dans l’échantillon : des franges sombres et lumineuses, comme des zébrures, sont ainsi balayées rapidement. Grâce à cette illumination structurée, on introduit une modulation de la fluorescence, ce qui permet d’obtenir une précision nanométrique dans la localisation des molécules de l’échantillon.

Quelle est sa particularité ?

C’est un microscope optique sur lequel on change la façon de mettre en forme le laser, qui vient exciter les molécules, ainsi que la détection de la fluorescence. Quand on souhaite faire de l’imagerie en 3D pour positionner une molécule dans un échantillon biologique, il est difficile d’observer en profondeur à l’intérieur des cellules ou dans des systèmes plus complexes. Cela se fait très bien dans le plan transverse (x,y) mais plus difficilement dans l’axe de propagation optique (z). Et même si les techniques actuelles obtiennent l’information de position, elles ne vont pas conserver la même résolution dans la zone axiale observée et vont introduire des images distordues avec une élongation axiale. Et ModLoc répond à ces deux problèmes : on peut aller en profondeur grâce à la structuration, et cette structuration nous permet d’avoir la même résolution, quel que soit l’endroit observé de l’échantillon. Ce qui rend la reconstruction de l’échantillon plus facile car nous n’avons pas de problème de distorsion ou de résolution.

À quel besoin répond cette nouvelle technique ?

ModLoc peut aider à comprendre la fonction des protéines dans les cellules. Si on la comprend, on peut l’inhiber ou la déclencher. Elle permet également de comprendre les interactions entre protéines. Les biologistes par exemple vont l’utiliser pour comprendre comment une protéine va être localisée par rapport à une autre suite à l’action d’un nouveau médicament. Ou de positionner en 3D une protéine par rapport à une autre sans erreur, pour faire des essais sur de nouveaux médicaments. Un de nos objectifs est d’aller voir dans les sphéroïdes qui miment des tumeurs par exemple.

b) Image super-résolue en 3D de mitochondries localisées à 6 µm à l’intérieur de cellules COS7 où la position suivant z (axe optique) est représentée en fausse couleur et obtenue avec une précision sous les 7 nm. c) zoom sur la région d’intérêt. Crédit image : Sandrine Lévêque-Fort/Institut des sciences moléculaires d’Orsay

Existe-t-il des solutions équivalentes ou qui s’en approchent ?

Il existe beaucoup de techniques différentes pour extraire l’information axiale, en particulier en venant mettre en forme la fonction réponse du microscope par insertion d’éléments optiques (lentille cylindrique, masque de phase, réseau…) ou par optique adaptative, mais elles ne sont pas uniformes en termes de performances. Dans notre cas, quelle que soit la position de la molécule, on a toujours la même résolution. Dans la mouvance de ce qu’on propose, des groupes étrangers proposent des implémentations alternatives. Des groupes hollandais, chinois et espagnols. Cela devient très intense, très actif sur ce domaine.

ModLoc peut-il s’implémenter sur tout microscope optique ? Sous quelle forme ?

Pour le moment, ModLoc s’adapte sur les microscopes existants. Actuellement, nous travaillons sur la conception d’un dispositif pour être moins contraints par la géométrie d’un microscope standard. Mais les deux sont possibles et laissent le choix : soit rester avec un microscope avec ses avantages (habitude de l’outil) et ses contraintes (encombrement), soit avoir un système repensé pour la technique.

Une étude de valorisation est en cours avec la start-up Abbelight…

La SATT Paris Saclay a d’ores et déjà réalisé une étude de valorisation de ModLoc. Nos clients potentiels sont dans les domaines de la biologie, de la pharmacologie, ou les nouveaux qui s’ouvrent sur les échantillons plus complexes et tissus en anatomo-pathologie. Des discussions ont commencé avec Abbelight, une spin-off de notre laboratoire qui s’est fondée sur une précédente technologie en super-résolution. Et comme on propose une nouvelle technique qui ajoute une grande profondeur d’observation, je pense que de nouvelles utilisations vont apparaître et que l’intérêt pour traduire cette technologie brevetée en un produit va se conforter.


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